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Antifascistes !

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24 janvier 2012 2 24 /01 /janvier /2012 19:40

A propos du livre de Da­niel Ben­saïd, Marx I’intempestij. Gran­deurs et mi­sères d’une aven­ture cri­tique (XIXeXXe siècles) Fayard, 1995, 415 pages.

 

Phi­lo­so­phique par son objet et par ses am­bi­tions, le livre de Da­niel Ben­saïd est en fait une in­vi­ta­tion pro­vo­cante. Le sens brisé dans les dis­ci­plines et spé­cia­li­sa­tions uni­ver­si­taires risque de se perdre dé­fi­ni­ti­ve­ment au profit de la pensée ins­tru­men­tale. Le vieil « es­prit », saisi comme une sorte de ras­sem­ble­ment de sens, risque de céder sa place au cal­culs égoïstes et in­té­ressés de la mar­chan­dise. Assez donc de l’enrichissante alié­na­tion du sa­voir, osons une aven­ture à la fois cri­tique, es­thé­tique et concep­tuelle en par­ti­cu­lier dans les di­vers do­maines des sciences hu­maines. Marx peut y servir de guide, à condi­tion que l’on le ré­veille de ses cau­che­mars sociaux-démocrates et sta­li­niens. Re­tour donc à Marx, à cet autre Marx ou­blié par les or­tho­doxies en faillite.

Le livre est or­ga­nisé en trois par­ties cor­res­pon­dant glo­ba­le­ment à trois thèses prin­ci­pales que Da­niel Ben­saïd an­nonce dans son introduction :

« In­cer­taine, l’histoire ne promet et ne ga­rantit rien.
In­dé­cise, la lutte ne ré­pare pas à tout coup les in­jus­tices.
La science sans mo­rale ne pres­crit pas le bien au nom du vrai »
 (p. 14).

A. « L’histoire ne fait rien »

Y a-t-il chez Marx une vi­sion té­léo­lo­gique de l’histoire’ ? Y a-t-il un happy end ga­ranti de l’évolution so­ciale, l’inéluctable so­ciété sans op­pres­sion ni classes, quels que soient les « dé­tours », les « dé­via­tions »,et les « dé­gé­né­res­cences » ? La cri­tique pop­pé­rienne de Marx at­tribue à celui-ci une théorie dé­ter­mi­niste de l’histoire. Marx ré­dui­rait la cau­sa­lité his­to­rique aux lois de cau­sa­lité de la phy­sique de son temps. Jon El­ster, un des re­pré­sen­tants du mar­xisme ana­ly­tique anglo-saxon, suit sur ce point la cri­tique poppérienne.

Pour­tant, Popper comme El­ster re­con­naissent à Marx une « théorie ou­verte du conflit », in­com­pa­tible avec une phi­lo­so­phie dé­ter­mi­niste de l’histoire. Ainsi, Marx leur ap­pa­raît comme un pen­seur éclec­tique et par fois incohérent.

Da­niel Ben­saïd ne conteste pas que l’on peut trouver chez Marx quelques pas­sages et quelques ex­pres­sions, en gé­néral à ca­rac­tère po­lé­mique ou di­dac­tique, pou­vant donner lieu à une telle in­ter­pré­ta­tion. Mais cette der­nière n’est pas pour au­tant moins er­ronée. Il n’y a pas chez Marx une phi­lo­so­phie dé­ter­mi­niste de l’histoire, mais bien plutôt une cri­tique pro­fonde et ra­di­cale d’une telle phi­lo­so­phie. Rien de plus étranger à Marx que la ten­ta­tive de for­muler la « loi du pro­grès » à la ma­nière de J. S. Mill ou d’A. Comte et cela est ma­ni­feste dans tout son œuvre de ma­tu­rité. Dans l’Idéo­logie Al­le­mande Marx tourne au ri­di­cule l’interprétation ca­ri­ca­tu­rale de Bruno Bauer et de Max Stirner de la phi­lo­so­phie hé­gé­lienne de l’histoire, selon les­quels la réa­lité his­to­rique ap­pa­raît comme une suite d’idées dont l’une dé­vore la pré­cé­dente pour aboutir fi­na­le­ment à la « terre pro­mise », c’est-à-dire à la « Conscience de soi ». Marx dé­nonce ex­pli­ci­te­ment cette « concep­tion re­li­gieuse » qui consi­dère les phases his­to­riques an­té­rieures comme les étapes im­par­faites et an­non­cia­trices de phases pos­té­rieures. Une telle concep­tion risque d’ailleurs, par sa lo­gique in­terne, de conduire à une jus­ti­fi­ca­tion pure et simple du fait ac­compli. Marx re­jette l’« histoire uni­ver­selle » idéale. Si l’histoire s’universalise, ce n’est pas parce qu’elle tend à une fin pré­exis­tante (la Conscience de soi, l’Idée comme ré­con­ci­lia­tion de la pensée avec le monde ob­jectif, la so­ciété sans classes), mais bien plutôt parce que le ca­pital se mon­dia­lise de sorte que l’existence em­pi­rique des hommes se dé­roule sur le plan mondial.

Cette cri­tique et dé­cons­truc­tion de l’« Odyssée » his­to­rique, dé­ve­loppée da­van­tage dans les Grun­drisse, im­plique une « nou­velle écri­ture de l’histoire » dont le chan­tier est inau­guré dans ce der­nier ou­vrage. Cette « nou­velle écri­ture » in­tro­duit les« no­tions dé­ci­sives de contre­temps et de non contem­po­ra­néité » (p. 34). Marx in­siste sur le « rap­port in­égal » et le « dé­ve­lop­pe­ment in­égal » entre pro­duc­tion éco­no­mique et pro­duc­tion ar­tis­tique, entre rap­ports de pro­duc­tions et rap­ports ju­ri­diques. Le « non-contemporant » et la ré­sis­tance du passé dans le pré­sent, ce qui l’amène à re­dé­finir le pré­sent comme une ar­ti­cu­la­tion com­plexe et conflic­tuel de la contem­po­ra­néité et de la non-contemporanéité, c’est-à-dire comme une dis­cor­dance concrète des temps. Ainsi Marx, non seule­ment nous conduit loin d’une vi­sion mé­ca­nique de la « cor­res­pon­dance » entre l’infrastructure et la su­per­struc­ture et du rap­port forces productives-rapports de pro­duc­tion, mais « inau­gure une re­pré­sen­ta­tion non-linéaire du dé­ve­lop­pe­ment his­to­rique et ouvre la voie aux re­cherches com­pa­ra­tives. » (p. 35). Le concept de « dé­ve­lop­pe­ment in­égal et com­biné » de Parvus et de Trotsky, comme celui de « non-contemporanéité » de E. Bloch s’inscrivent dans le droit fil de ces in­tui­tions marxiennes.

