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Antifascistes !

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Vive la CGT 1906

Parce que nous sommes attachés à l'esprit de la Charte d'Amiens de 1906 qui fonda les bases du syndicalisme révolutionnaire, parce que nous nous opposons à la dérive réformiste de notre confédération depuis les années 1970 et que nous condamnons la déviance contre-révolutionnaire de notre CGT depuis la fin des années 90, nous avons fait le choix de ne pas mettre en lien le site de la confédération ainsi que celui de l'UD de la Creuse qui ont pris le chemin d'un syndicalisme bureaucratique et élitiste.

 

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5 juin 2012 2 05 /06 /juin /2012 00:54

En France, John King est essentiellement connu par les amateurs de foot et de littérature à l'estomac pour avoir balancé en 1996 la bombe "Football Factory", premier volet d'une trilogie consacrée aux hooligans du Chelsea FC. Il a également livré un roman autobiographique, "Human punk", rythmé par sa passion pour The Clash.

"Skinheads" de John King
zoom
"Skinheads" de John King

Puis John King s'est attaqué (avec bienveillance) aux Skinheads, avec un nouveau roman éponyme. Depuis le revival skin dès la fin des 70's et la récupération du mouvement par le National Front anglais, la culture skinhead a vu ses idéaux et valeurs lacérées par les crocs des récupérateurs néo fascistes/nazis.

A l'origine, le skinhead anglais admirait la musique jamaïcaine, reggae, ska, blue-beat. Il ne lui serait jamais venu à l'idée de ratonner à Brixton, et d'ailleurs de nombreux noirs venaient grossir les rangs skinheads. Au-delà de la musique et des fringues, le skinhead avec un orgueil de classe: fier d'être prolétaire. Et anglais, il va sans dire, drapé dans l'Union Jack.

John King n'a pas été skinhead stricto sensu, mais les a beaucoup fréquentés, notamment dans les travées de Stamford Bridge, le stade de Chelsea. Son roman met en scène trois générations de skinheads: Terry English a 50 ans, veuf, propriétaire d'une société de Minicabs (ces taxis low-cost), c'est un skinhead old-school, fan de Prince Buster, Symarip ou Laurel Aitken. Ray, son neveu, est plutôt tendance Oï, une musique violente dérivée du punk. Enfin, Laurel (prénommé ainsi en hommage à Laurel Aitken), fils de Terry, est un ado branché skate-punk. Leurs trajectoires et différentes époques s'entrelacent.

Un reportage de Bertrand Loutte :

 

 

Source: Arte Journal

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1 juin 2012 5 01 /06 /juin /2012 11:07
 Début mai était publié l'article intitulé Asian skinhead - part 1: l'empire du milieu au début duquel il était question, je le rappelle, "de faire le tour de quelques groupes des différents pays asiatiques". Heureusement qu'immédiatement après était précisé "sans velléité d'exhaustivité", car en depuis macache, zibe, nada. Les deux millions de lecteurs quotidiens de ce blog y allaient de leurs lettres d'insultes, s'estimant floués de ne rien voir venir d'autres. Le rédacteur de cet article se bidonnait de sa bonne blague dictée par une flemmingite aigüe conjuguée (au plus que parfait, ce qui le décrit parfaitement) à un emploi du temps de ministre fraichement nommé tandis que les trois employés préposé au tri des commentaires tiraient sacrément la gueule devant tant d'heures supp certes défiscalisées. Ça aurait pu en rester là, ça aurait même du. Sauf que je deviens sacrément conformiste et qu'après avoir publié la partie 1, lors d'une nuit sans sommeil, m'est venu l'envie de faire une partie 2. Bon, à ce rythme là peut-être même verra-t-on un jour une partie 3…
Après l'empire du milieu, place au pays du soleil levant. Comme on dit dans les mauvais guides de voyage, le japon est une terre de contraste entre tradition et modernité. Bref, ce pays est un peu l'occident de l'Extrême-Orient, et le rock européen y a pénétré plus vite que chez ses voisins. Ainsi, il y a une scène punk japonaise depuis déjà un bail, et pas que de l'émo-punk pour ados déguisés.
A partir de 1979-1980, plusieurs groupes punks défrayent la chronique japonaise. Le plus connu en Europe est sûrement The Stalin, fondé en 1980 par Michiro Endo après un éphémère premier groupe appelé Jieitai. The Stalin, c'est un groupe de punk, relativement pêchu mais pas forcément ultra-carré. Le groupe tient beaucoup à la personnalité de son leader qui aura choqué en se faisant vomir sur scène en chantant (Kaiboushitsu), en s'y mettant à poil (il est presque aussi gros qu'Iggy Pop!) et en foutant le bordel. Un concert de The Stalin, ça tient autant de la performance que du pur moment musical. Cet aspect "performance" sera encore plus présent chez le groupe suivant de Michiro Endo, Video Stalin (le gars avait de l'énergie à revendre mais pas forcément une énorme imagination pour les noms de groupes puisqu'il fondra ensuite un dernier groupe appelé Stalin, sans article). 
Dans la même période, Tokyo voit émerger en 1980 GISM , groupe anarcho-punk hardcore déjanté et speedé, très engagé. A la base, GISM signifiait "Guerrilla Incendiary Sabotage Mutineer", puis jouant sur l'acronyme, se sont succédés "God In the Schizoid Mind", "General Imperialism Social Murder", "Genocide Infanticide Suicide Menticide", ou encore "Gnostic Idiosyncrasy Sonic Militant". Dans la veine hardcore, le japon a aussi accouché (dans la douleur) du groupe anar Gauze en 1981, devenu un groupe phare dans la scène hardcore underground mondiale.
Bon, il en est qui vont rouscailler parce qu'en dépit du titre, il n'est toujours pas ici question de skins. Mais on va voir qu'on s'en rapproche puisque je voulais dire deux mots d'un groupe fondamental au jappon, le Tokyo Ska Paradise Orchestra, groupe majeur de ska-jazz fondé en 1985 et qui tourne encore aujourd'hui. On avait une scène punk et hardcore provocatrice, voici que TSPO amène une pièce nodale dans l'émergence de la culture skin japonaise puisqu'ils reprirent pas mal de morceaux fondateurs de cette mouvance, notamment des titres des skatalites. La scène ska nippone est d'ailleurs bien vivante, chaque année TSPO organise le Tokyo Ska Jamboree, festival de ska qui rassemble chaque année depuis 2009 des milliers de fans de ska près du lac Yamanaka (contrairement à ce que pourrait laisser croire son nom) devant des groupes japonais ou étrangers (comme le New York Ska-Jazz Assemblee).
Quand on cherche à se renseigner sur les skinheads japonais (sukinzu) sur le net, on tombera surtout sur des trucs de fachos (comme le site ONG) relayant la scène d'extrême-droite en grande partie nazie qui se rassemble là-bas sous le sigle SSS ("Skinheads Samurai Spirit"). Cependant, comme l'explique bien cet article de brain magazine, la scène skinhead japonaise est très riche, globalement bon enfant et antiraciste.  Il y a un paquet de groupe de Oi dont je ne connais pas la majorité mais que vous pouvez pour certains écouter sur le net pour vous faire une idée (outre Cobra, groupe pionnier en 80, brain magasine cite par exemple Booted Cocks, LRF, Allegiance, Miburo). Mais la mouvance skinhead nippone existe aussi au travers du Ska et du Rocksteady. Parmi les principaux groupes on trouve notamment Oi Skall Mates, groupe de ska 2 tone de type skinhead traditionnaliste clairement antiraciste à l'imagerie assez Mods (voir ce clip). Ils sont surtout connus en Europe via le split qu'ils ont fait avec Bad Manners intitulé Fatty England Vs Nutty Japan. Musicalement, il y a des trucs un peu gnan-gnan peu convaincant comme celui ci-dessus et d'autres qui m'ont franchement plus botté comme Skinhead Running.
Avant de mouler le japon pour d'autres contrées pas forcément plus hospitalières, je voulais glisser deux mots sur un dernier groupe: The 69yobsters. Il s'agit là d'un pur groupe Early-reggae, spécialisé dans les reprises d'artistes anglais et jamaïcains. Certains sont rétifs à la reprise, mais c'est quelque chose d'inhérent à la musique et quand, comme ici, il ne s'agit pas d'un simple plagiat mais d'une véritable réinterprétation, je n'y vois rien de problématique.
 Au menu des 69yobsters, on retrouve une version de These boots are made for stomping (qui attire décidément la vague skin après M. Symarip ou les Bad Manners qui l'avaient reprise, on en parlait icigo en mars), le ludique Rudeness, adaptation de Message to You Rudy de Dandy Livingston rendu célèbre par la reprise des Specials (à noter, je ne sais pas si ça a un lien mais la principale échoppe de fringue pour skins du Japon s'appelle justement Rudeness, par ailleurs, Rudeness est aussi le nom d'un groupe de ska chinois dont j'aurais peut-être pu parler en partie 1 si je l'avais connu), Skinheads Can't Fail, reprise aux allures de ballade de Rudie Can't Fail, des Clashs, la sympathique reprise de Jack the ripper de Harry "Zephaniah" Johnson, aka Harry J, aka The Liquidator, ou les morceaux laissant la part belle à l'orgue comme Time is skinheads (est-on sensé y reconnaître Skinhead Time des The Oppressed?) ou Skinhead On The Wave… Bref, c'est plutôt sympathique, assez frais et sautillant, parfait par le beau temps actuel. Je précise pour finir que les 69Yobsters nous ont eux aussi gratifié d'un split avec un groupe européen, en l'occurrence les antifascistes italiens de Klasse Kriminale.
Source: Red & Rude
Punks ou skins, ils ont un pb avec les nippes ces nippons!
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12 mai 2012 6 12 /05 /mai /2012 11:49

