Globalement positif, aurait pu dire Georges Marchais. Aux dires de plusieurs de ses participants, le conseil national du Front de gauche qui s'est tenu ce week-end au siège du parti communiste a rassuré la grande majorité des présents, issus des neuf organisations de « l'autre gauche » chère à Jean-Luc Mélenchon, ainsi que des personnalités du mouvement social et non-encartées. « Le simple fait de se réunir, après six mois d'abstinence, réenclenche le processus », se félicite l'ancienne présidente du syndicat de la magistrature, Évelyne Sire-Marin, également heureuse qu'un accord se soit dégagé afin que le conseil national se réunisse désormais toutes les six semaines.
Environ 70 présents, sur 138 durant la campagne présidentielle, ont assisté quatre heures durant à une série d'échanges sur les perspectives d'avenir du Front de gauche. Au menu de ce samedi après-midi, la discussion d'un texte d'orientation et d'un texte d'analyse stratégique, ainsi qu'une réflexion sur les actions à mener. Plusieurs orientations ont été validées ce lundi en fin de matinée par la coordination du Front de gauche qui, elle, se réunit toutes les semaines.
« Il n'y a plus d'ambiguïté entre nous, dit Francis Parny, secrétaire national du PCF aux relations extérieures. Nous avons affiché notre consensus sur le désaccord avec la politique gouvernementale et son orientation sociale-libérale. Il est clair que nous sommes en opposition à cette politique et que nous menons ensemble l'alternative. » Le terme d'opposition paraissait pourtant compliqué à prononcer pour le PCF, jusqu'ici (lire notre article), malgré un désaccord allant crescendo dans ses votes au Sénat (lire nos articles ici et ici). « Peut-être que nous n'aurions pas parlé comme ça, nous PCF, admet Parny, mais il y a une évidence à reconnaître le socle terrifiant de l'action du gouvernement depuis six mois. C'est la politique de Schröder, la crise économique en plus. »
Pour Éric Coquerel, responsable du Parti de gauche, « à chaque fois la réalité tranche nos débats ». Selon ce proche de Jean-Luc Mélenchon, « nous avons avancé le plus loin possible. Pour certains, on assiste à un tournant, pour d'autres on s'inscrit dans une logique et une continuité. Mais le constat est le même : le PS est social-libéral ». Et de citer des premiers points d'accord en vue des « futures municipales et européennes » où, selon lui, « nous sommes d'accord pour définir des alternatives locales à l'austérité et où nous affirmons l'espoir de bousculer le rapport de force vis-à-vis du PS ».
Après la présentation d'une « ébauche » de texte, et des allers-retours entre les neuf formations jusqu'à la fin de l'année, ce document devrait être finalisé début janvier. Bref, pour Coquerel, le Front de gauche peut se targuer d'être un « pôle de stabilité à gauche, bien plus uni que le PS et l'UMP ». Pour autant, quelques désaccords subsistent encore.
« S'il y a des divergences d'appréciations ou de manières de dire, elles sont mises sur le tapis, comme pour Notre-Dame-des-Landes, apprécie Julien Rivoire, de la Gauche anticapitaliste (ex-direction du NPA). Malgré les lourdeurs liées à la concertation entre neuf organisations, il y a une cohérence globale d'opposition à la politique gouvernementale. » Du côté de la Gauche unitaire (ex-minorité de la LCR), Alain Faradji juge lui aussi « ce premier test réussi après une si longue absence ». « Tout le monde était inquiet de notre hibernation, abonde Évelyne Sire-Marin. Il n'était plus possible d'exister uniquement par les interventions médiatiques, fussent-elles brillantes, de notre ancien candidat à la présidentielle. »
Sur la question de la structuration du Front de gauche, Francis Parny explique que le conseil national a choisi la souplesse, notamment vis-à-vis des assemblées citoyennes, l'échelon local du cartel de l'autre gauche, dont beaucoup se sont créées en association locale, loi de 1901. « Il n'y a pas lieu de sanctuariser une forme d'organisation, dit-il. L'essentiel, c'est d'être présent sur le terrain. On regarde ce qui se fait, la diversité des formes d'organisation, mais on n'en privilégie aucune. On ne va pas donner dans le centralisme bureaucratique. »
« Les “inorganisés” faisaient l'objet de railleries, explique l'une d'elles, Évelyne Sire-Marin. Désormais il est acquis que l'on peut être au Front de gauche sans être adhérent d'un parti. C'est un progrès, même si les questions de budget et de représentativité ne sont pas encore réglées. » Le principe d'un élargissement du conseil national a été acté, comme celui de la double parité en son sein, homme/femme et représentants de parti/non-organisés. « On veut en faire un conseil citoyen, et dépasser une fois pour toute la forme du cartel électoral », assure Parny. Un « Front du peuple », renchérit Éric Coquerel.
