L’évocation des CSR dans les ouvrages d’Histoire est très partielle, voire totalement occultée. Les ouvrages consacrés au mouvement syndical sont obligés d’évoquer les CSR mais de façon bien évasive, à tel point que l’on finit par se demander si la presse et les archives d’époque ont véritablement été feuilletées par les historiens.
Nous avions nous mêmes fini par sous-estimer l’action des CSR, ne voyant en eux qu’un simple et provisoire instrument d’affrontement interne dans la CGT.
Pourtant les CSR ont pour particularité d’avoir été l’organisation révolutionnaire la plus puissante qui n’ait jamais existé. Les archives internes des CSR n’ont toujours pas été retrouvées. Pour donner une estimation de son influence on doit donc se reporter aux comptes rendus d’activités publiés alors dans chaque numéro de la Vie Ouvrière et de L’Humanité, chacun de ces journaux y consacrant une rubrique spéciale.
Victor Godonnèche, dans un article de 1922, établit le chiffre de 15 000 adhérents individuels, dont 7 000 dans le département de la Seine (Paris et proche banlieue). En outre, de nombreux syndicats ont adhéré en tant que tel à la tendance. Tous les membres de ces syndicats n’étaient pas des militants SR mais ceux qui l’étaient viennent s’ajouter aux adhésions individuelles. Ce sont donc plusieurs dizaines de milliers de militants qui intègrent les rangs des CSR.
En décembre 1921, les syndicats acquis aux CSR sont désormais majoritaires dans la CGT. En un an, la tendance a donc réussi à transformer le rapport de force dans la confédération. Ce qui explique le basculement des UD et des fédérations. La progression des syndicalistes révolutionnaire (SR) est réelle et constante avant octobre 1920 mais avec la création de la tendance elle devient fulgurante. Chaque semaine des organisations puissantes basculent, suite à la tenue de congrès.
La raison en est simple : la bureaucratie, organisée au sein des instances officielles de la CGT, trouve désormais en face d’elle une organisation parallèle menant un débat systématique dans les syndicats, les UL, les UD et les fédérations. À chaque congrès remporté par la « minorité », la tendance réformiste perd le contrôle d’un rouage de l’appareil. L’organisation lui échappant rapidement, elle finit donc elle aussi par s’organiser dans la précipitation en tendance plus ou moins secrète.
Le premier succès des CSR est d’avoir permis l’unification organique des révolutionnaires, une unification qui permet provisoirement une autre unification, stratégique.
Nous verrons que la décomposition des CSR a eu pour effet de produire une décomposition politique du mouvement révolutionnaire ouvrant la voie à 90 années de sectarisme et de confusion.
Une lente maturation
En 1914, le mouvement syndicaliste révolutionnaire traverse une crise profonde. Dans la CGT, rares sont les organisations qui maintiennent leur orientation « révolutionnaire ». Même parmi les syndicats les plus acquis aux thèses SR, la démoralisation politique est profonde. Les « minoritaires », tels qu’ils vont désormais s’appeler, sont amenés à constater que seules les organisations de tendance ont conservé leurs repères, en l’occurrence le groupe de La Vie ouvrière et les Jeunesses syndicalistes. Il faudra attendre encore un certain temps pour que des fédérations à majorité SR, comme celle de l’Education, se redressent.
Pour les minoritaires il s’agit désormais de s’organiser en regroupant les éléments sûrs. Mais la structuration des syndicats ne doit pas pour autant être laissée de côté. Les forces sont tellement réduites qu’il faut aussi attirer à soi les intellectuels écœurés par les atrocités de la guerre.
Car l’enjeu immédiat n’apparaît pas être la Révolution mais l’arrêt des hostilités. Les premiers regroupements vont donc prendre la forme d’une succession d’initiatives rassemblant de façon confuse des organisations de « masse » et des militants mais aussi structures syndicales et des structures affinitaires.