Depuis le temps qu’il le promettait le fanzine Chéribibi a fini par commettre un numéro (7) consacré au S.E.X.E. ! Comme d’hab dans ce fanzine un brin foutraque, il y a du bizarro-gauchiste, mais l’essentiel est ailleurs avec un bon papier sur le rude reggae, un autre sur les héros oubliés du skabilly les Forest Hillbillies et surtout une longue interview de l’écrivain néoiste Stewart Home où il est question de situationnisme et de skinheads, accompagnée de la traduction d’une de ses nouvelles trash, Class War, ça commence comme du Richard Allen mais après c’est pas pareil …

Le magazine Rolling Stone n°43 de mai 2012 se penche sur le cas des Mods, avec un dossier de 14 pages balayant l’histoire du mouvement des Who à Paul Weller en passant pas les Small Faces. Rien de nouveau sous le soleil mais d’après le magazine «  les mods, c’est mode ».

Du côté de chez So Foot, numéro 96 de mai 2012, retour sur les liens entre foot et skinheads, avec un article signé par un pigiste de prestige en la personne de John King, le tout illustré de photos vintage de Derek Ridgers. John King y rappelle qu’ « être un skinhead relève de la fierté, de l’amour de la musique et du football. Ce sont des gens normaux, qui travaillent et chez qui on trouve la même diversité de points de vue qu’ailleurs »  ….

Un extrait de l’excellent livre de John King «  Skinheads » complète cet article, en avant goût de la traduction française de l’ouvrage à paraître le 31 mai au Diable Vauvert.

so foot 96

 

Source: Génération Of Scars

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4 mai 2012 5 04 /05 /mai /2012 00:35
La polémique d'il y a quelque temps sur la répression subie par les punks indonésiens à permis à certain-e-s de découvrir que les scènes underground punk et skin ne sont pas une spécificité occidentale. L'occasion de faire le tour de quelques groupes des différents pays asiatiques, sans velléité d'exhaustivité, mais avec la volonté de montrer un peu leur diversité musicale comme géographique, à commencer par la Chine. Bon voyage.

Fondé en 1999 à Pékin, MiSanDao est un des premiers groupes de Oi! chinoise. En république populaire, un groupe de skins, ça ressemble beaucoup à un groupe de skins en Europe.
Pour le look, pas de doute, MiSanDao, c'est des skins, point. D'ailleurs, leurs passe-temps, c'est la bière, la fête, le foot (déjà supporter de l’équipe Guo An de Beijing à une époque où le football ne perçait pas encore en Chine).
Politiquement, on retrouve chez MiSanDao l'ensemble des bases de l'esprit skinhead; on se revendique de la classe ouvrière, de la liberté et de l'antiracisme. C'est pas vraiment plus engagé que ça, mais le principal y est, surtout qu'en Chine, se revendiquer de la liberté c'est déjà quelque chose et que ça leur a valu quelques mises au ban.
Et musicalement?
 
Je ne sais pas ce que vous en avez pensé, moi ça me fait marrer, j'aime bien la voix éraillée. Par contre, quand je lis sur le blog de l'east side antifa crew que "ca sonne Cock Sparrer ou Cockney Rejects et c'est bien fait", je ne suis pas tout à fait d'accord. Le son de guitare est très proche, le grand nombre de chansons de stade nous rapproche également de leurs homologues anglais, mais je trouve que le rythme n'y est pas, surtout comparé aux cockney rejects, il manque un petit quelque chose d'entrainant qui fasse accélérer le rythme cardiaque. Il reste que ça se tient tout à fait et que c'est un groupe qui mérite d'être découvert même si le fait qu'ils soient chinois tient presque de l'anecdote tant leurs références musicales sont plus de la perfide albion que du céleste empire. Je pourrai en dire bien plus, mais en fait, Max Celko et Heike Scharrer ont déjà fait un reportage sur eux pour Arte en 2006, Oi Skins in Beijing, et comme internet, c'est le cyber socialisme, l'endroit où la culture circule gratuitement, ce reportage est visible en 3 parties sur Youtube. Si vous êtes trop fainéant pour aller les chercher, je vous les mets ci-dessous.
 
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14 avril 2012 6 14 /04 /avril /2012 00:55

daniel guérin
portrait anarchiste

Daniel Guérin
Daniel Guérin,
né le 19 mai 1904, disparaît le 14 avril 1988.


