Steve Jobes, le co-fondateur d'Apple, après avoir été terrassé par un cancer, est en train de crouler sous les tombereaux de louanges et d’hommages déversés unanimement. Jamais patron ne connut
une telle apothéose, triomphe digne de celui d’un empereur romain: on n’attend plus que sa canonisation ! Cependant, si on est attentif au sens des mots, le nom même de Jobs renvoi au travail. Ce
travail qui disparaît comme par magie, alors qu’il est le socle de la gloire et de la fortune du défunt. Non pas son propre travail, mais celui de milliers de personnes, qui de la Silicon Valley
aux banlieues de Shenzen ont donné corps à ce qui est la marchandise emblématique de ce nouveau siècle : l’iMachinChose, qu’on nous présente comme oeuvre d’art, summum de l’intelligence et de la
créativité. C’est faire l’impasse sur la sueur et sur le labeur sous-payé des ouvriers et ouvrières qui assemblent des bouts de plastique, des mineurs qui vont extraire le lithium nécessaires aux
batteries, des livreurs et des vendeurs qui mettent les produits dans les rayons : de tous ceux et celles qui à chaque étape de ce procès de production vont laisser une part de leur force vive,
leur travail, contre un salaire sous évalué qui donnera naissance au profit que Jobs empochera sous forme de dividendes sonnants et trébuchants… Dans les magasins agencés comme des salles
d’exposition d’art moderne, aucune trace ne remonte depuis les soubassements de l’entreprise capitaliste qui produit ces merveilleuses machines qui nous permettent d’entrer en « relation avec le
monde » (sic). Un monde de fable, tel que nous le décrivent les médias qui pleurent le génie, sans conflits, sans opposition d’intérêts, en bref sans lutte de classe, où un patron à
l’allure sympathique, en blue-jeans et en bras de chemise, nous présente sur une scène et devant un diaporama les fruits de son génie créateur. On allume des bougies et on dépose des fleurs
devant l’un des fleurons du capitalisme new look. Mais a t-on seulement en mémoire les employés suicidés de Foxconn, l’entreprise chinoise où des petites mains assemblent les iTrucs, soumises à
des conditions de travail tellement épouvantables que pour parer à toutes nouvelle défenestration l’usine s’est équipée de filet anti-suicide ? Tellement moyenâgeuses que certains ont comparé
cette entreprise à un camp de concentration. En fait, pas moyenâgeuses, hypermodernes ! Aussi moderne qu’il soit, l’objet marchand reste le fruit d’un rapport d’exploitation, et nous-mêmes les
consommateurs sommes pris dans ces rapports. On peut à grands sons de trompe médiatique magnifier la geste du créateur, il n’en reste pas moins un exploiteur à qui profite le travail des
exploités. Alors pleurons, certes, mais sur la persistance de la fétichisation de la marchandise, sur la persistance de l’exploitation et de la domination : et hâtons-nous de mettre en branle les
forces qui les balaieront…
Mohamed, Groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste
*. Shenzen étant le lieu où se trouve l’usine où sont assemblées les Ipod
Source: Le monde libertaire.