Contrairement aux âneries écrites depuis des décennies, le SR ne sort pas discrédité de l’épreuve de 1914. Au contraire, c’est le seul courant à avoir maintenu un minimum d’intégrité. Les autres courants, ceux-là même qui se présentaient comme un dépassement de la crise du syndicalisme de 1909, sombrent totalement dans la collaboration de classe. C’est le cas des guesdistes, de l’ultra gauche organisée autour de La Guerre sociale mais aussi du courant anarcho-communiste dont les principaux meneurs rallient l’Union sacrée.
Il n’apparaît donc pas étonnant que la priorité pour les bolchéviques est de rallier à eux le courant SR. Mais ce sont avant tout les jeunes militants ouvriers qui utilisent le SR comme pôle de ralliement.
Les SR se sont retrouvés dès 1914 à l’avant-garde de la lutte contre la guerre. Cette hégémonie va se confirmer avec le développement des grèves en 1916. La lutte anti-militariste s’appuie désormais sur des mobilisations ouvrières, le plus souvent animées par les SR. Un Comité de Défense syndicaliste se donne pour vocation de structurer cette action. Mais ce CDS regroupe de façon confuse des syndicats et des comités locaux de militants.
Cette confusion est d’autant plus regrettable que la situation syndicale est en train de changer. La révolution russe de février 1917 donne une impulsion à tout le mouvement ouvrier européen. L’enjeu n’est plus seulement de stopper la guerre mais la perspective socialiste commence à réapparaître à l’horizon.
Cette évolution s’accélère avec la révolution russe d’octobre 1917. Désormais, chaque militant doit choisir entre une option réformiste et une option révolutionnaire. La nécessité d’outils révolutionnaires devient désormais une priorité. La majorité de la bureaucratie syndicale française refuse catégoriquement la perspective révolutionnaire. Elle va donc manœuvrer pour encadrer les luttes ouvrières qui se font de plus en plus massives et violentes. Un affrontement politique s’accentue un peu plus chaque jour dans la CGT, ce qui renforce le besoin d’organisation interne pour les « minoritaires ».
Cette nécessité va être provisoirement fragilisée par des initiatives extérieures. Nous verrons que certains militants essaient de créer une autre confédération. Mais des révolutionnaires tentent aussi de s’organiser sur une base affinitaire, en reproduisant un modèle bolchévique idéalisé. Un premier Parti communiste est constitué en 1919 par le rassemblement de la mouvance d’ultra-gauche (libertaire et marxiste). Il se veut un dépassement du SR et fantasme sur des « soviets » à la française qui ne seront jamais autre chose que des groupuscules de militants. Sa composition sociale et sa vision idéaliste de la Révolution transforment rapidement l’initiative en fiasco total.
En parallèle, les tendances de « gauche » et du «centre » dans SFIO (PS) commencent à pousser dans le sens d’un ralliement à l’Internationale communiste. Cette démarche crée un élan mais les plus syndicalistes et les plus perspicaces savent très bien que ce parti, même épuré de ses membres les plus compromis dans la collaboration de classe, ne sera jamais un parti révolutionnaire et encore moins prolétarien.
C’est donc ailleurs que les révolutionnaires vont s’organiser : dans leur organisation de classe.
L’action des CSR
Les CSR vont animer deux grands axes d’intervention, qui sont bien entendu liés. Le premier, celui qui va concentrer le maximum d’énergie, c’est la propagande dans la CGT afin d’obtenir un changement de majorité. Cette action remportera un succès quasi-total.
Mais les CSR se fixent aussi une action clairement révolutionnaire, en tant que tendance dans la CGT.
La bataille de tendance dans la CGT :
La conquête des UD est planifiée par des tournées de propagande, organisée à un échelon « régional ». Les bastions déjà constitués servent de point d’appui.