Issu d'une famille bourgeoise libérale et dreyfusarde, il est diplômé de sciences politiques et entre dans la vie avec des œuvres littéraires de jeunesse tout en ayant des activités de libraire en Syrie de 1927 à 1929.
Lors d'un voyage en Indochine, en 1930, où il découvre la réalité coloniale, il profite de la traversée pour dévorer un nombre impressionnant de textes politiques allant de Proudhon à Marx en passant par Sorel.
Sa fréquentation des jeunes ouvriers des faubourgs pousse le jeune Daniel Guérin à jeter son froc aux orties. Il rompt avec son milieu bourgeois, s'installe à Belleville, devient correcteur et s'engage dans le syndicalisme révolutionnaire en participant au groupe-revue Révolution Prolétarienne animé par Pierre Monatte.
En 1933, Daniel Guérin parcourt à bicyclette, l'Allemagne hitlérienne. Il en ramène un document de première heure sur la montée du nazisme qui paraît dans Le Populaire de la SFIO et sera repris en volumes sous les titres La Peste brune et Fascisme et grand capital (1936). Daniel Guérin y analyse l'origine du fascisme, de ses troupes et la mystique qui les anime ; sa tactique offensive face à celle, trop légaliste, du mouvement ouvrier ; le rôle des plébéiens qui le rejoignent ; son action anti-ouvrière et sa politique économique (une économie de guerre en temps de paix).
Daniel Guérin s'attache en particulier aux cas de l'Italie et de l'Allemagne.
Il cherche ainsi à dissiper les illusions anticapitalistes entretenues par le fascisme lui-même, en montrant que son action, aussi bien avant qu'après la prise du pouvoir, bénéficie surtout au capital économique et financier. Dans ces conditions, il lui paraît que l'antifascisme est illusoire et fragile, qui se borne à la défensive et ne vise pas à abattre le capitalisme lui-même.
Dans les rangs de la SFIO, Daniel Guérin, déjà anti-stalinien viscéral, rejoint les rangs du socialisme révolutionnaire de la tendance Gauche Révolutionnaire animée par Marceau Pivert.
Co-fondateur des Auberges de jeunesse, Daniel Guérin est également un membre actif du mouvement des occupations d'usines durant le Front populaire en tant que responsable inter-syndical en banlieue.
Il est aussi l'un des éléments les plus radicaux du courant de la Gauche Révolutionnaire et l'un de ceux qui ne se plaint pas, outre mesure, de son exclusion.
Il s'attelle, alors, à la création d'un authentique parti révolutionnaire, le nouveau Parti socialiste ouvrier et paysan (qui défendra des positions défaitistes révolutionnaires lors de la deuxième guerre mondiale et disparaîtra peu après).
En 1937, suite à l'appel à la solidarité de l'Espagne révolutionnaire, Daniel Guérin est scandalisé par la politique de non-intervention du gouvernement Blum.
Avec quelques camarades regroupés autour de Maurice Jacquier, il apporte, de toutes ses forces, un soutien politique et matériel à la CNT, à la FAI et au POUM, tout en s'opposant aux sinistres menées des sbires de Staline.
En 1939, Daniel Guérin est chargé de créer, à Oslo (Norvège), un secrétariat international du Front ouvrier international contre la guerre, rassemblant tous les courants socialistes de gauche opposés par internationalisme prolétarien à la guerre inter-impérialiste.
Arrêté par les Allemands en avril 1940, il est interné civil. Gravement malade, il est libéré en 1942.
De 1943 à 1945, Daniel Guérin coopère, en France, avec le mouvement trotskiste dans la clandestinité, essayant de maintenir une position internationaliste à l'écart du chauvinisme ambiant, multipliant les appels aux travailleurs allemands jusque dans les rangs de l'armée d'occupation (activité militante on ne peut plus dangereuse d'autant que les livres de Daniel Guérin sur le fascisme font partie de la fameuse liste Otto).
En 1946, Daniel Guérin s'établit aux États-Unis où il est actif aux côtés du mouvement ouvrier et des Noirs américains.
Il en est expulsé en 1949, dans le cadre de la chasse aux sorcières du maccarthysme, et rentre en France. Il étudie les œuvres complètes de Bakounine lorsque, en 1956, éclate la révolte des Conseils ouvriers hongrois contre le capitalisme d'Etat et la domination de l'URSS.
La conjonction de ces deux faits le rend à jamais allergique à tout socialisme autoritaire, qu'il soit jacobin, marxiste, léniniste ou trotskiste.
Daniel Guérin s'emploie à déboulonner l'idole Lénine pour la stratégie duquel il éprouvait, jusqu'alors, une grande admiration. Il en critique les concepts militaires, dénonce la notion frelatée de dictature du prolétariat lui préférant celle de contrainte révolutionnaire. Il redécouvre l'apport de Rosa Luxemburg dans sa lutte contre l'ultra-centralisme et le substitutionnisme léninistes, allant jusqu'à entrevoir des passerelles avec la spontanéité révolutionnaire chère aux libertaires.
Cette démarche l'amène à écrire, en 1965, son célèbre texte L'Anarchisme (réédité et maintes fois traduit, tiré à plus de 100.000 exemplaires) et sa colossale Anthologie de l'anarchisme : Ni Dieu, ni Maître, ce qui introduit rapidemment un quiproquo dans nos milieux : Daniel Guérin n'est toujours pas un anarchiste au sens strictement idéologique, même si, sur le plan personnel, il fait preuve d'un esprit libertaire sans tabous.
Par ces textes, il veut faire connaître tout l'apport original du courant anarchiste et il y réussit d'ailleurs, car le petit livre de la collection Idées fut la première lecture de nombreux libertaires d'aujourd'hui. Mais, son le but est, avant tout, de réformer l'ensemble du mouvement révolutionnaire (ce qu'il considère comme tel), de l'affranchir des ornières autoritaires, jacobines, marxistes-léninistes, sans pour autant le faire basculer dans l'idéologie social-démocrate voire, aujourd'hui, libérale bourgeoise, dans laquelle surnagent tant d'ex-militants des années 70.
Durant des années, Daniel Guérin s'engage jusqu'au cou dans le soutien aux militants algériens.
Il participe au Comité France-Maghreb, signe le Manifeste des 121 contre la torture et pour l'insoumission (1960) et n'accepte jamais les luttes fratricides entre FLN et MNA. Il s'engage en internationaliste comme partie prenante de la lutte et non pas comme porteur de valises au service d'un mouvement.
L'année 1962 le voit quelque temps au PSU, dont il s'éloigne, le trouvant par trop social-démocrate. Plus tard, il n'hésitera pas à dénoncer, toujours sans tabous, les tendances sociales-démocrates (et autoritaires) de Marx (cf. La Rue, 1983).
Il affirmera également son admiration pour l'apport philosophique des anarchistes individualistes tels qu'Émile Armand ou Zo d'Axa dans leur contestation concrète des valeurs morales de l'époque.
Daniel Guérin fut, aussi, un fin connaisseur de l'œuvre de Proudhon.
Mai 68, ce deuxième orgasme de l'histoire qu'il a la chance de vivre après le Front populaire, le jette dans la mêlée. On le voit, à 64 ans à la Sorbonne, aux côtés des libertaires de la revue Noir et Rouge et du Mouvement du 22Mars.
En 1969, il est co-fondateur du Mouvement communiste libertaire (rassemblant des éléments issus de la FCL, de l'UGAC, de la JAC) et éclaircit ses positions dans un texte dont il reconnaîtra l'ambiguïté du titre, Pour un marxisme libertaire.
La fusion (dont il est un des artisans de la plateforme) ratée, en 1971, entre l'Organisation Révolutionnaire Anarchiste et le Mouvement communiste libertaire le décourage. Il participera successivement à l'OCL, à l'ORA (dont il s'éloigne à la période autonome) pour rejoindre en 1980, par ouvriérisme, l'UTCL dans laquelle il milite jusqu'à sa mort.
Durant ces années, Daniel Guérin est engagé totalement dans le Comité pour la vérité dans l'affaire Ben Barka, dans le Comité Vietnam national, dans le Comité de lutte antimilitariste, tout en participant à la commission Droits et libertés dans l'institution militaire de la Ligue des droits de l'homme, autour de Me Noguères et même d'"officiers progressistes" (pensant que les positions d'objection, d'insoumission et les activités de comités de soldats sont des luttes complémentaires et non pas contradictoires).
Après la catastrophe du tunnel de Chèzy (8 morts), il participe activement au Rassemblement national pour la vérité sur les accidents dans l'armée.
Dès sa fondation, il participe activement aux activités du Front homosexuel d'action révolutionnaire. Son anticolonialisme de toujours le pousse aux côtés des Antillais, des Polynésiens (soutenant son vieil ami Pouva'ana si longtemps déporté en métropole), des Kanaks...
Daniel Guérin se lance dans la guerre civile des historiens voulant dénaturer la Révolution française, écrivant quelques mois avant sa mort, qu'il est un impérieux devoir de faire front face à la ruée des contre-révolutionnaires qui préfèrent les Vendéens et les chouans aux sans-culottes, à la meute qui s'est jetée ces dernières années sur la "Grande révolution" pour la déchirer à pleines dents, la calomnier, la salir.
Daniel Guérin n'a jamais été un militant anarchiste au sens strict, mais les anarchistes lui doivent beaucoup quant à la diffusion de leurs idées. S'il a attaqué un certain vieil anarchisme fossilisé d'une certaine époque (tout comme d'ailleurs le marxisme autoritaire dégénéré), il a toujours voulu que le meilleur de l'anarchisme puisse peser dans le mouvement révolutionnaire pour y contrer les dérives autoritaires.
Il ne concevait pas le communisme libertaire (ou anarchisme-communisme, terme qu'il acceptait aussi) comme un dogme, mais comme une tendance, une recherche sans cesse inachevée, persuadé qu'il était que la révolution sociale future, à la fois nécessaire et désirée, ne serait ni de despotisme moscovite ni de chlorose social-démocrate, qu'elle ne sera pas autoritaire, mais libertaire et autogestionnaire, ou si l'on veut conseilliste (À la recherche d'un communisme libertaire, 1984).
Daniel, en donnant son corps à la science, tu ne permets pas que ton souvenir s'enlise dans le rituel commun des tombes à fleurir.
Tu nous obliges à célébrer ta mémoire par nos combats et nos luttes d'émancipation. Nous t'en remercions.

Salut et fraternité !

D.G.
Extrait de la série Increvables Anarchistes, volume 10, éditions Alternative Libertaire et du Monde Libertaire.

Disponible par correspondance à la Librairie libertaire.

 


Photo : Jean-Marc de Samie

Vie de Daniel Guérin

Du "jeune homme excentrique" des années 1920 au vieillard rejoignant les étudiants parisiens en décembre 1986, Daniel Guérin s'est toujours placé à l'avant-garde des combats de libération : il s'engage contre le système colonial dès la fin des années 1920 ; puis contre le fascisme ; en 1936 comme en 1968, il est acteur des mouvements populaires ; le voilà enfin à la pointe des combats pour la libération des minorités, des Noirs américains ("Décolonisation du Noir américain", "De l’oncle Tom aux Panthères Noires", "Africains du Nouveau Monde") aux homosexuels ("Shakespeare et Gide en correctionnelle ?", "Kinsey et la sexualité", "Essai sur la révolution sexuelle").

Ni son combat irréconciliable contre le capitalisme, ni son rejet de l'impasse sociale-démocrate ne l'ont conduit à se compromettre avec le régime lénino-stalinien. Viscéralement attaché à la vérité et à l'honnêteté en politique ("Ben Barka: ses assassins"), il a consacré sa vie et son oeuvre à la recherche d'une synthèse entre le marxisme et la tradition libertaire ("Ni Dieu ni maître", "Pour le communisme libertaire"). L'œuvre de Daniel Guérin trouve une place importante, bien que controversée, dans l'historiographie de la Révolution française ("Bourgeois et Bras-nus"), du fascisme ("La Peste Brune", "Fascisme et Grand capital") et du Front populaire ("Front Populaire, révolution manquée").

La démarche essentiellement libératrice de Daniel Guérin unifiait son engagement apparemment partagé entre la question politique et celle des moeurs ("Autobiographie de jeunesse"). De ces deux points de vue, elle reste d'actualité.

Eléments biographiques


Extraits auto-biographiques



Archives



Galerie photos




Sur Internet...

L'UPAC vous conseille la lecture d'un de ses ouvrages :

"Pour le communisme libertaire"

Clic : link


Sa conception de l'antifascisme est proposée dans la brochure "Antifascisme" page 13 et 14, disponible sur notre blog.