La cri­tique de l’histoire li­néaire im­plique une autre ap­proche du pro­grès, de la né­ces­sité, de la loi. Le pro­grès n’est pas le contraire de la ré­gres­sion, mais sou­vent l’autre face de la même pièce. Marx d’ailleurs, loin d’être un simple ad­mi­ra­teur du pro­grès tech­nique ca­pi­ta­liste, sou­ligne les ré­gres­sions so­ciales, cultu­relles et éco­lo­giques qu’il en­gendre. Le ha­sard n’est pas un ac­ci­dent de la né­ces­sité cau­sale, mais le « cor­rélat im­mé­diat du « dé­ve­lop­pe­ment né­ces­saire », le ha­sard de cette né­ces­sité ». La « loi » chez Marx n’est pas tou­jours celle de la mé­ca­nique, d’où sa cu­rieuse ca­té­gorie de « loi ten­dan­cielle ». En d’autres termes, Marx, in­con­tes­ta­ble­ment in­fluencé par la phy­sique do­mi­nante de son temps, se ré­volte contre ses étroites li­mites, de sorte que sa pensée puisse ré­sister aux dé­ve­lop­pe­ments contem­po­rains des sciences na­tu­relles. On de­vrait ajouter ici, sans exa­gérer, que l’univers lo­gique de Marx est beau­coup plus conforme à la théorie phy­sique mo­derne qu’à la mé­ca­nique clas­sique. Alors que cette der­nière se dé­ve­loppe sur la base de la lo­gique de l’essence, en Al­le­magne se dé­ve­loppe une phi­lo­so­phie de la na­ture dans la­quelle on trouve les germes de ce que Hegel ap­pel­lera plus tard « lo­gique du concept ». Il n’est donc pas aussi éton­nant si Marx re­fuse de trans­poser, sans scep­ti­cisme et es­prit cri­tique, les lois des sciences do­mi­nantes de la na­ture dans son propre do­maine d’investigation.

Une vi­sion non li­néaire de l’histoire est en contra­dic­tion avec toute no­tion de norme ou de nor­ma­lité his­to­rique. Une fois la cau­sa­lité stricte cri­ti­quée, il n’y a plus de place pour des « ac­ci­dents » ou des « dé­via­tions » his­to­riques, dont le but n’est en fait que de sauver après coup cette cau­sa­lité, en la re­la­ti­vi­sant aussi peu que pos­sible. Pour D. Ben­saïd comme pour W. Ben­jamin, c’est bien l’exception qui est la règle. Ainsi le na­zisme et le sta­li­nisme « doivent être com­battus, non au nom d’une norme his­to­rique in­trou­vable, mais au titre d’un projet qui re­ven­dique ses propres cri­tères de ju­ge­ment » (p. 49).

Cri­ti­quant le « mar­xisme ana­ly­tique », D. Ben­saïd sou­ligne que la « cor­res­pon­dance » des forces pro­duc­tives aux rap­ports de pro­duc­tion ne sau­rait se dé­cider à un ni­veau stric­te­ment éco­no­mique. Cette cor­res­pon­dance ren­voie plutôt à la pos­si­bi­lité for­melle d’existence d’un mode de pro­duc­tion, alors que la non-correspondance, la contra­dic­tion entre forces et rap­ports, se dé­cide aussi au ni­veau de la conscience po­li­tique et de la lutte des classes. De ce point de vue, la ques­tion de la « ma­tu­rité » ou de l’ « im­ma­tu­rité » d’une ré­vo­lu­tion ne se dé­finit pas à partir des cri­tères pu­re­ment quan­ti­ta­tifs. La ré­vo­lu­tion russe n’est pas plus im­ma­ture que la ré­vo­lu­tion fran­çaise. Le dé­ve­lop­pe­ment des forces pro­duc­tives ne fait rien. Il crée tout au plus des conflits dont l’issue n’a rien d’un destin pré­dé­ter­miné. Dé­cla­rons la ré­vo­lu­tion russe « im­ma­ture », et nous pou­vons passer sous si­lence toute une série de dé­bats (p. e. sur la NEP), de conflits (p. e. la ré­vo­lu­tion al­le­mande) qui pour­tant ont dé­ter­miné le sort de cette pre­mière. Le to­ta­li­ta­risme sta­li­nien n’était ni pré­vi­sible, ni iné­luc­table. Marx et En­gels eux-mêmes, loin de se conformer à cette mé­ca­nique de forces pro­duc­tives et de rap­ports de pro­duc­tion qu’on leur at­tribue abu­si­ve­ment, se sont en­gagés dans toutes les luttes de l’émancipation de l’homme, même si celles-ci n’avait au­cune chance de réus­site ; alors que la ré­vo­lu­tion russe avait une chance tout à fait réelle de changer le monde. En bref, la durée ne n’agit pas à la ma­nière d’une cause mais à la ma­nière d’une chance.