Mais l’élément fondamental va être le basculement, le 28 novembre 1920, de l’UD du Département de la Seine. Ce fait n’est pas un accident. La victoire des CSR est acquise grâce au travail de tendance déjà entrepris par le Comité des Syndicats minoritaires de la Seine. Ce dernier s’est déjà transformé en CSR départemental, regroupant comme son prédécesseur à la fois les Syndicats minoritaires et les noyaux professionnels CSR. Un congrès départemental des CSR se tient le 31 octobre et premier novembre 1920. L’ordre du jour est consacré à la préparation du prochain congrès de l’UD. Mais cette perspective s’inscrit dans une vision bien plus politique que la simple conquête de l’UD. Les militants des CSR ont conscience que leur UD jouera un rôle déterminant dans le processus révolutionnaire qu’ils pensent proche. Ainsi il est décidé de relancer et d’appliquer au plus tôt la fusion des derniers syndicats de métiers dans de puissants syndicats d’industrie, ceci afin de préparer les luttes efficacement mais aussi de permettre la gestion de l’économie par les Syndicats avec des « conseils d’usines » dans chaque entreprise. Le CSR de la Seine entend aussi combattre pour la reconnaissance de « délégués d’atelier, de chantier, de bureau et de magasin » pour renforcer le pouvoir syndical dès à présent dans les entreprises.
Le 9 décembre 1920, ce sont trois membres des CSR, qui sont élus comme secrétaires de l’UD. L’impact est terrible pour la direction réformiste car l’UD de la Seine constitue l’organisation la plus puissante de la CGT. Et dans cette victoire, l’action des CSR est apparue comme un véritable rouleur compresseur. Ce sont les « CSR- Comité des Syndicats Minoritaires de la Seine » qui ont pris en main la campagne électorale interne. Dans une circulaire départementale signée de Dondicol, qui fait suite au congrès, le CSR départemental organise l’élection du Bureau et de la CE. À cette date, le congrès a déjà été gagné. Il s’agit désormais de proposer une équipe militante destinée à « reprendre le travail de recrutement et d’organisation » et à assurer un travail « d’éducation révolutionnaire de la masse ». « Pour réaliser cette action, une unité de vue, une homogénéité parfaite du bureau et de la CE sont indispensables. Un même idéal doit animer ceux à qui incombera la responsabilité de diriger l’organisation. C’est pour cela que le CSR de la Seine vous demande instamment de voter pour tous les candidats qu’il présente, mandatés par 50 syndicats, et d’éviter tout panachage qui serait un obstacle pour mener à bien la gestion de notre union ».
Le résultat des ces élections ne démontre pas seulement la progression rapide des CSR, elle souligne aussi les tensions internes. Dans le département de la Seine, il n’est désormais plus envisageable de travailler correctement avec une CE représentative de l’ensemble des syndicats. Les révolutionnaires, tout comme les réformistes, veulent fonctionner de façon homogène. Il n’y a plus de confiance quant à l’application des mandats par les représentants syndicaux de l’autre tendance.
Le basculement de l’UD de la Seine était plus que prévisible. Mais le même jour c’est l’UD de Moselle qui tombe aussi. Le fait est d’autant plus déconcertant pour la direction confédérale que dans ce département les militants du CSR ont été peu actifs. La Moselle n’a pas été une priorité fixée par la minorité révolutionnaire.
D’autres départements appliquent rapidement les décisions nationales de septembre 1920.
Mais les événements s’accélèrent au début de l’année 1921. La campagne de purge lancée contre les militants du CSR provoque une réaction positive. Ainsi à Rouen, un militant qui se dit « opposé jusqu’ici à la formation des CSR tels qu’ils sont conçus » se lance dans la tâche de constituer un CSR local. Sa réaction n’est pas individuelle. La création des CSR est donc souvent une réaction aux manœuvres anti-démocratiques des bureaucrates réformistes. Ces réactions salutaires sont constatées dans plusieurs départements mais aussi dans des centres qui n’étaient toujours pas actifs.
Avant même que l’année soit achevée, les militants des CSR animent désormais plus d’UD que les réformistes. Cela est d’autant plus inattendu que le changement de majorité est le plus souvent voté à une large majorité.
L’offensive dans les fédérations d’industrie :
Dès le 26 novembre 1920, la VO établit un état des lieux de l’avancée de l’organisation dans les fédérations d’industrie. Au Comité central du 3 janvier, 17 fédérations sont déjà représentées par des « Sous Comités fédéraux », le plus souvent animés par des militants du département de la Seine.
En mai 1921, les CSR obtiennent la majorité des suffrages lors du congrès fédéral du Bâtiment et constituent une nouvelle CE acquise à la tendance.
Ce basculement provoque une réaction saine dans la branche. L’année va être marquée par un conflit de trois mois des ouvriers du bâtiment dans la région Nord Pas de Calais, pourtant acquise à la majorité confédérale. La Fédération, à majorité révolutionnaire, s’investit dans la lutte et soutint la lutte victorieuse contre la baisse des salaires.
Les CSR progressent dans toutes les fédérations et gagnent la majorité dans de nombreux syndicats. Et même si la majorité des Fédérations restent entre les mains des réformistes, cette « majorité » devient de plus en plus artificielle car elle repose sur le contrôle de l’appareil. En effet, contrairement à ce qui a souvent été écrit par les historiens, la tendance SR est surtout influente dans les gros syndicats. C’est d’ailleurs logique puisque les SR sont pour la fusion des syndicats de métiers dans de puissants syndicats d’industrie. Les réformistes ne conservent donc leur contrôle qu’en s’appuyant sur une profusion de petits syndicats de province.
En revanche, dans les départements et dans les Bourses du Travail, les CSR à la fin de l’année 1921 sont le plus souvent hégémoniques. Il apparaît donc que certains syndicats continuent de faire confiance aux responsables fédéraux réformistes, afin de ne pas déstabiliser ces organisations, mais localement ils se solidarisent souvent avec les militants des CSR.
Une impulsion révolutionnaire :
Nous avons dit qu’en 1920 les révolutionnaires choisissent de s’organiser en priorité dans leur tendance syndicale. Cela est tellement vrai que l’on est étonné par la lecture de l’Humanité. Après le congrès de Tours de décembre 1920 et la création officielle de la SFIC (PC), ce dernier en est réduit à soutenir les luttes menées par les CSR. Le phénomène est tel que les dirigeants intellectuels les plus modérés du Parti (Vaillant Couturier, Cachin,..) sont contraints d’assurer des tournées de propagande pour appeler les ouvriers à s’organiser… dans les CSR.
Cette réalité est d’autant plus importante à souligner que ces militants se considèrent être dans une période pré-révolutionnaire. Le choix de renforcer en priorité l’organisation syndicale est donc profondément politique.
L’année 1920 est pourtant marquée par une terrible défaite pour le mouvement ouvrier et plus particulièrement pour la tendance révolutionnaire. De nombreuses organisations sont affaiblies sous l’impact des licenciements. Cependant il faut constater que la démoralisation n’est que partielle. La perspective révolutionnaire demeure très présente chez la majorité des militants. Les grèves de 1920 n’apparaissent donc que comme une étape, un recul momentané, en attendant la prochaine poussée.
Pour certains militants, la lutte interne dans la CGT est vécue, il est vrai, comme une échappatoire à l’organisation de nouvelles luttes. Mais ce comportement est encore minoritaire. Le contexte international est toujours à la poussée révolutionnaire et les liens entre les organisations SR de chaque pays n’ont jamais été aussi renforcés et permanents. Au moment où s’organise le congrès d’Orléans, l’Italie connaît une vague de grèves inégalées. La Révolution apparaît imminente en Allemagne. L’Irlande est en proie à une insurrection contre l’occupant anglais, une révolte dans laquelle les syndicalistes révolutionnaires irlandais lancent des grèves et des occupations d’usines.
Les CSR agissent donc dans une situation politique et organisationnelle très spécifique. En cette fin d’année 1921, une série de grèves, locales mais puissantes, intervient. C’est tout d’abord l’industrie textile qui se mobilise. Ces conflits s’organisent sur une base défensive, le patronat essayant d’imposer des réductions de salaires. Ces attaques sont menées le plus souvent sur une échelle locale mais généralisées à une profession. Cette situation favorise donc l’action des Syndicats d’industrie animés par les militants des CSR.