 

Salut à toi, Daniel !  

 

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25 février 2012 6 25 /02 /février /2012 05:26

Enquete sur ces villes que gère l'extreme droite.

 

MainsBrunes affiche

 

Dans le sud-est de la France, deux villes sont gérées par des mairies d’extrême droite: Orange depuis 1995 et Bollène depuis 2008. A l’évidence, il est contre-productif de se contenter de crier au loup dès qu’un populiste ou un authentique fasciste pointe son museau dans les médias, dans une mairie. Si une véritable ombre pèse sur la société, la critique doit gagner en complexité. Il est urgent de comprendre pourquoi des citoyens accordent leur confiance à l’extrême droite, comment et pourquoi elle se maintient au pouvoir.

Un fi lm de Bernard Richard

Mains brunes sur la ville décrit et analyse le programme, la gestion, les méthodes et l’idéologie sous-jacente d’une politique d’extrême droite appliquée au niveau local, afin de mettre à jour l’inquiétant modèle de société qu’elle propose. L’analyse des cas d’orange et de Bollène, véritables laboratoires d’un fascisme rampant, banalisé, déguisé en « populisme » par des élites aveugles ou complaisantes, permettra, au-delà de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, d’éclairer la montée de l’extrême droite en France…

 

Alors qu'approchent les élections présidentielles, et que l'extême droite, Marine Le Pen en tête, lance son chant de sirène avec une nouvelle communication enduite de

respectabilité, il est temps de nourrir, hors des lieux communs, un véritable débat sur cette poussée fasciste qui séduit toujours plus de citoyens.

 

Mains brunes sur la ville - 90 min

Une enquête documentaire

de B. Richard et J-B. Malet

sortie en salles: Février 2012

 

 

Bande annonce :   Bande annonce HD cliquez ici

 

 


Pourquoi des citoyens accordent-ils leur confiance à l’extrême droite ? Comment celle-ci se maintient-elle au pouvoir ?

En France, le Front national et ses épigones atteignent localement, ici et là, plus de 40% des suffrages au premier tour des élections, et parfois la majorité au second. À Orange et Bollène, dans la circonscription du ministre Thierry Mariani (Droite Populaire), Jacques et Marie-Claude Bompard (FN puis Ligue du Sud) sont élus depuis de nombreuses années maires et conseillers généraux. Dans le silence médiatique, ils appliquent leur programme.


Mais quel programme ? Avec quel budget ? Quelle est leur idéologie, leur communication ? Quelle est leur politique et pour quel modèle de société ?

Afin de répondre à ces questions, nous avons enquêté durant plusieurs mois à Orange et Bollène. Ces villes offrent aujourd’hui le morne spectacle de ce que l’extrême droite pourrait propager demain sur l’ensemble du pays, et sur d’autres territoires, si elle accédait à des pouvoirs plus étendus. Dans cette dérive fascisante, de nombreux constats sont alarmants : aveuglement complice de certains politiques et de certaines institutions, manque de moyens et isolement des militants qui tentent de résister…


Comment sortir de cette poussée d’extrême droite quand la crise économique en fournit le terreau ?

 

Source de la production: http://www.lamare.org/mainsbrunes

Présentation du film: http://www.lamare.org/videos/MainsBrunesJournal.pdf

Dossier de presse: http://www.lamare.org/videos/DP_MainsBrunes.pdf

Affiche grand format: http://www.lamare.org/videos/MainsBrunes_affiche_web.jpg

Organiser une projection: Voir sur le site de la production ou directement ici http://www.lamare.org/videos/OrganiserProjotMainsBrunes.pdf

 

Source: ACF

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12 février 2012 7 12 /02 /février /2012 00:01




























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Source: Forum PAAM.TK, Antifa et Basta !






 
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9 février 2012 4 09 /02 /février /2012 21:17
Vibrations Jamaïcaines  

 

 

 

Vibrations Jamaïcaines
08/02/12 - Auteur(s) : Propos recueillis par LN avec Djul, Photos JKD

Jérémie Kroubo Dagnini est docteur en langues, littératures et civilisations anglo-saxonnes. Il est l’auteur d’une thèse sur l’histoire des musiques populaires jamaïcaines dont est tiré l'ouvrage "Vibrations Jamaïcaines", paru chez Camion Blanc et actuellement disponible en librairie. Il a également écrit un premier livre, « Les origines du reggae : retour aux sources. Mento, ska, rocksteady, early reggae », paru chez L’Harmattan en 2008. Il enseigne à l’Université des Antilles et de la Guyane en Martinique.

« Vibrations jamaïcaines » présente le long processus sociopolitique et culturel qui a contribué au développement des musiques populaires jamaïcaines au XXe siècle. Ce livre retrace l’histoire du mento, ska, rocksteady, reggae, dub, dub-poetry, toasting (DJ) et dancehall, principaux courants musicaux apparus à la Jamaïque au XXe siècle, tout en décrivant de manière systématique et approfondie l’arrière-plan socio-politico-culturel ayant agi sur les processus créatifs. « Vibrations jamaïcaines » est aussi une histoire de transferts, d’échanges, de résonances et de contacts entre les peuples et les civilisations.

Entretien avec Jérémie Kroubo Dagnini, auteur de l'ouvrage.

Reggae.fr: Comment a marché ton premier livre sorti  en 2008 ?
Jérémie Kroubo Dagnini: Plutôt bien. D’après ce que m’a fait comprendre une personne travaillant chez L’Harmattan, il ferait partie des meilleures ventes de leur collection « Univers Musical ». Donc c’est cool, je suis content.

Pourquoi t’es-tu tourné vers les musiques populaires jamaïcaines ?
C’est d’abord l’amour pour ces musiques qui m’a conduit à les étudier. En fait, j’écoute du reggae depuis très jeune, depuis l’adolescence. J’ai découvert ce genre musical avec un copain du quartier où j’habitais, dans le quartier « Croix-Rouge » à Reims. C’est un Malgache, surnommé Mojah, qui avait formé un groupe de reggae appelé Oracle. C’était vers la fin des années 1980. Par la suite, je me suis intéressé au reggae jamaïcain avec Bob Marley, Steel Pulse, LKJ, et puis au reggae africain avec Alpha Blondy. En fait, étant moi-même d’origine ivoirienne et ayant grandi dans un quartier populaire, j’ai été naturellement attiré par cette musique rebelle aux rythmes afro-caribéens, qui dénonce les injustices raciales ou sociales et qui possède des vertus émancipatrices. Et puis il y a aussi l’idéologie rasta qu’elle véhicule, une idéologie clairement à contre-courant dans un monde dominé par une idéologie « occidentale ». Tout ça m’a scotché. Ensuite, lorsque j’étais étudiant en anglais à l’Université Nancy 2, j’ai eu l’opportunité de faire mon mémoire de Master sur la musique jamaïcaine et, comme j’avais l’intention de faire un doctorat, j’ai logiquement écrit ma thèse sur l’histoire des musiques populaires jamaïcaines.

Ton ouvrage est tiré de ta thèse et donc d’un véritable travail de recherche. As-tu rencontré des difficultés d’accès à l’information durant ces recherches ?
Oui bien sûr, et pas seulement concernant l’accès à l’information. En fait, j’ai rencontré plusieurs types de difficultés. La première difficulté à laquelle j’ai été confronté a été d’éviter de me disperser et de ne pas m’écarter du fil conducteur de ma problématique, à savoir démontrer que l’histoire des musiques populaires jamaïcaines est indissociable de tout un substrat socio-historico-économico-politico-culturel en constante évolution. J’ai aussi tenté de démontrer que toutes ces musiques, du mento au dancehall, en passant par le reggae, s’inscrivent dans une culture de la résistance inhérente aux Jamaïcains noirs et héritée des esclaves africains. Ensuite, il y a l’accès à l’information comme tu dis. Premièrement, de nombreux chanteurs sont plus ou moins retombés dans l’anonymat, donc les rencontrer n’a pas été simple. Par exemple, je pense aux Jolly Boys ou à Jacky Bernard des Kingstonians que j’ai interviewés. D’autres sont même décédés avant ou pendant ma recherche, je n’ai donc malheureusement pas eu l’opportunité de les rencontrer. Je pense à Coxsone Dodd, par exemple, décédé en 2004, et à plein d’autres artistes. A l’inverse, certaines personnalités sont encore vivantes, mais difficilement accessibles. Je pense à Edward Seaga, l’ancien Premier ministre de la Jamaïque. Ça n’a pas été facile de caler une interview avec lui, et encore moins de le faire parler. J’ai essayé d’aborder des sujets sensibles comme les liens entre les sphères politique et criminelle à la Jamaïque, mais comme tu peux l’imaginer, il s’est montré peu bavard. Par ailleurs, une autre difficulté a été le choix des sources musicales à étudier. En effet, étant donné la profusion d’œuvres musicales jamaïcaines, la sélection des morceaux à étudier a été particulièrement ardue, d’autant que la collecte des références des chansons et albums étudiés s’est parfois apparentée à un véritable « travail de fourmi ». Enfin, j’ai traduit presque toutes les références anglaises en français, ce qui a considérablement accru ma tâche dans l’écriture de cette thèse. Bref, pas mal de difficultés !

