
Le 5 mai dernier, manifestation contre l'abrogation de la loi sur le harcèlement sexuel à Paris. ALFRED/SIPA
REPORTAGE - Associations féministes et syndicats se sont réunis à Paris pour faire le point sur la situation actuelle et sur la future proposition de loi...
Viviane est remontée. Ce petit bout de femme de 33 ans est en arrêt maladie depuis le mois d’octobre. En cause, son employeur, qui de gestes déplacés en SMS abusifs, la harcèle. Mais le 4 mai dernier depuis, le Conseil constitutionnel a voté l’abrogation de la loi sur le harcèlement sexuel.
>> Le point sur le vide juridique après l’abrogation de la loi est par ici.
«Au boulot, c’étaient des mains aux fesses, des baisers forcés. Il est venu chez moi bourré à deux heures du matin...» Viviane, engagée depuis avril 2011 en CUI puis en CDI comme assistante de direction, souhaite un licenciement et se heurte à un mur. «Je ne peux pas démissionner», fulmine-t-elle. Elle a déjà dépensé 700 euros en frais d’avocats. «C’est l’assurance maladie qui nous fait vivre avec mon fils. Je voudrais juste pouvoir chercher un autre boulot.»
Elle est venue à la réunion publique de l’AVFT (Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail), ce lundi après-midi à la Bourse du travail, pour obtenir des réponses à ses questions. C’est pour discuter du bilan des actions déjà intentées et de la suite à donner au mouvement que s’y sont retrouvées une quarantaine de personnes membres d’associations et syndicats tels que AVFT, Osez le féminisme ou encore Solidaires.
Viviane a déposé plainte contre son employeur mais aussi contre le Conseil constitutionnel, à l’appel de l’association AVFT lors de la manifestation du 5 mai. La décision d’abroger la loi sur le harcèlement sexuel, la veille, a sonné aux oreilles de Viviane et à celles des autres victimes comme une double peine.
Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT, fédère les troupes: «Il faut déposer le plus de plaintes possibles pour maintenir la pression jusqu’aux législatives, et l’adoption d’une nouvelle loi sur le harcèlement sexuel.» En raison du vide juridique engendré par l’abrogation de la loi et de l’impossibilité de qualifier désormais une infraction de «harcèlement sexuel», la déléguée enjoint à être le plus imaginatif possible: «on peut déposer plainte pour misogynie, pour association de malfaiteurs, voire crime sexiste!»
Lyasid, auxiliaire de puériculture et membre de Solidaires, est l’un des trois hommes présents à la réunion. «Je ne supporte plus les inégalités. Récemment, un infirmier anesthésiste a lancé aux infirmières qu’elles étaient toutes «bonnes à baiser». Il s’est fait gifler. Moi, j’aurais aimé qu’il passe en conseil de discipline.»
Les procédures en cours pour harcèlement sexuel ayant été annulées, la Chancellerie a déposé jeudi dernier une circulaire permettant de requalifier l’infraction en harcèlement moral, violence volontaire ou tentative d’agression sexuelle, ce que Marilyn Baldeck juge inadapté. «Le harcèlement moral, c’est précisément l’écueil qu’on veut éviter, que soit évacuée la dimension sexuelle!» Quant à la tentative d’agression, elle est difficile à prouver dans des cas de harcèlement. Viviane plaisante à peine lorsqu’elle lâche: «Comment prouver que mon patron a été trop loin? Je n’ai pas la marque de ses doigts imprimée sur les fesses!»
A moins que la qualification retenue puisse être celle de l’agression sexuelle, les victimes en procédure devront faire une croix sur l’aspect sexuel du harcèlement pour ne garder que la dimension morale, ou bien faire le deuil d’une procédure pénale et aller au civil, précise Marilyn Baldeck.
Les membres de l’AVFT vont envoyer leur proposition de loi, inspirée d’une directive européenne, au futur gouvernement dès qu’il sera formé. En espérant la voir évoluer en projet de loi et votée en juin prochain. Mais le manque de concertation se fait déjà sentir: «Certains sénateurs sont en train de réécrire le texte sans nous en faire part, alors que nous détenons l’expertise sur le sujet. C’est complètement irresponsable. On réclame une méthodologie plus intelligente», résume la déléguée générale de l’AVFT.