Dès le début de l’année 1918, la révolte contre la guerre se renforce en Allemagne, que ce soit à l’arrière où les ouvriers multiplient les grèves ou sur les front où les soldats en ont assez de se faire massacrer pour les intérêts des capitalistes et le prestige des officiers. Pendant 6 jours, du 28 janvier au 3 février 1918, jusqu’à un million de travailleurs se mettent en grève pour « la conclusion rapide d’une paix sans annexion », la levée de l’état de siège et la libération des prisonniers politiques. De nouvelles grèves éclatent du 15 au 17 avril.
Mais c’est à Kiel que commence la révolution. Il est déjà certain que l’Allemagne a perdu la guerre. L’état-major, néanmoins, cherche à continuer les combats “pour l’honneur”, un honneur d’autant plus facile à défendre que ce n’est pas avec le sang des généraux qu’il se paye, mais avec celui des soldats.
- Soulèvement des marins et des ouvriers à Kiel
Le 30 octobre, les matelots de deux navires refusent d’appareiller, les 400 mutins sont emprisonnés le 31 octobre, ce qui, loin de calmer les marins et les ouvriers de la ville, renforce leur colère. Des manifestations de masse sont organisées pour la libération des marins emprisonnés, des conseils d’ouvriers et de soldats sont constitués. A la revendication de libération des 400 marins, ouvriers et soldats de Kiel ajoute celle de l’abdication du Kaiser. Le 5 novembre, après une journée de grève générale, ouvriers et soldats s’emparent du pouvoir et le drapeau rouge flotte sur Kiel.
Le 6 novembre, des conseils d’ouvriers et de soldats se créent à Hambourg et à Brême. La grève générale est proclamée à Hambourg. Parmi les principales revendications des ouvriers et des soldats : la paix et la fin de la monarchie. Le 7 novembre, la révolution gagne Munich, Cologne, Hanovre,… la famille royale de Bavière, les Wittelsbach, est chassée de Munich. Le 8 novembre, Rosa Luxemburg est libérée, la révolution gagne Leipzig, Francfort, Dresde…
Au 9 novembre : la révolution gagne Berlin. A cette date, des conseils d’ouvriers et de soldats ont pris le pouvoir dans les villes suivantes : Kiel, Lübeck, Flensburg, Schleswig, Rendsburg, Cuxhaven, Wilhelmshaven, Bremerhaven, Oldenburg, Brême, Brünsbüttel-Koog, Hambourg, Rostock, Hanovre, Braunschweig, Bielefeld, Krefeld, Düsseldorf, Kassel, Francfort (Main), Mannheim, Stuttgart, Augsbourg, Munich, Rosenheim, Passau, Nuremberg, Bayreuth, Chemnitz, Dresde, Leipzig, Magdebourg et Berlin.
Face à la menace révolutionnaire, Max de Baden annonce l’abdication de Guillaume II et démissionne pour donner le pouvoir à Friedrich Ebert qui constitue un gouvernement social-démocrate. Philipp Scheidemann (SPD) proclame la République allemande depuis le Reichstag.
Karl Liebknech est libéré par la révolution. Elu au Reichstag en 1914, il avait refusé de voter les crédits de guerre, et déclaré en 1915 : “l’ennemi principal est dans notre pays !” : “L’ennemi principal du peuple allemand est en Allemagne : l’impérialisme allemand, le parti de la guerre allemand, la diplomatie secrète allemande. C’est cet ennemi dans son propre pays qu’il s’agit pour le peuple allemand de combattre dans une lutte politique, en collaboration avec le prolétariat des autres pays, dont la lutte est dirigée contre ses propres impérialistes.”
A 16 heures, depuis un balcon du château de Berlin, Karl Liebknecht proclame la Libre République Socialiste d’Allemagne :
“Le jour de la révolution est arrivée. Nous avons imposé la paix. La paix est à ce moment certaine. (…) La domination des Hohenzollern, qui ont vécu pendant des siècles dans ce château, est terminée. A cette heure, nous proclamons la Libre République Socialiste d’Allemagne” .