Tu es donc allé plusieurs fois en Jamaïque pour tes recherches. Comment as-tu abordé ton sujet là-bas et de quelle manière as-tu été accueilli par l'Université des West Indies ?
Effectivement je suis parti plusieurs fois en Jamaïque durant ma recherche, à raison d’une à deux fois par an entre 2005 et 2009, pour des séjours allant de plusieurs semaines à plusieurs mois en fonction de mes disponibilités et de mes finances. Au début, j’avais très peu de contacts en arrivant là-bas, et puis à force d’y retourner, tu rencontres de plus en plus de monde, et puis les choses avancent progressivement et se mettent en place. J’ai aussi eu la chance d’être très bien accueilli par les enseignants de l’Université des West Indies. Des professeurs comme feu Barry Chevannes (spécialiste du mouvement rasta) ou Carolyn Cooper (spécialiste du dancehall), ou même Donna Hope (spécialiste du dancehall), parmi tant d’autres, ont été supers avec moi. Ils étaient toujours disponibles pour discuter, pour échanger, et ils m’ont filé plein de contacts. Par exemple, c’est Barry Chevannes qui m’a mis en relation avec Mutabaruka. Il m’a donné son numéro et m’a dit de l’appeler de sa part. Je lui ai passé un coup de fil et le lendemain j’étais chez lui, assis sur son canapé en train de l’interviewer. Un autre universitaire, Matthew Smith, m’a aussi beaucoup aidé. Il m’a même hébergé à plusieurs reprises et lui aussi m’a donné des contacts. Bref, un gros BIG UP à l’Université des West Indies !


Mutabaruka
Courtoisie de Jérémie Kroubo Dagnini

Tu as donc rencontré beaucoup d'artistes pendant tes recherches. Quelle rencontre t'a le plus marqué ? Pourquoi ?
Difficile à dire, j’ai rencontré tellement de gens…. Mais je dirais peut-être Max Romeo. Pourquoi ? Parce que c’est une crème ce type. Je l’ai rencontré pour la première fois en France. Il m’a filé son numéro et m’a dit de l’appeler quand je serai en Jamaïque. Une fois sur place, en novembre 2006, je l’ai appelé et il m’a dit de passer chez lui à la campagne, à Linstead. J’étais avec un pote haïtien qui vit à Kingston. Il nous a super bien reçus. Je l’ai interviewé pendant environ une heure sur sa terrasse.  Ensuite, il nous a fait le tour du proprio, on a été voir ses chiens, on a cueilli des fruits dans son jardin qu’on a ensuite mangés etc. Franchement, il a un esprit très positif ce mec, c’est la raison pour laquelle d’ailleurs j’ai mis sa photo sur la couverture du livre. Mais bon, il y a plein d’autres artistes super cools.


Jérémie Kroubo Dagnini et Max Romeo
Courtoisie de Jérémie Kroubo Dagnini

Toots par exemple. Lui aussi je l’avais rencontré en France avant de le voir en Jamaïque. Le jour où je devais l’interviewer à Kingston, il m’a donné rendez-vous dans un hôtel-restaurant super chic de la capitale, le Terra Nova. On avait rendez-vous à midi, mais avant de faire l’interview, il m’a invité à déjeuner avec lui. On a passé aux moins deux heures à manger, boire et rigoler. J’ai vraiment passé un bon moment. D’autres artistes comme Kiddus I ou Mutabaruka, dont je te parlais juste avant, m’ont aussi marqué. Kiddus, il est très accessible et c’est un fêtard. Muta, lui, c’est plus son charisme qui m’a marqué. On sent qu’il n’est pas là pour plaisanter, mais il est cool le mec. Et j’ai aussi passé de très bons moments avec certains membres de l’Université des West Indies. Par exemple, Herbie Miller, l’ancien manager de Peter Tosh, il a repris ses études et il écrit désormais une thèse de doctorat sur Don Drummond. On est devenus bons copains et on a passé quelques bonnes soirées ensemble durant lesquelles il m’a raconté plein d’anecdotes croustillantes sur Bob Marley ou Peter Tosh. Et puis outre les rencontres humaines, il y a aussi plein de lieux qui m’ont marqué, comme le camp des boboshantis à Bull Bay où j’ai longuement discuté avec les bobos, ou encore le Pinnacle (ou plutôt ce qu’il en reste) à St Catherine. C’est Hélène Lee qui m’a conduit au Pinnacle de Leonard Howell.


Boboshanti
Courtoisie de Jérémie Kroubo Dagnini

Pourquoi as-tu décidé de transformer ta thèse en livre ? As-tu ressenti une demande ou un manque sur le marché du livre à ce niveau ?
Tout d’abord parce c’est une concrétisation. J’ai bossé sur le sujet pendant des années, donc il m’a semblé évident de la publier en livre. C’est l’aboutissement de nombreuses années de travail. Et puis aussi pour apporter ma pierre à l’édifice. J’aborde l’histoire des musiques populaires jamaïcaines à travers l’histoire de l’île. Par exemple, je tente de démontrer comment différents facteurs sociétaux, comme l’esclavage, les phénomènes de migrations, la politique coloniale et postcoloniale, l’américanisation de la société jamaïcaine, la créolisation de la société jamaïcaine, ou les questions identitaires, ont contribué plus ou moins explicitement à faire évoluer les musiques en Jamaïque. Il s’agit là d’une étude plutôt originale qui, je pense, mérite d’être vulgarisée.



Pinnacle
Courtoisie de Jérémie Kroubo Dagnini

Pourquoi t'être concentré sur le 20ème siècle, même si le début du livre retrace l'histoire antérieure ?
J’évoque les musiques datant de l’époque de l’esclavage, comme les « work songs ». J’en cite plusieurs comme « Mr. Linky » ou « New-come backra ». Ces chants datent de l’époque de l’esclavage et sont donc bien antérieurs au 20ème siècle. En fait, il y a une bonne partie de mon livre, au début, qui parle des musiques antérieures au mento. J’aurais pu approfondir cette partie, je le reconnais, mais ce n’était pas le sujet. Mon livre traite principalement des genres musicaux du 20ème siècle, car c’est la période qui m’intéresse le plus et elle est déjà très riche en événements.

Le fil conducteur de ton livre explique comment le contexte socio-politico-culturel a influencé la musique jamaïcaine. Peux-tu répondre brièvement à cette question ?
De manière générale, le processus est le suivant. Le mento est le premier grand style de musique populaire jamaïcaine. Il est le fruit d’un processus de créolisation engendré par les flux migratoires importants qui ont marqué l’histoire de la Jamaïque, en particulier après l’abolition de l’esclavage en 1838. Ensuite vient le ska qui doit son apparition à la mutation de la société jamaïcaine au milieu du 20ème siècle. A cette époque, la société jamaïcaine était en quête d’urbanisation, de modernité et très influencée par la culture nord-américaine, le rhythm and blues notamment. Au début des années 1960, le ska, musique phare des sound systems, symbolisait l’euphorie suscitée par l’indépendance de la Jamaïque (le 6 août 1962). Au milieu des années 1960, les caractéristiques du ska ont évolué pour donner naissance au rocksteady qui doit son apparition à trois faits principaux : les conséquences néfastes de la politique postcoloniale jamaïcaine, la répercussion du mouvement des droits civiques américains en Jamaïque et l’influence de la musique soul. À la fin des années 1960, le rocksteady a muté à son tour, engendrant le reggae. L’amplification de la religion rastafari, issue principalement d’un mélange de christianisme afrocentrique et de cultes animistes africains, permet essentiellement de comprendre cette transition du rocksteady vers le reggae qui, popularisé par Bob Marley et les Wailers, est devenu un style incontournable sur l’échiquier musical mondial. En effet, le reggae est devenu un style musical planétaire au même titre que le rock ou le rap. Mais, cela ne l’a pas empêché de muter et de donner forme à de nouvelles expressions musicales comme le dub, le dub poetry, le toasting et le dancehall. Le dub doit notamment son existence à l’évolution de la technologie et est très nettement lié à la culture du sound system. Le dub poetry puise notamment ses origines dans la tradition littéraire européenne, dans la tradition orale africaine, dans la rhétorique révolutionnaire du Black Power et dans l’idéologie rasta. Le toasting quant à lui, comme le dub, c’est un courant musical lié à la culture du sound system et il tire sa source de la tradition musicale africaine composée notamment de l’oralité, du commentaire social, de la satire et de l’improvisation. Et pour finir, le dancehall, le dernier grand style de musique populaire jamaïcaine, il est comme les précédents genres très fortement influencé par l’histoire de l’île, d’une part, et par sa contemporanéité, d’autre part. En fait, il semble devoir son existence et sa pérennité à tout un ensemble de facteurs sociétaux comme la violence endémique qui ronge la Jamaïque depuis la fin des années 1970, le décès de Bob Marley en 1981, la continuité d’une politique conservatrice-libérale depuis le début des années 1980, le poids de la religion chrétienne dans la société jamaïcaine, la contiguïté culturelle entre l’Afrique noire et la Jamaïque, et les réminiscences de l’esclavage parmi tant d’autres.