D. Ben­saïd ex­plique, de ma­nière convain­cante, l’absence du dis­cours his­to­rique ha­bi­tuel dans les Grun­drisse et dans Le Ca­pital. Elle est due à une nou­velle « épis­té­mo­logie » de l’histoire qui émerge sur les ruines de l’histoire uni­ver­selle. « Les so­ciétés d’hier ne sont pas en elles-mêmes, dans leurs im­mé­dia­teté, his­to­riques. Elles le de­viennent sous le choc du pré­sent. » (P. 41) Ce qui compte ce n’est pas de re­pro­duire le passé comme « il a été en réa­lité » ou comme simple suc­ces­sion de faits ac­com­plis, mais de le saisir comme une « tem­po­ra­lité élas­tique » où l’essentiel n’est en­core pas vé­ri­ta­ble­ment joué. Le pré­sent, pos­si­bi­lité réa­lisée du passé, est en même temps la ré­ap­pa­ri­tion dif­fé­ren­ciée de ses po­ten­tia­lités dé­çues et de ses sou­haits non réa­lisés. Le pré­sent cache dans ses pro­fon­deurs « les clefs ou­vrant les coffres du passé comme les portes du futur ». (p.41) Ainsi, la connais­sance du passé n’est pas d’ordre ho­ri­zontal mais d’ordre ver­tical. Le pré­sent est la ca­té­gorie tem­po­relle prin­ci­pale et, comme l’écrit Saint Au­gustin dans ses Confes­sions, il a trois di­men­sions : « Le pré­sent des choses pas­sées, le pré­sent des choses pré­sentes et le pré­sent des choses fu­tures ».

Le dé­pla­ce­ment des prio­rités théo­riques de Marx à partir des Grun­drisse n’a donc rien d’étonnant. Il est le ré­sultat lo­gique de ses re­cherches an­té­rieures. Dé­sor­mais il s’agit de saisir et de pré­ciser les no­tions du temps ac­tuel, ou plutôt sa no­tion, son concept. Car c’est bien le ca­pital notre temps, le temps que nous vi­vons, ou, si l’on veut – d’un autre point de vue – le temps que nous ne vi­vons pas. « Le ca­pital est une or­ga­ni­sa­tion spé­ci­fique et contra­dic­toire du temps so­cial » (p. 92). Le concept de l’économie po­li­tique mo­derne consiste dans une ar­ti­cu­la­tion com­plexe et conflic­tuelle de trois tem­po­ra­lités cor­res­pon­dant aux trois livres théo­riques du Ca­pital : le temps de la pro­duc­tion, le temps de la cir­cu­la­tion et le temps de la re­pro­duc­tion d’ensemble qui, unité des deux pré­cé­dents, est le temps or­ga­nique du ca­pital. Le pre­mier, temps li­néaire et mé­ca­nique, est le temps des cal­culs et des quan­tités, le temps des chro­no­mètres de la pro­duc­tion et des sta­tis­tiques des so­ciétés d’assurances, le temps que nous vi­vons en tant que ca­pi­taux va­riables, le temps de notre réa­lité pro­saïque, de notre réi­fi­ca­tion mar­chande et non le temps vrai qu’il faut en­core li­bérer et in­venter. Le temps de la pro­duc­tion est en d’autres termes celui de la pro­duc­tion des va­leurs mar­chandes. Le temps de la cir­cu­la­tion, et celui de la durée du ca­pital à tra­vers les cycles et les ro­ta­tions de la va­leur pro­duite. Le temps or­ga­nique, unité posée du temps de la pro­duc­tion et du temps de la cir­cu­la­tion, est celui de la vie so­ciale du ca­pital, qui, comme tout or­ga­nisme vi­vant, dure et vieillit à tra­vers un mou­ve­ment in­ces­sant de re­pro­duc­tion et d’évolution de lui-même. Le ca­pital est le temps so­cial et his­to­rique qui s’auto-régule et s’auto-organise, le temps de notre vie aliéné et étranger à nous-mêmes. Dans cette auto-organisation, la loi de la va­leur et celle de la baisse ten­dan­cielle du taux de profit jouent un rôle cru­cial. La va­leur n’est pas une simple quan­tité de tra­vail, mais plutôt le choc constant entre ven­deur et ache­teur, pro­duc­teur et consom­ma­teur, leur rap­port so­cial conflic­tuel. Ordre du désordre, prin­cipe ré­gu­la­teur d’une éco­nomie de non-équilibre, la va­leur n’est quan­ti­fiable que par le contre­coup d’une dif­fé­rence qui se fait jour en elle. Car le temps de « tra­vail so­cia­le­ment né­ces­saire », sensé être la dé­ter­mi­na­tion quan­ti­ta­tive de la va­leur, unit en lui les exi­gences dis­cor­dantes de deux points de vue an­ta­go­nistes… « so­cia­le­ment né­ces­saire » pour le pro­duc­teur mais en même temps pour le consom­ma­teur. Comme l’écrit D. Ben­saïd, le temps de tra­vail so­cial est un temps à la fois me­suré et me­su­rant. S’agit-il d’une contra­dic­tion ? Evi­dem­ment, mais d’une contra­dic­tion in­hé­rente au ca­pi­ta­lisme réel­le­ment exis­tant : « Lorsque le temps de tra­vail so­cial n’est plus va­lidé par la so­ciété du fait que le cycle entre achat et vente se brise, « le so­cial ex­clut le so­cial » » (p. 99). Le taux de profit du ca­pital, par ses fluc­tua­tions, rythme l’histoire et l’oriente. Les grandes crises ca­pi­ta­listes, ex­pres­sions vio­lentes des contra­dic­tions du ca­pital, in­ter­rup­tions du temps ho­mo­gène et vide de l’histoire, sont jus­te­ment les mo­ments de Κρίsης, c’est-à-dire les mo­ments de dé­ci­sions et de choix, donc des pos­sibles. Le dé­pas­se­ment ca­pi­ta­liste de telles crises, tou­jours pos­sible et plus ou moins pro­bable selon le cas, est la paix que le ca­pital conclut avec lui-même, qui lui as­sure une nou­velle pé­riode de crois­sance re­la­ti­ve­ment régulière.