Il conclut son discours par ces mots : “Nous devons mobiliser toutes les forces pour construire le gouvernement des ouvriers et des soldats, mettre en place un nouvel ordre étatique du prolétariat, un ordre de paix, de bonheur, de liberté pour nos frères d’Allemagne et pour nos frères du monde entier. Nous leur tendons la main et les appelons à la réalisation de la révolution mondiale”.
Pour les sociaux-démocrates, le départ du Kaiser marquait la fin de la révolution. Pour les spartakistes, qui bientôt allaient fonder le Parti Communiste d’Allemagne, elle ne faisait que commencer.
Le gouvernement social-démocrate utilisera toute sa force, tous les moyens de répression, pour “rétablir l’ordre”, celui qui, même sans Kaiser, maintient les privilèges d’une minorité capitaliste, cet ordre qui, de 1914 à 1918, avait envoyé une génération d’enfants d’ouvriers et de paysans du monde entier se faire massacrer dans les tranchées et qui préparait déjà de nouveaux carnages.
En publiant le 14 décembre 1918 le texte de Rosa Luxemburg qui allait devenir le programme du Parti Communiste d’Allemagne, la Ligue Spartakiste posait alors la question fondamentale qui est toujours d’une brûlante actualité :
“La guerre mondiale a placé la société devant l’alternative suivante : ou bien maintien du capitalisme, avec de nouvelles guerres et un rapide effondrement dans le chaos et l’anarchie ou bien abolition de l’exploitation capitaliste.
Avec la fin de la guerre mondiale, la bourgeoisie et sa domination de classe ont perdu tout droit à l’existence. La bourgeoisie n’est plus en mesure de tirer la société du terrible chaos économique que l’orgie impérialiste a laissé après elle.
Dans des proportions énormes, des moyens de production ont été anéantis ; des millions d’ouvriers, les meilleures cohortes et les plus actives de la classe ouvrière, ont été massacrés. Lorsque ceux qui sont restés en vie rentrent dans leurs foyers, ils voient devant eux le visage grimaçant du chômage, de la famine et des maladies qui menacent d’anéantir jusqu’à la racine la force populaire. Le fardeau énorme des dettes de guerre rend inéluctable la banqueroute financière de l’Etat.
Pour échapper à cette confusion sanglante, pour ne pas choir dans cet abîme béant, il n’existe d’autre recours, d’autre issue, d’autre salut que le socialisme. Seule la révolution mondiale du prolétariat peut mettre de l’ordre dans ce chaos, donner à tous du travail et du pain, mettre un terme au déchirement réciproque des peuples, apporter à l’humanité écorchée la paix, la liberté et une civilisation véritable ; A bas le salariat ! Tel est le mot, d’ordre de l’heure : au travail salarié et à la domination de classe doit se substituer le travail coopérateur, les moyens de travail ne doivent plus être le monopole d’une classe, mais devenir le bien commun de tous. Plus d’exploiteurs ni d’exploités ! Réglementation de la production et répartition des produits dans l’intérêt de tous ; suppression à la fois du mode de production actuel, de l’exploitation et du pillage et aussi du commerce actuel qui n’est qu’escroquerie.
A la place des patrons et de leurs esclaves salariés, des travailleurs coopérateurs libres. Le travail cesse d’être un tourment pour quiconque, parce qu’il est le devoir de tous ! Une existence digne et humaine pour quiconque remplit ses obligations envers la société. Dès lors la faim n’est plus la malédiction qui pèse sur le travail, mais la sanction de l’oisiveté.
C’est seulement dans une telle société que sont extirpées les racines de la haine chauvine et de l’asservissement des peuples. C’est alors seulement que la terre ne sera plus souillée par l’holocauste d’être humains, c’est alors seulement qu’on pourra dire : cette guerre a été la dernière !
A l’heure présente le socialisme est l’ultime planche de salut de l’humanité. Au-dessus des remparts croulants de la société capitalistes on voit briller en lettres de feu, le dilemme prophétique du Manifeste du Parti communiste :
Socialisme ou retombée dans la barbarie !“
Source: Solidarité Ouvrière