Là aussi les CSR doivent faire avec une UD et des syndicats d’industrie encore acquis aux majoritaires. Ainsi lorsque Lauridan, au nom des CSR, propose à l’UD la transformation de cette grève corporative et défensive en une grève offensive et révolutionnaire, il est mis en minorité.
Mais le Comité central de Grève est acquis aux CSR et le mouvement de grève est l’occasion du basculement de nouvelles organisations dont la puissante Bourse du Travail de Tourcoing. La question est donc celle de la coordination de tous ces mouvements localisés en une grève nationale À la même date, il faut aussi noter la grève du textile dans les Vosges. La majorité de cette UD est acquise au SR mais les militants refusent d’organiser des CSR pour essayer de maintenir l’unité interne.
Cet exemple du textile est très intéressant car il démontre l’incapacité des CSR à généraliser la grève à l’échelle nationale. Tout d’abord pour une raison objective, ces luttes sont défensives et le calendrier est donc difficilement gérable par les CSR. Mais le principal obstacle vient de situations organisationnelles bien différentes. Ils doivent faire avec des UD, des syndicats locaux mais aussi une Fédération le plus souvent encore aux mains des réformistes. Les carences de la Fédération ne peuvent être dépassées que par l’action d’un comité fédéral des CSR, coordonnant les syndicats et les militants « minoritaires ».
Or en 1921, l’action de CSR organisés comme outils pour dépasser ces obstacles n’est pas toujours une réalité de terrain. La coordination est encore difficile. L’élargissement des luttes au niveau national ou localement à d’autres professions est encore fragilisé par le contrôle des réformistes sur certaines organisations.
Début octobre, le Comité Central des CSR lance un appel pour préparer de « grands meetings de protestation et des défilés d’organisations révolutionnaires devant l’ambassade et les consulats des USA » afin d’exiger la libération de Sacco et Vanzetti. Dès le 28 octobre 1921, l’Union des Syndicats de la Seine appelle à un grand meeting unitaire dans le cadre du Comité d’Action de Bobigny avec le PC, les JC, l’ARAC,… La stratégie du Front unique permet de mobiliser dans cette campagne unitaire toutes les organisations prolétariennes.
Mais les CSR reprennent aussi leur action internationaliste en la radicalisant. La réunion du CC (Comité central) du 15 mars 1921 décide de contacter les organisations prêtes à agir « révolutionnairement contre la guerre » afin de constituer un Comité national. La décision n’en reste pas là. Le Syndicat des Métaux de la Seine, ainsi que d’autres acquis aux CSR, reprend le mot d’ordre de refus de produire des munitions. Des actions sont menées par le syndicat à Roubaix contre la commande de munitions passées par le gouvernement français.
L’organisation de la tendance
L’organisation des CSR est directement liée à son projet politique. Nous allons voir que la tendance est traversée d’un débat qui fait apparaître deux orientations qui vont progressivement s’opposer.
L’impulsion de Marie Guillot :
La création de cette tendance est due à l’initiative de l’équipe de la Vie ouvrière et plus particulièrement à celle de Marie Guillot. L’impact de Marie Guillot est d’autant plus important que son action a été volontairement occultée. Cela est d’autant plus étonnant que les historiens et les féministes ont largement critiqué le machisme du syndicalisme-révolutionnaire. Pourtant les CSR sont certainement parmi le seul exemple d’une organisation ouvrière nationale créée par une femme.
C’est elle qui va pousser à la constitution de CSR dans sa fédération puis dans toute la CGT. Cette initiative s’explique tout d’abord par le contexte particulier dans l’Education. À la sortie de la guerre, un grand nombre de membres des amicales d’instituteurs, des corporations modérées, engagent un processus de fusion avec la CGT. Or la Fédération de l’Enseignement avait été à la pointe de la lutte contre la guerre, préservant son orientation SR. Le débat s’engage alors dans la Fédération sur la question de son élargissement. Certains s’opposent à l’entrée massive d’anciens amicalistes.