B. La lutte des classes contre la sociologie

En effet, il n’y pas de so­cio­logie conforme aux cri­tères aca­dé­miques de la dis­ci­pline dans l’œuvre de Marx. Schum­peter – et il n’est pas le seul –s’étonne d’une telle ab­sence dans l’œuvre d’un au­teur pour le­quel l’histoire hu­maine est celle de la lutte des classes. Marx ne dé­finit même pas la no­tion de classe, il n’offre pas de cri­tères de clas­si­fi­ca­tion des in­di­vidus dé­fi­ni­tifs. Mais est-ce que Marx pro­cède par dé­fi­ni­tions et clas­si­fi­ca­tions ? En fait, qu’est-ce la clas­si­fi­ca­tion, la taxi­nomie, sinon l’arbitraire sub­jectif plaqué sur des réa­lités dy­na­miques qui se trouvent ainsi ar­ti­fi­ciel­le­ment blo­quées par l’immobilisme de leurs noms ? Si la science de la so­cio­logie pro­cède par des dé­fi­ni­tions et des taxi­no­mies, tant pis pour elle. La science al­le­mande en tout cas s’efforce à « struc­turer un en­semble selon les règles de son propre de­venir ».

Le concret est l’unité de mul­tiples dé­ter­mi­na­tions. Ainsi, plus le dé­ve­lop­pe­ment du concept avance, plus l’abstrait se concré­tise dans un mou­ve­ment où la fin est la vé­rité du com­men­ce­ment, plus les classes so­ciales se dé­ter­minent. Mais ce qui in­té­resse vé­ri­ta­ble­ment Marx, ce n’est pas d’aboutir, ne serait-ce qu’en der­nière ana­lyse, à une série de cri­tères de clas­se­ment ha­bi­tuels per­met­tant la clas­si­fi­ca­tion exacte des in­di­vidus. Peu im­porte en fait, si le contre­maître ap­par­tient plutôt à la classe ou­vrière. Ce qui compte c’est de dé­ter­miner, à dif­fé­rents ni­veaux d’analyse, les termes de la lutte et non de tracer une ligne claire de dé­mar­ca­tion. Dans le pre­mier livre duCa­pital, les termes de la lutte se dé­ter­minent à partir de la no­tion cen­trale du taux d’exploitation : lutte sur la durée de la journée de tra­vail, lutte sur les par­ties consti­tu­tives de cette journée (sa­laire, plus-value), lutte sur le contenu du tra­vail (par­cel­li­sa­tions des tâches pro­duc­tives) et sur son in­ten­sité. La classe ou­vrière y est dé­ter­minée comme celle qui, privée de moyens de pro­duc­tions, aliène son tra­vail au ca­pital et pro­duit la plus-value comme la va­leur de sa propre force de tra­vail. Du pre­mier livre du Ca­pital surgit une ques­tion im­por­tante. Com­ment le tra­vailleur mo­derne, hu­milié, mé­prisé, mor­celé, réifié dans et par son tra­vail in­dus­triel peut-il rompre le cercle vi­cieux du fé­ti­chisme, de la fausse conscience, de l’aliénation ? « Com­ment de rien de­venir tout ? » (p.125). Dans le se­cond livre du Ca­pital, la no­tion de classe se charge de nou­velle dé­ter­mi­na­tions. Le ca­pital in­dus­triel est l’unité en mou­ve­ment du procès de pro­duc­tion et du procès de cir­cu­la­tion au sens stricte. Ce der­nier ne pro­duit ni va­leur, ni plus– value. Cer­taines fonc­tions du ca­pital (achat et vente des mar­chan­dises par exemple) im­pliquent un tra­vail non pro­ductif ou in­di­rec­te­ment pro­ductif. La classe ou­vrière s’élargit donc main­te­nant à partir des dé­ter­mi­na­tions in­di­rec­te­ment liées au taux d’exploitation et au procès de pro­duc­tion. Les cycles du ca­pital im­pliquent un tra­vail pro­ductif et un tra­vail non pro­ductif car leur fi­na­lité, la réa­li­sa­tion d’un profit, ne pré­sup­pose pas seule­ment la pro­duc­tion de va­leur et de plus-value mais aussi leur cir­cu­la­tion. Ainsi, la no­tion de classe chez Marx n’a ja­mais im­pliqué l’homogénéité plus ou moins grande des ca­té­go­ries socio-profesionnelles. La classe ou­vrière n’a ja­mais été ho­mo­gène de ma­nière em­pi­rique (ni d’ailleurs la bour­geoisie). Dans le troi­sième livre du Ca­pital, cer­tains actes du ca­pital in­dus­triel se dé­doublent de sorte qu’à côté du pre­mier ap­pa­raissent le ca­pital com­mer­cial, le ca­pital fi­nan­cier etc., et donc le com­mer­çant, le ban­quier, le ges­tion­naire. De cette ma­nière, comme la classe ca­pi­ta­liste se dif­fé­rencie sans perdre son iden­tité fon­da­men­tale, les tra­vailleurs de la sphère de la cir­cu­la­tion (com­merce, crédit, pu­bli­cité, as­su­rances, ges­tion etc.) n’appartiennent pas à une troi­sième classe, même si leurs re­venus consti­tuent une partie de la plus value so­ciale, à la pro­duc­tion de la­quelle ils contri­buent in­di­rec­te­ment. Les deux classes prin­ci­pales de la so­ciété mo­derne s’y dé­ter­minent et se dé­li­mitent ré­ci­pro­que­ment selon leurs fonc­tions an­ta­go­nistes dans le pro­cessus de la re­pro­duc­tion d’ensemble. Ce qui unit né­ces­sai­re­ment la classe ca­pi­ta­liste d’un côté, la classe ou­vrière de l’autre côté, est leurs op­po­si­tion éco­no­mique ré­ci­proque non seule­ment au ni­veaux du rap­port d’exploitation de la pro­duc­tion mais au ni­veaux de la dis­tri­bu­tion des rôles et des re­venus dans le pro­cessus d’ensemble.

Contrai­re­ment donc à la so­cio­logie po­si­tive, qui d’ailleurs s’est his­to­ri­que­ment dé­ve­loppée comme « en­tre­prise de dé­po­li­ti­sa­tion » et « an­ti­dote à la lutte des classes » (p. 120, en note) dans une pé­riode post-révolutionnaire, Marx « suit la lo­gique de ses mul­tiples dé­ter­mi­na­tions. Il ne « dé­finit » pas une classe. Il ap­pré­hende de re­la­tions de conflits entre classes. Il ne pho­to­gra­phie pas un fait so­cial éti­queté classe. Il vise le rap­port de classe dans sa dy­na­mique conflic­tuelle. Une classe isolée n’est pas un objet théo­rique, mais un non-sens » (p. 132).

