La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n'a pas
aboli les antagonismes de classes. Elle n'a fait que substituer de nouvelles classes, de
nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d'autrefois.
Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est
d'avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en plus en
deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la
bourgeoisie et le prolétariat".
Depuis la grande Révolution française, l'histoire de l'Europe a, dans nombre de pays,
révélé avec une évidence particulière cette cause réelle des événements : la lutte des
classes.
Déjà, à l'époque de la Restauration, on vit apparaître en France un certain nombre
d'historiens (Thierry, Guizot, Mignet, Thiers) qui, dans leur synthèse des événements,
ne purent s'empêcher de reconnaître que la lutte des classes était la clé permettant de
comprendre toute l'histoire de France.
Quant à l'époque moderne, celle de la victoire complète de la bourgeoisie, des
institutions représentatives, du suffrage élargi (sinon universel), de la presse
quotidienne à bon marché qui pénètre dans les masses, etc., l'époque des associations
puissantes et de plus en plus vastes, celles des ouvriers et celles des patrons, etc., elle a
montré avec plus d'évidence encore (bien que parfois sous une forme très unilatérale,
"pacifique", "constitutionnelle") que la lutte des classes est le moteur des événements.
Le passage suivant du Manifeste du Parti communiste montre que Marx exigeait de la
science sociale l'analyse objective de la situation de chaque classe au sein de la société
moderne, en connexion avec les conditions de développement de chacune d'elles :
"De toutes les classes qui, à l'heure présente, s'opposent à la bourgeoisie, le prolétariat
seul est une classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent et périssent
avec la grande industrie ; le prolétariat, au contraire, en est le produit le plus
authentique.
Les classes moyennes, petits fabricants, détaillants, artisans, paysans, tous combattent
la bourgeoisie parce qu'elle est une menace pour leur existence en tant que classes
moyennes. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices ; bien plus,
elles sont réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à rebours la roue de l'histoire.
Si elles sont révolutionnaires, c'est en considération de leur passage imminent au
prolétariat : elles défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels ;
elles abandonnent leur propre point de vue pour se placer à celui du prolétariat"
Dans nombre d'ouvrages historiques (voir Bibliographie), Marx donna des exemples
brillants et profonds d'histoire matérialiste, d'analyse de la condition de chaque classe
particulière et parfois des divers groupes ou couches au sein d'une classe, montrant
jusqu'à l'évidence pourquoi et comment "toute lutte de classe est une lutte politique".
Le texte que nous venons de citer illustre clairement la complexité du réseau des
rapports sociaux et des transitions d'une classe à l'autre, du passé à l'avenir, que Marx
étudie afin de déterminer exactement la résultante de l'évolution historique.
La théorie de Marx trouve sa confirmation et son application la plus profonde, la plus
complète et la plus détaillée dans sa doctrine économique.
Source: Au rive gauche.