Prince Jazzbo et Jérémie Kroubo Dagnini
Courtoisie de Jérémie Kroubo Dagnini

Antony Ceyrat a sorti cette année « La gauche et les mouvements noirs en Jamaïque ». As-tu dans tes recherches ressenti des interactions entre la gauche et les mouvements noirs et les influences musicales de ces interactions ?
En effet, il y a des interactions entre la gauche et les mouvements noirs en Jamaïque, ce qui me paraît évident. Dans le monde entier, les mouvements contestataires sont généralement de gauche. Je pense par exemple aux différents mouvements de contestation aux Etats-Unis dans les années 1960 ou plus récemment aux mouvements altermondialistes. La protestation ou la contestation est  généralement à gauche. Or, les mouvements noirs en Jamaïque, en particulier les mouvements afro-centristes, sont des mouvements contestataires par excellence. Donc, c’est évident qu’ils tendent plus à gauche qu’à droite. Par exemple, Marcus Garvey, le fondateur de l’UNIA, a collaboré à des journaux de gauche lorsqu’il vivait en Amérique latine dans les années 1910-1914. Le Dub Poet Michael Smith, assassiné par des militants du JLP en août 1983, était également de gauche, voire d’extrême gauche. Et bien sûr de nombreux rastas et chanteurs de reggae dans les années 1970, y compris Clancy Eccles, Delroy Wilson, Junior Byles et même les Wailers, parmi tant d’autres, étaient tous des sympathisants de la gauche de Michael Manley. Ils ont d’ailleurs tous chanté dans le cadre de sa caravane électorale. Max Romeo était lui aussi très ancré à gauche. Sa chanson « Let The Power Fall On I » a été récupérée par le PNP de Manley avec l’accord de Max Romeo qui partageait ses idées. Il m’a d’ailleurs confirmé ça lorsque je l’ai rencontré en Jamaïque. Voici ce qu’il m’a dit : « On était en pleine période électorale. Le leader du People’s National Party a été séduit par la chanson. Ils étaient en campagne et Michael m’a demandé la permission de l’utiliser comme slogan. J’ai accepté car, en fait, j’étais un de ses admirateurs à cette époque, tu sais ! Les choses qu’il disait étaient exactement ce que je disais à cette époque de ma jeunesse. L’écart entre les riches et les pauvres était trop vaste et avait besoin d’être réduit. Cette question était décisive ! Évidemment la chanson était une bonne pub pour lui et à dire vrai je pense qu’elle a contribué à sa victoire. Elle est devenue très populaire par la suite. Quant à Michael Manley, il a respecté ses engagements ». Donc, oui, évidemment, il y a des interactions entre les mouvements noirs, les artistes et la gauche en Jamaïque, surtout dans les années 1970.

Le lien entre la contestation, la résistance et la musique jamaïcaine semble évident. Qu'est-ce cet esprit et cette volonté de contestation ont-ils apporté à la musique jamaïcaine ? Et comment se situe le mouvement rasta dans tout ça ?
En effet, la résistance forme le socle de la musique jamaïcaine. Qu’est-ce que cet esprit de contestation lui a apporté ? Je dirais notamment cet aspect rebelle, cet esprit de subversion présent de manière plus ou moins explicite dans tous les genres musicaux jamaïcains. Prenons les cas des « work songs », ces fameux « chants de travail » datant de l’époque de l’esclavage. Au début, les colons interdisaient aux esclaves de chanter, donc ceux qui chantaient malgré cette interdiction étaient rebelles. Ensuite, lorsque c’est devenu permis, certaines chansons contenaient des paroles satiriques tournant les colons en dérision. Dans « New-come backra », par exemple, les esclaves se moquent du maître qui est malade. Une attitude incontestablement rebelle. Si on prend le cas du ska et du rocksteady, ces chansons faisant l’apologie des rude boys, comme « Good Good Rudie » des Wailers, « Shanty Town » de Desmond Dekker ou « Dr Rodney Black Power » de Prince Buster, sont clairement subversives. Le reggae roots qui véhicule l’idéologie panafricaine rasta est on ne peut plus subversif. Bref, cette volonté de contestation a apporté un esprit rebelle à toutes les formes musicales jamaïcaines. Même le mento était parfois subversif. Le morceau « Etheopia » chanté par Lord Lebby en 1955, c’est-à-dire en pleine période coloniale, faisait déjà référence à l’Afrique. C’était donc un morceau déjà très contestataire dans lequel on retrouve les prémices de l’idéologie rasta! Où se situe le mouvement rasta dans tout ça ? Lorsqu’au début des années 1970, l’idéologie rasta a imprégné la musique jamaïcaine avec le reggae roots, la résistance a été à son paroxysme. En effet, rasta véhicule des idées anticonformistes, anticléricales, anti-Occident, pro-Afrique, en somme des idées on ne peut plus rebelles. Et donc avec le reggae roots, cette idéologie subversive rasta est venue s’ajouter à la contestation sociale déjà présente dans le ska et le rocksteady. Et c’est à ce moment-là que la musique jamaïcaine est devenue véritablement « wicked » et qu’elle s’est répandue dans le monde entier grâce aux Wailers notamment !

Le mento est le premier grand style de musique populaire jamaïcaine. Comment le définirais-tu ?
Comme je l’ai dit plus tôt, le mento est le fruit d’un processus de créolisation engendré par les flux migratoires importants qui ont marqué l’histoire de l’île, notamment après l’abolition de l’esclavage en 1838. Il est issu d’un brassage entre musiques africaines, européennes et caribéennes. Il est défini par des sonorités rustiques et généralement par un répertoire populaire et grivois. Ce genre musical est apparu dans les campagnes jamaïcaines à la fin du 19ème siècle et son âge correspond grossièrement à la première moitié des années 1950, c’est-à-dire à la naissance de l’industrie du disque en Jamaïque. Dans le mento, on retrouve des instruments comme le banjo, la guitare acoustique, le violon, la clarinette, l’harmonica, plus des instruments à percussion et des idiophones comme la rumba box qui est une sorte de gros piano à pouces (héritière de la sanza africaine). En fait, cette instrumentation typique du mento met en relief le métissage culturel de cette musique. Le mento ressemble un peu au calypso trinidadien.


Ina Di Yard
Courtoisie de Jérémie Kroubo Dagnini

Pourquoi le ska était-il moins dénonciateur que le rocksteady ?
Le ska semble moins dénonciateur que le rocksteady parce que d’une part, c’est une musique apparue à l’époque de l’indépendance, au début des années 1960, donc forcément elle reflète cette euphorie, cette joie suscitée par l’indépendance. Un titre comme « Forward March » de Derrick Morgan le montre bien, car il est plein d’espoir et d’optimisme. D’autre part, les morceaux de ska sont souvent des titres instrumentaux, sans paroles. C’est donc évidemment plus difficile de dénoncer sans lyrics. Le rocksteady, quant à lui, est apparu au milieu des années 1960, dans un climat social plus tendu. Et puis avec le rocksteady, il y a moins d’instruments et c’est le grand retour des chanteurs, des trios notamment. Il est donc plus dénonciateur que le ska. A travers les textes de leurs chansons, les rude boys vont dénoncer les injustices et l’immobilisme de la société jamaïcaine. Mais bon, même si le ska semble moins dénonciateur, il faut garder à l’esprit que c’est tout de même un genre contestataire. C’est un genre anti-Establishment, apparu dans les ghettos de Kingston et largement diffusé par les sound systems. Comme je l’ai dit, toutes les formes musicales jamaïcaines dénoncent d’une manière ou d’une autre.

Peux-tu rappeler à nos lecteurs ce qu'est un Rude Boy ?
Les rude boys sont les Jamaïcains des ghettos de Kingston qui, dans les années 1960, étaient fans de musique soul et très influencés par le mouvement Black Power états-uniens. Ils aimaient aussi beaucoup les films de gangsters et avaient d’ailleurs des allures de gangsters. Certains étaient de véritables voyous, à la solde ou non des partis politiques, d’autres étaient plus attirés par la musique. Au milieu des années 1960, ce sont les rude boys qui ont créé le rocksteady, également appelé la soul jamaïcaine. Puis, ils se sont convertis à rastafari, ils ont laissé pousser les locks, sont devenus rastas, et ont transformé le rocksteady en reggae. Bob Marley, Peter Tosh, Bunny Wailer, Desmond Dekker, Bob Andy etc. étaient tous en quelque sorte des rude boys.

Aujourd'hui, quand on évoque le mot skinhead en France, au quidam non au fait de la culture jamaïcaine, il pense de suite à une mouvance d’extrême droite. Pourtant à l'origine, il existe un lien fort entre les mouvances skinhead et punk anglaise ainsi que la musique jamaïcaine. Peux-tu nous expliquer brièvement quel est ce lien ?
En fait les skinheads dérivent des mods, des jeunes prolétaires britanniques qui au tournant des années 1950-1960 étaient fans de musique noire, de sapes, de scooters, de foot etc. Ces mods vivaient dans les mêmes quartiers ouvriers que les immigrés jamaïcains. Ils ont donc commencé à fréquenter les sound systems jamaïcains et les rude boys. Par la suite, les mods et les rude boys ont fusionné et ça a donné naissance au mouvement skinhead dans les années 1960. C’est la raison pour laquelle les premiers skins étaient fans de reggae, d’early reggae notamment, et on retrouvait dans ce mouvement aussi bien des blancs que des noirs. Ce n’était pas encore un mouvement raciste, même si le racisme était parfois latent. Les skins aimaient bien se bagarrer et il arrivait que certains skins blancs et noirs s’en prennent aux Pakistanais et aux Indiens (« Paki-bashing »), ou même aux homosexuels (« Fag-bashing »). Ensuite, vers le milieu des années 1970, le mouvement a été récupéré par l’extrême droite britannique et il s’est scindé en deux avec d’un côté les skins traditionnels, c’est-à-dire ces fans de musique noire et d’early reggae qui sont plutôt ouverts d’esprit, et les autres, les fachos. Avec l’apparition du mouvement punk, de nombreux skins ont adhéré à cette mouvance. Et des liens se sont aussi créés entre les punks et les artistes reggae, en particulier grâce à Don Letts, un fils d’immigrés jamaïcains né à Londres, qui en 1977 était DJ dans une boîte londonienne punk, le Roxy. Entre les concerts de punk, il passait du reggae et du dub, et ça a permis de rapprocher ces deux cultures anti-Establishment. C’était aussi un bon pote de Bob Marley. Une chanson comme « Punky Reggae Party » de Bob Marley reflète bien cet échange culturel entre les mouvances punk et reggae. Les Clash et les Sex Pistols étaient également de grands fans de reggae.



Capleton
Courtoisie de Jérémie Kroubo Dagnini

Et le dancehall quant à lui, ne dirais-tu pas qu'il semble quand même moins dénonciateur que les autres courants musicaux jamaïcains. Comment cela s’explique-t-il ?
En fait il y a plusieurs styles de dancehall. Il y a le dancehall « conscient », le dancehall « bling-bling », le dancehall faisant l’apologie des « gun lyrics », le slackness etc. En ce qui concerne le dancehall « conscient », ce style est aussi dénonciateur que le reggae roots, puisqu’il reprend les mêmes thématiques rasta. Par contre, je reconnais que l’aspect dénonciateur est moins clair dans les autres styles. Pourtant, ces derniers s’inscrivent eux aussi dans cette culture de la résistance qui est propre à la musique jamaïcaine. Par exemple, les artistes de dancehall chantent généralement dans un patois très brut, ce qui est une manière d’affirmer leur identité jamaïcaine. Ils rejettent l’anglais standard, c’est-à-dire la langue du colon. La rythmique est elle aussi rebelle. Elle est très frénétique, presque tribale, puisant dans le bagage culturel africain (en opposition à l’héritage culturelle du colon occidental). Et puis c’est la musique du ghetto, traitant des thématiques liés au ghetto (misère, violence, drogue), donc d’une certaine manière c’est une musique qui se rebelle contre l’élite. Le dancehall « bling-bling » permet aussi à ces chanteurs issus du ghetto de prendre une revanche sociale. Afficher leurs bijoux et leur richesse matérielle est un moyen pour eux d’afficher une certaine ascension sociale, et donc d’afficher une certaine fierté dans une société qui les a toujours opprimés. C’est un peu la même chose que les rappeurs aux Etats-Unis ou en France. Quant au slackness, c’est pour les hommes en quelque sorte un moyen phallique de s’affirmer dans cette société qui a toujours diminué l’homme noir. Pour les femmes qui chantent du slackness comme Lady Saw, c’est un moyen de s’émanciper à la fois financièrement et sexuellement, en revendiquant avec fierté leurs goûts et pratiques sexuelles. C’est peut-être aussi un moyen de revendiquer la beauté de la femme noire. En effet, les critères de beauté inhérent à la culture noire (seins opulents, fesses généreuses etc.) sont très largement valorisés dans la culture « slackness » et le dancehall en général. Et ces représentations érotiques de la femme soulignent la continuité culturelle entre l’Afrique noire et la Jamaïque. Donc, pour résumer, le dancehall se positionne contre la Jamaïque bien-pensante, conservatrice et assimilationniste très prude à l’égard de la sexualité, et donc en ce sens c’est une culture contestataire.

Si l'on se penche maintenant sur les musiques électroniques, penses-tu qu'il y a une continuité entre le dub originel et le travail d'artistes comme Bob Sinclar qui aime produire des artistes reggae ?
Oui, les techniques du dub comme le sample et le remix ont clairement influencé les artistes de musique électronique.  La collaboration entre des artistes comme Adrian Sherwood et Lee Perry le prouve. Ou même comme tu dis, celle entre Bob Sinclar et des artistes reggae. Le dub a influencé des genres comme la techno, la drum and bass, la jungle et le trip-hop. Outre le dub, la culture jamaïcaine du sound system a clairement influencé la culture électronique occidentale. « Qu’est-ce qu’une rave [party] si ce n’est un gigantesque sound system ?» m’a dit un jour Sly Dunbar lors d’une interview.

Une partie de ton livre étudie l'impact des musiques jamaïcaines dans le monde. Que penses-tu du reggae français (métropolitain et kreyol) ?
La France est un pays possédant une longue tradition de contestation, donc la popularité du reggae en France n’est pas vraiment une surprise. Et puis aussi les vertus émancipatrices du reggae, son rythme afro-caribéen, ses textes qui dénoncent l’esclavage, l’exclusion et l’oppression ont contribué à séduire les populations issues de l’immigration afro-caribéenne en France. Dans les Antilles françaises c’est encore plus flagrant. Il y a une proximité culturelle avec la Jamaïque, donc forcément les Antillais ont immédiatement accroché avec cette musique. Moi personnellement, en reggae francophone, j’aime bien les trucs « old school » comme Saï Saï, Raggasonic, Tonton David, Daddy Nuttea etc., mais j’aime bien aussi des artistes plus récents comme Yaniss Odua ou Sael.

Que penses-tu de la théorie de Bruno Blum selon laquelle le rap serait né en Jamaïque ?
Effectivement on peut dire que le rap est né en Jamaïque, dans le sens où les premiers rappeurs aux Etats-Unis étaient d’origine jamaïcaine et largement inspirés par les toasters jamaïcains comme U Roy et Big Youth. En fait, des éléments de la culture DJ jamaïcaine ont fusionné avec des éléments de la culture noire urbaine new-yorkaise, ce qui a donné naissance au rap au début des années 1970. Kool DJ Herc a joué un rôle crucial dans l’émergence du rap. Le livre « Can’t Stop Won’t Stop » de Jeff Chang donne de précieuses informations à ce sujet. Big Youth et U Roy que j’ai eu l’occasion de rencontrer lors de mes recherches m’ont confirmé ce point de vue. Voici ce que m’a dit Big Youth dans une interview : « Big Youth a commencé le rap ! Ouais ! Parce que quand je disais « Yo frères et sœurs, bonjour, comment ça va » et que tu parles et chantes comme ça, tu sais, c’était du rap. Je rappais bien avant ces rappeurs.  Ouais ! Big Youth est l’original et à la base du style DJ et du rap ». Mais on pourrait même remonter plus loin en disant que le rap est né en Afrique, en soulignant l’oralité africaine et l’art des griots africains.

Ton livre contient une biographie inédite consacrée à Bob Marley et les Wailers. Penses-tu que le message de Bob Marley soit toujours d'actualité ? Que penses-tu qu'il ait apporté à la musique jamaïcaine ? Et au mouvement rasta ?
Oui, son message est toujours d’actualité, c’est d’ailleurs pour ça qu’il est toujours aussi populaire. Marley dénonçait les injustices raciales et sociales, Marley prêchait l’amour, Marley était rebelle aussi. Marley était un visionnaire et son message est universel, intemporel, il transcende les âges, les classes et les genres, il échappe à l’éphémère et aux modes, c’est la raison pour laquelle il suscite toujours autant d’engouement. Ce qu’il a apporté à la musique jamaïcaine ? Lui et les Wailers l’ont révolutionnée tant par la profondeur de leurs textes, que par leurs personnalités atypiques, rebelles et charismatiques. Et, par le biais de leur musique et de tournées gigantesques, ils ont exporté le reggae et le mouvement rasta aux quatre coins du globe.