Bien sûr, Marx n’a pas pu achever sa théorie des classes so­ciales. Le Ca­pital finit brus­que­ment au mi­lieu d’une page lais­sant ainsi in­achevé le cha­pitre spé­ci­fique consacré aux classes so­ciales. Mais de quoi s’agirait-il en fait dans ce cha­pitre, si Marx avait eu le temps de le finir ? Permettons-nous une spé­cu­la­tion : ce cha­pitre « final » se­rait une or­ga­ni­sa­tion des dé­ter­mi­na­tions an­té­rieures et en même temps une in­tro­duc­tion à la théorie de l’Etat. Car il est im­pos­sible d’achever une théorie des classes sans une théorie de l’Etat, pas plus traitée dans Le Ca­pital que cette pre­mière. L’Etat ca­pi­ta­liste — comme d’ailleurs le marché mon­dial — par­ti­cipe au procès de la re­pro­duc­tion d’ensemble, il fait partie des rap­ports de pro­duc­tion ca­pi­ta­listes. Son ana­lyse est donc es­sen­tielle — tout au­tant que celle du marché mon­dial — à l’approfondissement de l’analyse des termes de la lutte.

La po­li­tique n’est pas ré­duc­tible à l’antagonisme bi­po­laire des classes, tout en étant or­ga­ni­que­ment liée à celui-ci. La re­pré­sen­ta­tion po­li­tique n’est pas un mi­roir simple dans le­quel se re­flète une na­ture so­ciale conflic­tuelle, mais plutôt un mi­roir à la fois dé­for­mant et mul­ti­forme. La lutte po­li­tique a quelque pa­renté avec le sujet en psy­cha­na­lyse. « Ar­ti­culée comme un lan­gage, elle opère par dé­pla­ce­ments et conden­sa­tions des contra­dic­tions so­ciales. Elle a ses rêves, ses cau­che­mars et ses lapsus » (p. 133). La po­li­tique a aussi ses confu­sions men­tales, ses dé­pres­sions ner­veuses et ses psy­choses, même si D. Ben­saïd, selon une ar­gu­men­ta­tion re­mar­quable, ne veut pas dé­finir le fas­cisme et le sta­li­nisme comme des états « pa­tho­lo­giques » mais comme des si­tua­tions his­to­riques in­édites. La po­li­tique d’extermination mas­sive des juifs n’a-t-elle pas pris la di­men­sion d’une vé­ri­table psy­chose ca­tas­tro­phique, échap­pant à toute fi­na­lité rai­son­nable, à toute lo­gique ? Les ré­gimes to­ta­li­taires ont peut-être leur « lo­gique » propre, cer­tains de ses actes ce­pen­dant re­lèvent de la pa­tho­logie, car leur seule com­pré­hen­sion pos­sible est d’ordre psy­cha­na­ly­tique psychiatrique.

Cette « an­ti­so­cio­logie » mé­tho­do­lo­gique de Marx permet à Da­niel Ben­saïd de cri­ti­quer no­tam­ment les concep­tions assez « so­cio­lo­giques » du « mar­xisme ana­ly­tique » sur la ques­tion de l’exploitation et de la jus­tice et les Adieux au pro­lé­ta­riat d’A. Gorz, re­si­tuant ainsi des dis­cus­sions an­ciennes sur une base nou­velle et fertile.

C. La science sub­ver­sive allemande

« Science du troi­sième type, dit Spi­noza. Science du contin­gent pré­cise Leibniz. Science spé­cu­la­tive ajoute Hegel. « Science al­le­mande », ré­sume Marx. » (pp. 247 – 248). La connais­sance du « troi­sième type », in­tui­tive et ra­tion­nelle à la fois, n’oppose pas le par­ti­cu­lier à l’universel de la ma­nière ha­bi­tuelle. Plus nous connais­sons les choses sin­gu­lières, plus nous connais­sons Dieu, l’universel, la sub­stance. Spi­noza cri­tique donc le dua­lisme de la ré­flexion et no­tam­ment la vi­sion duale du monde qui ca­rac­té­rise la phi­lo­so­phie kan­tienne. Le monde constitue chez lui une seule to­ta­lité. C’est d’ailleurs pour cette raison que Hegel rend à Spi­noza un hom­mage tout par­ti­cu­lier : « Spi­noza est le point cen­tral de la phi­lo­so­phie mo­derne : sans spi­no­zisme il n’y a pas de phi­lo­so­phie ». Cette to­ta­lité est ce­pen­dant ob­tenue, si l’on exa­mine la phi­lo­so­phie spi­no­zienne de plus près, de la « des­truc­tion » des choses sin­gu­lières et dé­ter­mi­nées. Toute dé­ter­mi­na­tion, dit Spi­noza à juste titre, est une né­ga­tion. Les « at­tri­buts » de la sub­stance spi­no­zienne, l’« étendue » (la na­ture) et la pensée, s’avèrent chez lui comme des dé­ter­mi­na­tions et donc des né­ga­tions. Ils sont donc en eux-mêmes in­com­plets et dé­pen­dants. Ils n’ont pas une exis­tence réelle et ef­fec­tive, ils n’existent pas en et pour soi. Ainsi, toute chose dé­ter­minée est né­ces­sai­re­ment zu Grunde. Quelle construc­tive am­bi­guïté de cette ex­pres­sion al­le­mande : zu Grunde gehen si­gnifie « dis­pa­ri­tion » et en même temps re­tour au « fon­de­ment ». La sub­stance est donc l’unité simple de l’esprit avec lui-même, sa li­bé­ra­tion des contenus finis. L’esprit est la seule po­si­ti­vité ab­solue, in­fi­nité et af­fir­ma­tion vé­ri­tables. La sub­stance est l’abstraction dans la­quelle dis­pa­raît l’éphémère et le fini. C’est pour cette raison qu’elle est, selon Hegel, le « début de la phi­lo­so­phie et sa base ab­solue ». Mais seule­ment le début. Car dans la sub­stance tout dis­pa­raît et rien ne res­sort. Il lui manque, comme le note Hegel, l’activité et la sub­jec­ti­vité. Elle est seule­ment une abs­trac­tion qui ne sait pas se concré­tiser, une uni­ver­sa­lité qui ne se peut se par­ti­cu­la­riser, un Dieu passif et, en der­nière ana­lyse, im­puis­sant. Les at­tri­buts ex­pri­mant la sub­stance d’une ma­nière in­adé­quate, ils dé­si­gnent plutôt ce que la sub­stance n’est pas. Dieu ne crée donc pas le monde, le logos n’est pas au com­men­ce­ment mais plutôt à la fin, il est le pro­duit d’un « Zu-Grunde-Gehen » des choses. Le fondé (les at­tri­buts) fonde le fon­de­ment (la sub­stance), alors que le fon­de­ment, ré­duit à un rôle passif, ne fonde pas le fondé. Le dua­lisme de la ré­flexion chassé par la porte entre par la fe­nêtre, car le concret n’appartient pas au contenu de la sub­stance, mais il est posé face à elle comme un autre.

