Née en 1929 à Baltimore, elle finit à peine ses études lorsqu'elle reçoit son premier prix de poésie en 1951; il inaugure une longue liste de récompenses, parmi lesquelles le National Book Award en 1974 pour son recueil Diving Into the Wreck (d'un commun accord avec les autres femmes en lice pour recevoir ce prix, Audre Lorde et Alice Walker, elle l'accepte en leurs trois noms), puis en 2006 pour l'ensemble de son œuvre. En 1953, elle épouse un professeur d'économie à Harvard, avec lequel elle a trois garçons. Ils se séparent en 1970. C'est au cours des années 60 que sa poésie évolue et que se forge son engagement politique, qui se mêleront bien souvent dans son œuvre, à travers les thèmes du pacifisme, des droits civiques, du féminisme, et de l'amour entre femmes. En 1976 paraît Twenty-One Love Poems, dont les poèmes d'amour lesbien ne sont probablement pas étrangers à sa rencontre de l'écrivaine Michelle Cliff, avec laquelle elle a partagé sa vie depuis.

Bien que très mal connue en France, où seul un essai a été traduit en 1976 (Naître d'une femme, la maternité en tant qu'expérience et institution, Denoël-Gonthier), et un article  («La contrainte à l’hétérosexualité et l’existence lesbienne», Nouvelles Questions Féministes, n°1) Adrienne Rich a produit une œuvre importante, populaire, louée par ses pairs (au regard de qui elle aurait écrit parmi les plus beaux poèmes d'amour lesbien en langue anglaise), et explicitement engagée… Car loin de s'enfermer dans sa tour d'ivoire pour y établir une frontière hermétique et confortable qui lui aurait permis de regarder la réalité sociopolitique de haut et de loin, elle a toujours eu à cœur que sa pensée (essais, entretiens, discours, poèmes – et c'est l'un des aspects les plus originaux de sa production) s'inspire et puise sa matière dans l'ici et maintenant, afin que l'intime, dans ses diverses dimensions identitaires et son expression artistique au sens large, participe à la construction et à l'amélioration du monde, incite au dialogue avec le destinataire, à la réflexion avec un «moi» toujours en mouvement, et enfin à l'action, tout ensemble.

Il y a donc là bien plus qu'une simple esthétisation du devenir collectif… ou même qu'une «politisation de l'esthétique»: il s'agit d'un investissement personnel plein et entier, d'un combat. Le combat pour la justice et l'égalité est en effet à mettre au centre de l'interprétation de ce qui aura été l'engagement d'une vie entière, par exemple quand elle prend des positions très claires et courageuses contre la guerre du Vietnam, quand elle fait inlassablement la promotion de la libération des gays et des lesbiennes, à travers des gestes à la portée symbolique de taille (avec son essai controversé, Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence, en 1980, où elle défend entre autres la théorie du continuum lesbien, qu'on résuma schématiquement en disant que pour Rich, toute relation entre femmes, y compris au sein de la famille – mère/fille; sœurs… – est en soi d'essence lesbienne; en donnant une voix au désir et à la sexualité des femmes entre elles dans sa poésie, à travers des textes – explicites – d'une grande beauté – on trouvera dans le recueil de poèmes Twenty-One Love Poems, une somptueuse et suggestive description du cunnilingus*), quand elle revendique les droits des femmes à travers des gestes aussi symboliques que celui d'accepter le plus grand prix littéraire des États-Unis à la condition qu'il lui soit décerné au nom de toutes les femmes, quand elle met ses mots au service de la lutte contre le sida (à travers un magnifique hommage à un ami proche décédé)… Engagements salués par la National Gay Task Force en 1981, par le prix William Whitehead de Publishing Triangle, ainsi que deux Prix Lambda (1996 et 2002).

Adrienne Rich est morte mardi 27 mars, à Santa Cruz, en Californie, des suites d'une polyarthrite rhumatoïde.

If you can read and understand this poem
send something back: a burning strand of hair
a still-warm, still-liquid drop of blood
a shell
thickened from being battered year on year
send something back.
(Coast to Coast, 1981)

«Je savais - depuis longtemps - que la poésie peut déverrouiller les chambres fermées du possible, rendre ses sensations à ce qui est engourdi, recharger le désir.»
(What is Found There: Notebooks on Poetry and Politics)

 

Dans la vidéo ci-dessous, Adrienne Rich lit le poème What Kind of Times Are These:

Si vous ne pouvez pas voir la vidéo ci-dessus, cliquez sur Poetry Everywhere: "What Kind of Times Are These" by Adrienne Rich

*… Your traveled, generous thighs
between which my whole face has come and come--
the innocence and wisdom of the place my tongue has found there--
the live, insatiate dance of your nipples in my mouth--
your touch on me, firm, protective, searching
me out, your strong tongue and slender fingers
reaching where I had been waiting years for you
in my rose-wet cave--whatever happens, this is.

Photo Poetry Foundation

Source: Yagg