1-Charonne, depuis Akademgorod
Sous le coude de La canaille depuis peu de jours, ce témoignage de Robert Lechêne une grande figure du journalisme communiste.
Il me l'a fait passer et après l'avoir recontacté, il a été convenu de le mettre en ligne ce 8 février.
Le voila :
Charonne est pour moi d'un poids particulier.
J'étais alors en reportage avec Max Léon en Sibérie, à la cité scientifique d'Akademgorod, nous étions dehors par moins trente degrés près d'un bâtiment plein d'ordinateurs quand un employé est venu en courant nous dire qu'il y avait eu des tués dans une manifestation à Paris.
Nous n'avons pas pris sur l'instant la mesure de ce qu'il nous disait, et il n'était pas commode à l'époque de se mettre en relation avec Paris.
C'est après notre retour que Charonne a pris pour moi tout son sens, avec tout particulièrement la part de ces camarades qui travaillaient à "l'Humanité", et encore plus particulièrement pour moi avec ce nom de Fanny Dewerpe, pour moi la petite Fanny Kapchuich, copine de mes dernières années de jeunesse, 1945-1946...
Nous nous étions connus, toute une jeune bande d'étudiants, au local de l'Union de la Jeunesse Républicaine de France du Quartier latin où on entendait parler du marxisme, du socialisme, du communisme par le professeur Maublanc, ou Pierre Hervé, ou d'autres.
Nous allions nous balader, joyeux, fraternels, dans Paris ou sur la ligne de Sceaux (ancêtre du RER). J'ai été reçu plusieurs fois chez les parents de Fanny, dans leur logement derrière la Poste des Grands boulevards, à deux pas de la République.
Ayant pris un travail, j'ai perdu de vue Fanny, mais j'ai toujours gardé le souvenir précis de son visage, qui était barré d'une veine bleue, elle avait un caractère vif.
Plus tard, journaliste à "Ce soir", j'ai appris qu'elle s'était mariée avec Dewerpe qui travaillait aussi à "Ce soir", et qui a été lui aussi, je crois, tué dans dans une manifestation.
Cela pour dire que les héros peuvent avoir cette proximité qu'a eue pour moi Fanny Dewerpe, cette vivante chaleur.
J'ai ressenti, je ressens souvent le besoin, de rappeler ce souvenir que j'ai de Fanny, qui ne s'est jamais éteint au bout de 67 ou 68 ans.
Je ne crois pas que ce soit inutile de le faire, pour qu'on ressente un peu plus ce qu'est la valeur d'une vie humaine.
Fraternellement, Robert Lechêne
Source : Les Carnets de Canaille Le Rouge.
Quelques 700 personnes se sont rassemblées à Paris le mardi 8 février pour commémorer le cinquantième anniversaire des crimes commis au métro Charonne par la police aux ordres du préfet Maurice Papon et du ministre de l’Intérieur Frey. La répression sauvage de la manifestation pacifique qui protestait contre les attentats de l’OAS en France et en Alégrie a entrainé la mort de neuf syndicalistes : Anne-Claude Godeau, Fanny Dewerpe, Suzanne Martorell, Daniel Fery, Jean-Pierre Bernard, Edouard Lemarchand, Hyppolite Pina, Maurice Pochard et Raymond Wintgens.
Le rassemblement s’est tenu, notamment à l’appel de la CGT et du parti communiste, en présence du secrétaire général de la CGT, du secrétaire national du parti communiste, Pierre Laurent Bernard Thibault et du maire de Paris, Bertrand Delanoë."Notre combat continue parce que notre pays doit la vérité et la justice aux victimes de Charonne sur les responsabilités à l’origine de ce massacre", a déclaré Bernard Thibault lors de son discours, alors que les responsables du drame n’ont jamais été poursuivis.
"Un peuple est grand quand il regarde son histoire en face", a assuré Bertrand Delanoë dans un discours tenu à l’entrée du métro Charonne, où le drame s’est noué lorsque la police a violemment chargé une manifestation "contre le fascisme" et "pour la paix en Algérie". "Charonne, c’est le symbole d’un crime mené par des autorités légales pour des objectifs qui étaient profondément injustes, c’est-à-dire réprimer toute volonté du peuple algérien d’accéder à sa liberté, donc son indépendance", a ajouté le maire de Paris.
Le secrétaire national du parti communiste, Pierre Laurent, a estimé que "depuis cinq ans, avec la présidence de Nicolas Sarkozy", la France voyait "le retour de ce vieux clan idéologique qui se gargarise de mythes sur de prétendues vertus de la colonisation", un clan "qui n’a pas manqué une occasion de réhabiliter une honteuse xénophobie d’État".
Les manifestants ont ensuite rejoint le cimetière du Père-Lachaise pour se recueillir devant une stèle en l’honneur des victimes.
Quelques mois auparavant, la police avait réprimé dans le sang une manifestation pacifique organisée à Paris par les indépendantistes algériens en France. Des dizaines d’Algériens, jusqu’à plusieurs centaines selon les sources, avaient péri lors de la répression par les forces de l’ordre.
Source: CGT