La phi­lo­so­phie hé­gé­lienne com­mence là où la phi­lo­so­phie spi­no­ziste s’arrête. La sub­stance de­venue sujet est le concept hé­gé­lien (et le ca­pital de Karl Marx). Spi­noza reste à la sub­stance abs­traite, car il saisit la né­ga­tion d’une ma­nière uni­la­té­rale. Le penser, écrit Hegel, est aussi quelque chose de dé­ter­miné (ein Bes­timmtes) car il contient la né­ga­tion. L’affirmation vé­ri­table du penser pro­vient jus­te­ment d’une né­ga­tion de la né­ga­tion, de la né­ga­tion de la forme ce qui est la forme ab­solue. En d’autres termes le penser n’est pas une « mo­di­fi­ca­tion » de la sub­stance, il ne l’exprime pas de ma­nière in­adé­quate car son mou­ve­ment conti­nuel est la forme de son im­mo­bi­lisme es­sen­tiel, sa mo­di­fi­ca­tion est sa ma­nière de rester iden­tique à lui-même. Mou­ve­ment et repos, né­ga­tion et af­fir­ma­tion, temps et es­pace ne sont plus liés par le fa­meux « aussi » qui « combat la phi­lo­so­phie ». Le mou­ve­ment qui n’est pas en mou­ve­ment est repos, la né­ga­tion de la né­ga­tion est af­fir­ma­tion, le temps est le de­venir de l’espace (et de l’histoire), la mort est la vie du genre, la dis­pa­ri­tion de la va­leur d’usage est la va­leur d’échange, l’ordre est la face in­vi­sible du désordre, le ha­sard a sa né­ces­sité, l’équilibre éco­no­mique (vé­ri­table, c’est-à-dire non celui, ima­gi­naire, de Walras) est la ré­gu­la­tion du déséquilibre.

Le monde dans son unité est la sub­jec­ti­vité qui s’auto-produit, le concept qui pro­duit ses contenus concrets, par­ti­cu­liers et finis et qui les dé­truits dans un pro­cessus sans fin pour s’affirmer lui-même comme le seul contenu va­lable et in­fini. Chez Spi­noza,« il y a trop de Dieu », écrit Hegel. Il y a trop d’universel pourrait-on tra­duire, il n’y a que l’universel.

D. Ben­saïd donne par­fois l’impression, à tra­vers cer­taines phrases im­pru­dentes, de traiter du rap­port de Marx à Spi­noza et à Hegel, comme si ces deux der­niers phi­lo­sophes avaient exercé une in­fluence com­pa­rable sur Marx. D’abord Spi­noza n’est pas ab­sent chez Hegel, — ni d’ailleurs Leibniz et sa « contin­gence » dont l’influence sur Marx est en­core moins im­por­tante que celle de Spi­noza -, puis toute la lo­gique duCa­pital (ce que D. Ben­saïd dit très ex­pli­ci­te­ment) est une lo­gique du concept. Le ca­pital lui-même n’est pas autre chose que le syl­lo­gisme du pou­voir et plus pré­ci­sé­ment une ap­pli­ca­tion concrète de l’« idée » hé­gé­lienne. Comme dans les sciences de la na­ture, en lo­gique phi­lo­so­phique il y a une ac­cu­mu­la­tion des connais­sances, même si cette der­nière n’est pas aussi linéaire.

Il ne s’agit pas ici de contester l’influence de Spi­noza et de Leibniz sur Marx, mais plutôt de sou­li­gner, en­core une fois, le ca­rac­tère concep­tuel de la lo­gique du Ca­pital, dont il faut saisir la vé­ri­table portée. D. Ben­saïd écrit à juste titre que Le Ca­pital suit les trois mo­ments sui­vants du dé­ve­lop­pe­ment du concept hé­gé­lien : mécanisme-production, chimisme-circulation (au sens stricte), té­léo­logie (plus pré­ci­sé­ment vie)-reproduction d’ensemble. Avant d’entrer dans quelques dé­tails, no­tons ceci : si, selon Marx, le ca­pital ne dif­fère pas dans sa lo­gique de l’idée hé­gé­lienne (thèse que D. Ben­saïd ac­cepte à juste titre), en quoi l’idéalisme hé­gé­lien diffère-t-il du ma­té­ria­lisme mar­xien ? Chez Hegel, les contra­dic­tions du concept sont le mo­teur vé­ri­table du sa­voir. Chez Marx, la dou­leur so­ciale est le mo­teur vé­ri­table de la so­ciété. Le concept phi­lo­so­phique de l’un est le rap­port socio-économique de l’autre. Le pre­mier pense la pensée, le se­cond montre com­ment la so­ciété est une pensée qui se pense. Le pre­mier pense « maî­triser » le concept, le se­cond montre de quelle ma­nière le concept nous gou­verne. En d’autres termes, l’homme (à tra­vers la ré­vo­lu­tion fran­çaise) n’a pas construit le monde d’après l’idée, mais l’idée s’est au­to­no­misée pour de­venir, contre l’homme, son monde in­ha­bi­table et aliéné. Ainsi – contrai­re­ment à une opi­nion très ré­pandue mais sans fon­de­ment – ce qui les sé­parent est en fait la théorie du fé­ti­chisme et de l’aliénation telle qu’elle ap­pa­raît dans Le Ca­pital. A part cela nous ne voyons pas d’autres dif­fé­rences essentielles.

