«De 1968 à 2010, Daniel Bensaïd a été la figure de proue d’une gauche révolutionnaire exigeante et ouverte, respectée bien au-delà des organisations de tradition trotskyste.» Un livre * réunit des contributions de différents interlocuteurs.
La relecture de Marx par Daniel Bensaïd aboutit à libérer cette pensée de son interprétation déformée et réductrice, en s’attaquant à deux dogmes, celui du «progrès» et celui de la «certitude». L’histoire n’est pas une longue autoroute avec un sens précis et une progression linéaire. Le temps n’est pas une valeur constante. Au moment des crises révolutionnaires, le temps s’accélère, des situations inimaginables auparavant, durant le temps «normal», se présentent comme des possibles réels. Mais il n’existe aucun déterminisme, ni de progrès ni de justice. Nulle issue n’est écrite à l’avance. Le temps stratégique est celui de l’affrontement réel des classes, pas celui des stratèges réformistes ou des «Pénélopes» parlementaires qui pensent que le calendrier des affrontements peut être modifié en fonction d’autres agendas institutionnels.
Daniel Bensaïd va aussi mesurer la difficulté à être un «passeur» d’idées. Il faut débarrasser la pensée et l’histoire du marxisme de toute sa corrosion stalinienne, activité à laquelle a beaucoup contribué le courant trotskyste. Avant la chute du Mur, l’amalgame entre stalinisme et communisme était déjà très fort. Mais la réaction idéologique des années 90 déconsidère toute pensée critique envers le capitalisme. «Face aux tenants dédaigneux et arrogants de la pensée unique, Daniel a tenu bon comme porte-parole de la résistance à l’air du temps.» Pas au nom d’un dogme intouchable, d’une orthodoxie politique, ou d’une «ostalgie» comme refuge dans la tempête néo-libérale. «En développant une pensée attentive et ouverte, il défendait la nécessité d’un projet d’émancipation contre la loi de la jungle capitaliste, avec une argumentation intelligente et intelligible.» De nouvelles forces contestatrices émergent avec le mouvement altermondialiste et dans les mobilisations en Amérique latine, qui diffèrent fortement des forces des années 60.
L’irréductible rouge
La remise en ordre de l’inventaire révolutionnaire s’accompagne aussi d’une remise en cause d’une partie de cet héritage et de ses limites, relevées par plusieurs auteurs, en particulier sur le féminisme. Ce travail critique est rendu plus difficile par le temps écoulé, qui creuse un sillon séparant la «mémoire» de «l’histoire». Utilisant de nouvelles références puisées chez Charles Peguy (l’exigence de vérité), Walter Benjamin (le faisceau des peut-être) et Ernst Bloch (l’Espérance), il va formuler la complexité existant entre le pari de l’engagement révolutionnaire et l’incertitude des temps où a lieu ce dernier, le temps historique. «La nature ouverte de l’histoire nécessite une politique qui intervienne activement en empruntant tel chemin plutôt qu’un autre.» L’engagement n’est pas seulement dans l’activisme, la réflexion stratégique est essentielle.
«Une seule réponse est certaine: sans lutte il n’y a pas de changement possible. C’est ce que nous devons retenir de la vie et de l’œuvre de Daniel Bensaïd.» (Ester Vivas)
* Daniel Bensaïd, l’intempestif, sous la direction de François Sabado, Ed. La Découverte, 2012.
Extraits du livre: