28 décembre 2012 Par patrick rodel
Hubert Bonin avait publié, il y a deux ans, aux éditions du Festin, un livre sur les Tabous de Bordeaux qui avait fait grincer quelques dents. Il récidive, cette année, avec un sujet hautement à risque, celui des réseaux d'extrême droite, à Bordeaux, depuis le début du 19°siècle jusqu'à nos jours. Et l'on y découvre une constante qui peut surprendre ceux qui entretiennent le mythe d'un Bordeaux, ville de la modération, à l'image de quelques uns de ses maires tutélaires : la présence d'un noyau plutôt consistant de nostalgiques de l'Ancien Régime, d'ennemis du parlementarisme, de catholiques intégristes, d'antisémites et d'antimaçons. On y retrouve plusieurs grands noms du négoce bordelais, des propriétaires de chateaux prestigieux - ce qui jette une lumière intéressante sur la persistance de certains réseaux au cours des deux derniers siècles et sur le peu d'empressement de l'establishment local à faire la lumière sur cet aspect de la vie politique bordelaise. Selon le contexte politique, ces réseaux semblent se mettre en veilleuse ; mais il suffit que les tensions deviennent plus fortes pour qu'ils reprennent du poil de la bête et parviennent à rassembler autour d'eux des éléments des classes moyennes et des classes populaires qui ont le sentiment d'être laissés pour compte par la société - c'est le cas à l'époque du boulangisme, ce prototype du populisme, c'est le cas en 36, avec l'élection de Philippe Henriot, au terme d'une campagne d'une extrême violence ; c'est le cas, bien sûr, pendant l'occupation lorsque le maire Marquet devient un ministre de Pétain -, jusqu'à représenter une force politique non négligeable. Il faut rappeler qu'avant que la Région ne devienne socialiste, la majorité de droite avait pu se maintenir grâce à l'appoint des élus d'extrême droite. A l'heure actuelle, Bordeaux n'est pas à l'abri des menées souterraines de groupes d'extrême droite - ce qu'avait révélé l'émission de télévision, Les Infiltrés, - .
Le travail d'Hubert Bonin ne comporte pas de révélations fracassantes mais en faisant une synthèse d'études fragmentaires qui n'avaient jamais quitté le domaine universitaire, il permet de prendre la mesure d'une constante de la vie politique bordelaise sur laquelle beaucoup avaient préféré garder un silence pudique. Après tout, quand on fait partie de la bourgeoisie bordelaise, on ne souhaite pas toujours clamer que grand-papa était camelot du roi ou que les affaires n'ont guère souffert de l'occupation allemande - et c'est, dans certains cas, un euphémisme. Il faut quelqu'un qui vienne de l'extérieur, ce qui est le cas de Bonin, pour ouvrir quelques portes de la maison et y découvrir quelques cadavres. Il y a fort à parier que d'autres dents vont grincer - les mêmes sans doute que celles qui n'aiment pas qu'on évoque le passé esclavagiste des vieilles maisons bordelaises ou les compromissions de la collaboration.
Bonin est spécialiste d'histoire économique. Il entre ici dans une spécialité qui n'est pas la sienne. C'est ce qui lui donne une liberté que d'autres, peut-être, n'auraient pas. On peut regretter que tel ou tel épisode de l'histoire politique bordelaise ait été traité bien rapidement - et c'est dommage quand il s'agit des campagnes législatives de 32 et 36 ; ou qu'il n'ait pas vérifié certains points - par exemple, Marc Sangnier, en 23, ne peut être présenté comme le leader du Sillon - ce mouvement a été dissout par Sangnier en 1910 -; en revanche, il est à la tête de Jeune République, un parti qui affirmera avec constance son appartenance à la gauche. Mais ce sont des détails et qui n'enlèvent rien à l'intérêt de ce livre. Les catégories qu'il retient : extrême droite, droite extrême, droite dure - montrent leur porosité ; elles sont importantes non en tant que catégories cloisonnées mais parce que dans les situations concrètes analysées elles peuvent révéler leur socle commun - qui est celui de la défense des privilèges. Et, bien sûr, comment ne pas penser aux aspects récents de la politique nationale ?
Les tabous de l'extrême droite à Bordeaux, éditions du Festin, 20 euros.
Source: Lu sur Blog Médiapart
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