Le ca­pital, écrit Marx, est une « abs­trac­tion in actu ». Cela veut dire que le ca­pital n’est pas une abs­trac­tion simple, c’est-à-dire une sub­stance, mais une sub­stance (la va­leur) qui est de­venue sujet (le ca­pital). Com­prendre ceci est la clé pour saisir la lo­gique du Ca­pital.

Dans le cadre d’une lo­gique concep­tuelle l’essence ne s’oppose pas au phé­no­mène de la ma­nière ha­bi­tuelle car elle est sou­mise au exi­gences du concept. La va­leur n’explique pas le prix de la ma­nière ha­bi­tuelle. Comme le montre d’ailleurs D. Ben­saïd, la va­leur se dé­double en elle-même en va­leur et prix, et se dé­ter­mine ainsi comme le rap­port conflic­tuel entre tra­vail dé­pensé et tra­vail re­connu, rap­port qui dé­ter­mine la ré­par­ti­tion du tra­vail so­cial, comme prin­cipe ré­gu­la­teur de la di­vi­sion so­ciale du tra­vail. La va­leur comme ca­pital est, si l’on veut, l’ordre ré­gu­lant de l’intérieur son­propre désordre ex­té­rieur. Le désordre est phé­no­ménal d’un double point de vue. Il est la forme d’apparence de l’ordre à la conscience or­di­naire, qui y voit le chaos ori­ginel ou un ordre ima­gi­naire, et la forme d’apparition ou d’extériorisation de l’ordre dans toute sa com­plexité (le désordre saisi est ordre). L’essence que le phé­no­mène cache est dans le phé­no­mène et celui-ci montre la ma­nière dont il la cache. Ainsi, il la ré­vèle. Il ap­par­tient à la na­ture de la va­leur de se ca­cher der­rière le prix. Mais le prix finit par trahir la va­leur se dé­voi­lant ainsi lui-même comme son ex­pres­sion. Le phé­no­mène est l’apparaître de l’essence en elle-même. Y com­pris les men­songes du phé­no­mène sont ceux de l’essence, car l’idéologie est, elle aussi, es­sen­tielle. Un ca­pi­ta­lisme sans idéo­logie ne se­rait pas un ca­pi­ta­lisme mais un sys­tème fondé sur la vio­lence pure et simple. Chez Marx, il y a es­sen­tia­li­sa­tion du phé­no­mène, comme il y a phé­no­mé­na­li­sa­tion de l’essence, in­té­rio­ri­sa­tion de l’extérieur et ex­té­rio­ri­sa­tion de l’intérieur, car ce qui est vé­ri­ta­ble­ment réel et ef­fectif est leur unité vivante.

Le ca­pital est chez Marx un or­ga­nisme vi­vant et donc un pro­cessus té­léo­lo­gique, c’est-à-dire un pro­cessus qui se com­prend par sa fi­na­lité. Cette fi­na­lité est la réa­li­sa­tion d’un profit ou sa propre re­pro­duc­tion. Plus pré­ci­sé­ment, il se re­pro­duit grâce aux trois cycles vi­taux du ca­pital in­dus­triel qui est le ca­pital sous sa forme fon­da­men­tale. Le cycle du capital-argent, le cycle du ca­pital pro­ductif et le cycle du capital-marchandise. Ces trois cycles unis et in­ter­dé­pen­dants dé­si­gnent chacun une pro­priété du ca­pital : re­pro­duc­tion dans le sens de mul­ti­pli­ca­tion, re­pro­duc­tion dans le sens d : conser­va­tion de soi, as­si­mi­la­tion des be­soins so­ciaux. Ils ren­voient en même temps à trois rythmes éco­no­miques fon­da­men­taux : rythme de pro­duc­tion de profit, rythme de re­pro­duc­tion so­ciale de la va­leur et rythme d’élargissement des be­soins sol­vables na­tio­naux et in­ter­na­tio­naux. Des rap­ports de pro­por­tion­na­lité entre ses trois rythmes dé­pendent la crois­sance et la crise. II n’y a rien qui est pour le ca­pital, qui n’est pas pré­sent, ne serait-ce que de ma­nière im­pli­cite ou abs­traite, dans ces trois cycles vi­taux. Ils dé­si­gnent donc la to­ta­lité, ils sont en quelque sorte la « pé­ri­phérie » ra­tion­nelle de la to­ta­lité, qui doit se concré­tiser par des dif­fé­ren­cia­tions internes.