Marie Guillot pense l’inverse et elle estime que le syndicat ne peut se préparer à gérer la société que s’il regroupe dans ses rangs un grand nombre de travailleurs. Elle propose donc la création de CSR comme une réponse à l’entrée massive des réformistes dans la Fédération, positionnant de fait les SR en tant que minorité. La création d’une tendance organisée est une déclinaison correcte de la Charte d’Amiens et de ce qui deviendra ensuite le Front Unique. Tout en acceptant une fusion qui accorde de fait la majorité aux réformistes, les SR choisissent de maintenir une intervention spécifique, cette fois-ci sous la forme d’une tendance.
Un appel à la constitution de CSR est lancé le 6 décembre 1919 dans L’École Émancipée puis dans La Vie Ouvrière. En trois mois, Marie Guillot reçoit des réponses favorables dans 30 départements. Ce sont soit des syndicats départementaux soit des militants qui prennent contact. L’École Émancipée, la revue de la Fédération publie désormais une « Tribune des CSR ».
Pendant un an, Marie Guillot dépense une énergie importante pour convaincre ses camarades de créer un comité dans chaque syndicat départemental, des comités qui vont finir par se doter d’un Comité Central fédéral.
La tendance se réunit à la veille du congrès fédéral, le 10 août 1920. De nombreux délégués sont présents et le travail fourni est très riche. La tendance se dote d’un bureau qui sera animé par le CSR de Saône et Loire, celui de Marie Guillot. C’est lors de cette réunion qu’est décidé non seulement de prendre contact avec toutes les minorités fédérales, mais aussi de leur demander la création de CSR dans les autres fédérations. C’est Marie Guillot qui se charge de cette démarche.
Un appel est donc publié dans la VO avec la perspective de la préparation du congrès minoritaire d’Orléans, à la veille du congrès confédéral. Ce document de travail est rigoureux. L’axe d’intervention des CSR est explicité en détail et ne se limite pas à décider de son adhésion symbolique à l’Internationale Communiste.
Le CSR de l’Enseignement a élaboré un projet de société avec pour « base de l’organisation politique le régime de la souveraineté prolétarienne directe. ». Le prolétariat doit « combattre, par la violence s’il le faut, pour posséder de manière exclusive les moyens de production et d’échange et mettre la main sur les pouvoirs publics afin de réaliser son dessein ». « Il est obligé, l’événement l’a montré, d’établir la dictature du prolétariat pour atteindre son but », une dictature qui se veut « momentanée ».
Les CSR doivent dès à présent élaborer un plan de socialisation de l’économie, et établir « de façon précise » les « ressources » de chaque corps de métiers.
La vision révolutionnaire n’est pas spontanéiste. Au contraire « notre action actuelle tend : à créer des cadres révolutionnaires dans toutes les fédérations. Créer un organisme central. Des organismes intersyndicaux, régionaux et locaux ». Il s’agit également de propager les idées révolutionnaires et faire connaître la Révolution russe.
Il s’agit désormais d’étendre ce type d’organisation révolutionnaire à toutes les fédérations mais surtout à tous les départements. Car la prise de conscience en revient encore à Marie Guillot. Elle estime que l’actuelle organisation des SR, en un Comité de Syndicats Minoritaires n’est pas efficace. Car ce type d’organisation laisse de côté de nombreux militants minoritaires dans leur syndicat. Il empêche une dynamique collective permettant de coordonner les efforts pour faire basculer les syndicats, leurs unions et fédérations. Mais, fait tout aussi important, il occulte de former les militants.
Comme nous l’avons dit, à la veille de leur congrès fédéral, les CSR de l’Enseignement lancent une proposition de construction de CSR à tous les niveaux. Marie Guillot utilise ses connaissances personnelles pour faire aboutir le projet. Après l’adhésion de Pierre Monatte et d’autres meneurs au projet, un appel est donc publié dans la Vie Ouvrière du 10 septembre 1920. La question va être soumise à la réunion nationale des Syndicats Minoritaires, organisée la veille du congrès confédéral.
Fin de la première partie, suite au prochain numéro de Syndicaliste !
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