Si on est loin d'un budget commun entre organisations et, par là même, de ce qui serait le prélude à un grand parti à la gauche du PS, le Front de gauche entend se montrer davantage comme tel, malgré les tentations de replis identitaires de mouvements préparant à peu près tous leurs congrès ou des fusions entre eux. Le site internet de la campagne de Mélenchon, « Place au peuple ! », va ainsi être réactivé et mutualisé.
Plutôt que de créer une caisse commune, les partis du Front de gauche discutent d'une clé de répartition entre chaque force pour financer les campagnes d'action militante. Celles-ci devraient démarrer dès le début de l'année prochaine, portant sur la lutte contre l'austérité ou sur l'amnistie des syndicalistes poursuivis sous le mandat de Nicolas Sarkozy (dont le délégué CGT des “Continental” Xavier Mathieu). Enfin, une marche de soutien aux salariés d'ArcelorMittal a été proposée, à Florange, d'ici la fin de l'année, ou en janvier prochain. Celle-ci a été annoncée dès samedi soir par Jean-Luc Mélenchon, sur TF1, avant que Pierre Laurent ne vienne à Florange ce lundi pour en discuter avec des syndicalistes échaudés.
Selon Le Figaro, l'accueil du dirigeant du PCF a été mitigé. Si la CGT sourit, la CFDT et son leader local Édouard Martin grimacent. « Pierre Laurent ou Olivier Besancenot, on n'en a rien à foutre… Le combat, c'est celui des ouvriers d'ArcelorMittal… Hors de question qu'on nous le retire », a-t-il lancé, redoutant « une bataille politicienne » plutôt qu'un « débat politique ». L'annonce de la marche par Mélenchon a aussi quelque peu irrité le partenaire communiste. Chargé des luttes sociales à la direction du parti, Éric Corbeaux regrette l'initiative de l'ex-candidat à la présidentielle, faite « de son côté, alors qu'il aurait fallu laisser les syndicats être à la manœuvre ». « On ne peut pas reprocher au gouvernement d'agir sans concertation avec les syndicats et faire la même chose de notre côté », dit-il.
De la même manière, l'appel de Mélenchon à une manifestation contre le traité de stabilité européen (TSCG), le 30 septembre dernier, avait irrité d'autres composantes du Front de gauche (lire ici), avant de constater le succès de l'initiative (lire notre reportage). « Depuis le 30 septembre, on n'était pas suffisamment visible, note toutefois Julien Rivoire de la Gauche anticapitaliste. Désormais on se donne des perspectives d'action. » « Si l'on peut retenir un clivage interne actuellement, dit un cadre du Front de gauche, c'est celui entre ceux qui veulent passer à l'action tout de suite, et ceux qui veulent encore voir comment ça tourne vraiment, avant d'agir vraiment. » Soit entre PCF et Gauche unitaire d'un côté, PG et Gauche anticapitaliste de l'autre.
En creux se pose la récurrente problématique du rapport au reste de la gauche, celle qui est actuellement au pouvoir. Pour Évelyne Sire-Marin, le débat sur la situation d'ArcelorMittal a « lumineusement éclairci les positions de chacun. À la question de savoir si on discute avec le PS local, qui a plaidé pour la nationalisation de Florange, Pierre Laurent a dit “oui”, Jean-Luc Mélenchon “Pas question !” » « Est-ce qu'on se contente de dire que c'est possible, ou est-ce qu'on s'en donne les moyens ?, demande de son côté Alain Faradji de la Gauche unitaire. Pourquoi se priver de partager la marche de Florange avec les partis qui le souhaiteraient ? On doit avoir l'objectif de rassembler la majorité des Français pro-nationalisation ! »
Quant à la question du leadership du conseil national, après avoir fait acte de candidature à sa présidence, Jean-Luc Mélenchon s'est rangé à la volonté majoritaire de constituer une présidence collégiale. « Son intervention était un brin crispée », confie un participant. « On est d'accord pour que la direction soit collective, rectifie Éric Coquerel, mais on voudrait que ce soit aussi le cas pour les parlementaires. » Plutôt que l'autonomie laissée actuellement à chaque député et sénateur (ils sont très majoritairement communistes), Coquerel et le parti de gauche plaident pour « une réunion des trois groupes parlementaires, avec celui du parlement européen », afin de permettre « à la diversité des sensibilités d'être représentée et d'avoir son mot à dire ». Histoire de favoriser et consolider le fragile et délicat langage commun du Front de gauche.
Source: Médiapart