« Abs­trac­tion in actu », c’est-à-dire ac­tive, le ca­pital agit de ma­nière à se concré­tiser. Il est, en d’autres termes, le sujet qui se fait son propre objet. Ce pro­cessus de concré­ti­sa­tion est double. D’abord, il crée ses dé­ter­mi­na­tions « stables » par dif­fé­ren­cia­tions in­ternes. Chez Marx, la mar­chan­dise, la mon­naie, le ca­pital, com­mer­cial, le ca­pital por­teur d’intérêt etc., dé­ter­mi­na­tions qui exis­taient bien avant le ca­pi­ta­lisme, sont pour ainsi dire, en tant que dé­ter­mi­na­tions lo­giques et en même temps ef­fec­tifs, ré­créés par le ca­pital in­dus­triel. La mar­chan­dise du troc n’est pas la même que celle du ca­pital, car la va­leur de la se­conde seule­ment est dé­ter­minée par le temps de tra­vail so­cial. Le ca­pital com­mer­cial et le ca­pital por­teur d’intérêt pré­ca­pi­ta­listes ne pro­viennent pas d’un dé­dou­ble­ment des fonc­tions du ca­pital in­dus­triel pour la simple raison que ce der­nier n’existait pas en­core. Le concept ne trouve pas ses dé­ter­mi­na­tions toutes prêtes dans la pré­his­toire ca­pi­ta­liste, il y trouve tout au plus leur nom. Oui, il y a un dé­ve­lop­pe­ment lo­gique du concept dans Le Ca­pital. Il com­mence par l’objet le plus simple de l’économie qui est la mar­chan­dise. Mais dans le membre d’un or­ga­nisme, il y a la to­ta­lité tout en­tière sous une forme im­pli­cite et condensée. On ouvre la mar­chan­dise et on dé­couvre un monde. Il faut d’abord que ce monde ap­pa­raisse tout en­tier comme une to­ta­lité à la fois lo­gique et ef­fec­tive pour que l’on sai­sisse vé­ri­ta­ble­ment ce qu’il y avait dans ce com­men­ce­ment. La mar­chan­dise du pre­mier cha­pitre du Ca­pital s’engage dans un dia­logue cri­tique et au­to­cri­tique avec l’argent et de ce dia­logue sur­gissent des dé­ter­mi­na­tions nou­velles et ainsi de suite, le logos qui est au com­men­ce­ment se com­plexifie et se dé­ve­loppe. Le dé­ve­lop­pe­ment concep­tuel se sou­vient de ses mo­ments an­té­rieurs, sans cesse éclairés d’une lu­mière nou­velle et plus riche. Puis, le ca­pital crée ses contenus his­to­riques concrets et par­ti­cu­liers, c’est-à-dire ses formes ins­ti­tu­tion­nelles et po­li­tiques, entre en conflit avec elles – conflits qu’on ap­pelle ha­bi­tuel­le­ment crises struc­tu­relles – et les dé­passe éven­tuel­le­ment grâce à sa ca­pa­cité de re­dé­finir et de re­con­cré­tiser ses formes ce que lui permet une nou­velle phase de dé­ve­lop­pe­ment re­la­ti­ve­ment ré­gu­lière. Ce que cer­tains au­teurs ap­pellent « ré­gu­la­tion » n’est rien d’autre que la paix sin­gu­lière que le ca­pital conclut avec lui-même et qui lui permet une nou­velle pé­riode de crois­sance plus ou moins longue. Cette paix est sin­gu­lière, car elle est le com­promis entre la lo­gique abs­traite du ca­pital et les formes ins­ti­tu­tion­nelles et po­li­tiques concrètes dans les­quelles cette lo­gique d’ordre uni­ver­selle se par­ti­cu­la­rise. Le ca­pital se dé­finit ainsi comme la lo­gique de sa propre histoire.

Nous re­ve­nons main­te­nant au point de dé­part. L’histoire du ca­pital est d’un cer­tain point de vue té­léo­lo­gique, car elle se com­prend par son but. : la re­pro­duc­tion du ca­pital dans un en­vi­ron­ne­ment éco­no­mique, so­cial et in­ter­na­tional en constante mu­ta­tion. Elle ne se com­prend pas par sa fin (dans le sens de Τeλός), car, comme nous l’avons montré, cette fin n’est ni pré­vi­sible, ni iné­luc­table. L’histoire n’a rien d’un destin pré­dé­ter­miné. Nous vi­vons dans un monde de né­ces­sités re­la­tives, de pos­si­bi­lités li­mi­tées et de scé­na­rios plus ou moins probables.

La science al­le­mande est une science du concept. Elle est puis­sante car le point de vue de la science de la na­ture, dé­fi­ni­tion, cau­sa­lité, force, loi, né­ces­sité, etc., est pré­sent comme auf­ge­ho­benes Ob­jekt (objet conservé et sup­primé) dans une lo­gique de re­la­tions plus riche. Elle a, grâce à sa mé­thode, une grande ca­pa­cité d’intériorisation des connais­sances nou­velles et elle est très à l’aise dans les théo­ries phy­siques contem­po­raines (la théorie du chaos) dont on y trouve les traces. Elle est sub­ver­sive par sa mé­thode et par ses ré­sul­tats. Elle tour­mente le pacte de la science po­si­tive et du pou­voir, où le lo­gique et le né­ces­saire ont si sou­vent coïn­cidé avec les réa­lismes cy­niques, aveugles et par­tiels du capital.

A titre de conclu­sion nous nous li­mi­tons à noter ceci : le livre de D. Ben­saïd re­nou­velle à bien des égards la connais­sance de l’œuvre de Marx et constitue une contri­bu­tion in­dis­pen­sable à la cris­tal­li­sa­tion d’un cou­rant de pensée que l’on pour­rait qua­li­fier de « mar­xisme cri­tique et dialectique ».

Stravos Tom­bazos

Source: Nouveaux cahiers du socialisme

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commentaires

Non au Front National !

Camarades ,

Ne nous livrons pas aux chants des sirènes fascistes, qui sous couvert d'un discours anti-systémique bien rôdé, ne visent qu'à instaurer un régime aux relents des années 30. Ne soyons pas naifs face à ce nouvel ordre moral que veulent imposer par le mensonge et la peur les tenants de la haine et du "sang pur". Sous couvert d'une fausse expression démocratique et médiatique, le FN ne s'est jamais détaché de ce qui a construit son origine : une droite populaire qui rejette le prolétaire, une droite chrétienne qui rejette le non-croyant ou l'autre croyant, une droite corporatiste qui rejette l'union des travailleurs. Le FN a ses petits groupuscules néo-nazi dont il se défend d'être en lien publiquement mais avec qui il travaille bien tranquillement  : GUD, bloc identitaire et autres "natios".

    Et lorsque l'on se penche sur son programme politique le vernis craque : Contre la retraite par répartition et tout ce qu' a fondé le CNR de 1945 (où était-il lors des manifs de 2010 ?)  , contre les droits des salariés ( poujadiste un jour, poujadiste toujours !) etc... 

De nombreux documents démontrent l'imposture du FN. L'UPAC vous en propose deux :

- Celui du collectif communiste Prométhée dans son numéro 85, (site net : http://promcomm.wordpress.com), 5 pages.

-Celui du collectif VISA (Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes), qui s'intitule "FN, le pire ennemi des salarié(e)s" et dont le lien est sur le blog, 29 pages. 

 

Ne lâchons rien ! 

Face au bras tendu du facho, levons le poing ferme du prolo !! 

 

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