Quels sont tes goûts musicaux et tes artistes préférés ?
J’aime le reggae et la musique jamaïcaine bien sûr, mais pas seulement. En fait, j’écoute plein de genres différents, du reggae, du jazz, du rock, parfois même de l’électro. En fait, ça dépend des « vibes ». En matière de musique jamaïcaine, j’aime bien le rocksteady et les artistes des années 1970-1980 comme les Wailers, Steel Pulse, LKJ, Gregory Isaacs, Aswad etc., des artistes indémodables. J’aime aussi des artistes plus récents comme Buju Banton, Capleton, Sizzla ou Anthony B.  Et j’aime le reggae africain bien sûr, Alpha Blondy notamment. Mes goûts sont assez éclectiques.

Sur quel nouveau projet travailles-tu ?
En ce moment, je suis sur le point de terminer la traduction de la biographie de Lee Perry par David Katz. Donc la version française de « People Funny Boy » sortira probablement d’ici quelques mois, avant la fin de l’année 2012 normalement.

 

Source: Reggae.fr

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27 janvier 2012 5 27 /01 /janvier /2012 07:44

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24 janvier 2012 2 24 /01 /janvier /2012 19:40

A propos du livre de Da­niel Ben­saïd, Marx I’intempestij. Gran­deurs et mi­sères d’une aven­ture cri­tique (XIXeXXe siècles) Fayard, 1995, 415 pages.

 

Phi­lo­so­phique par son objet et par ses am­bi­tions, le livre de Da­niel Ben­saïd est en fait une in­vi­ta­tion pro­vo­cante. Le sens brisé dans les dis­ci­plines et spé­cia­li­sa­tions uni­ver­si­taires risque de se perdre dé­fi­ni­ti­ve­ment au profit de la pensée ins­tru­men­tale. Le vieil « es­prit », saisi comme une sorte de ras­sem­ble­ment de sens, risque de céder sa place au cal­culs égoïstes et in­té­ressés de la mar­chan­dise. Assez donc de l’enrichissante alié­na­tion du sa­voir, osons une aven­ture à la fois cri­tique, es­thé­tique et concep­tuelle en par­ti­cu­lier dans les di­vers do­maines des sciences hu­maines. Marx peut y servir de guide, à condi­tion que l’on le ré­veille de ses cau­che­mars sociaux-démocrates et sta­li­niens. Re­tour donc à Marx, à cet autre Marx ou­blié par les or­tho­doxies en faillite.

Le livre est or­ga­nisé en trois par­ties cor­res­pon­dant glo­ba­le­ment à trois thèses prin­ci­pales que Da­niel Ben­saïd an­nonce dans son introduction :

« In­cer­taine, l’histoire ne promet et ne ga­rantit rien.
In­dé­cise, la lutte ne ré­pare pas à tout coup les in­jus­tices.
La science sans mo­rale ne pres­crit pas le bien au nom du vrai »
 (p. 14).

A. « L’histoire ne fait rien »

Y a-t-il chez Marx une vi­sion té­léo­lo­gique de l’histoire’ ? Y a-t-il un happy end ga­ranti de l’évolution so­ciale, l’inéluctable so­ciété sans op­pres­sion ni classes, quels que soient les « dé­tours », les « dé­via­tions »,et les « dé­gé­né­res­cences » ? La cri­tique pop­pé­rienne de Marx at­tribue à celui-ci une théorie dé­ter­mi­niste de l’histoire. Marx ré­dui­rait la cau­sa­lité his­to­rique aux lois de cau­sa­lité de la phy­sique de son temps. Jon El­ster, un des re­pré­sen­tants du mar­xisme ana­ly­tique anglo-saxon, suit sur ce point la cri­tique poppérienne.

Pour­tant, Popper comme El­ster re­con­naissent à Marx une « théorie ou­verte du conflit », in­com­pa­tible avec une phi­lo­so­phie dé­ter­mi­niste de l’histoire. Ainsi, Marx leur ap­pa­raît comme un pen­seur éclec­tique et par fois incohérent.

Da­niel Ben­saïd ne conteste pas que l’on peut trouver chez Marx quelques pas­sages et quelques ex­pres­sions, en gé­néral à ca­rac­tère po­lé­mique ou di­dac­tique, pou­vant donner lieu à une telle in­ter­pré­ta­tion. Mais cette der­nière n’est pas pour au­tant moins er­ronée. Il n’y a pas chez Marx une phi­lo­so­phie dé­ter­mi­niste de l’histoire, mais bien plutôt une cri­tique pro­fonde et ra­di­cale d’une telle phi­lo­so­phie. Rien de plus étranger à Marx que la ten­ta­tive de for­muler la « loi du pro­grès » à la ma­nière de J. S. Mill ou d’A. Comte et cela est ma­ni­feste dans tout son œuvre de ma­tu­rité. Dans l’Idéo­logie Al­le­mande Marx tourne au ri­di­cule l’interprétation ca­ri­ca­tu­rale de Bruno Bauer et de Max Stirner de la phi­lo­so­phie hé­gé­lienne de l’histoire, selon les­quels la réa­lité his­to­rique ap­pa­raît comme une suite d’idées dont l’une dé­vore la pré­cé­dente pour aboutir fi­na­le­ment à la « terre pro­mise », c’est-à-dire à la « Conscience de soi ». Marx dé­nonce ex­pli­ci­te­ment cette « concep­tion re­li­gieuse » qui consi­dère les phases his­to­riques an­té­rieures comme les étapes im­par­faites et an­non­cia­trices de phases pos­té­rieures. Une telle concep­tion risque d’ailleurs, par sa lo­gique in­terne, de conduire à une jus­ti­fi­ca­tion pure et simple du fait ac­compli. Marx re­jette l’« histoire uni­ver­selle » idéale. Si l’histoire s’universalise, ce n’est pas parce qu’elle tend à une fin pré­exis­tante (la Conscience de soi, l’Idée comme ré­con­ci­lia­tion de la pensée avec le monde ob­jectif, la so­ciété sans classes), mais bien plutôt parce que le ca­pital se mon­dia­lise de sorte que l’existence em­pi­rique des hommes se dé­roule sur le plan mondial.

Cette cri­tique et dé­cons­truc­tion de l’« Odyssée » his­to­rique, dé­ve­loppée da­van­tage dans les Grun­drisse, im­plique une « nou­velle écri­ture de l’histoire » dont le chan­tier est inau­guré dans ce der­nier ou­vrage. Cette « nou­velle écri­ture » in­tro­duit les« no­tions dé­ci­sives de contre­temps et de non contem­po­ra­néité » (p. 34). Marx in­siste sur le « rap­port in­égal » et le « dé­ve­lop­pe­ment in­égal » entre pro­duc­tion éco­no­mique et pro­duc­tion ar­tis­tique, entre rap­ports de pro­duc­tions et rap­ports ju­ri­diques. Le « non-contemporant » et la ré­sis­tance du passé dans le pré­sent, ce qui l’amène à re­dé­finir le pré­sent comme une ar­ti­cu­la­tion com­plexe et conflic­tuel de la contem­po­ra­néité et de la non-contemporanéité, c’est-à-dire comme une dis­cor­dance concrète des temps. Ainsi Marx, non seule­ment nous conduit loin d’une vi­sion mé­ca­nique de la « cor­res­pon­dance » entre l’infrastructure et la su­per­struc­ture et du rap­port forces productives-rapports de pro­duc­tion, mais « inau­gure une re­pré­sen­ta­tion non-linéaire du dé­ve­lop­pe­ment his­to­rique et ouvre la voie aux re­cherches com­pa­ra­tives. » (p. 35). Le concept de « dé­ve­lop­pe­ment in­égal et com­biné » de Parvus et de Trotsky, comme celui de « non-contemporanéité » de E. Bloch s’inscrivent dans le droit fil de ces in­tui­tions marxiennes.

La cri­tique de l’histoire li­néaire im­plique une autre ap­proche du pro­grès, de la né­ces­sité, de la loi. Le pro­grès n’est pas le contraire de la ré­gres­sion, mais sou­vent l’autre face de la même pièce. Marx d’ailleurs, loin d’être un simple ad­mi­ra­teur du pro­grès tech­nique ca­pi­ta­liste, sou­ligne les ré­gres­sions so­ciales, cultu­relles et éco­lo­giques qu’il en­gendre. Le ha­sard n’est pas un ac­ci­dent de la né­ces­sité cau­sale, mais le « cor­rélat im­mé­diat du « dé­ve­lop­pe­ment né­ces­saire », le ha­sard de cette né­ces­sité ». La « loi » chez Marx n’est pas tou­jours celle de la mé­ca­nique, d’où sa cu­rieuse ca­té­gorie de « loi ten­dan­cielle ». En d’autres termes, Marx, in­con­tes­ta­ble­ment in­fluencé par la phy­sique do­mi­nante de son temps, se ré­volte contre ses étroites li­mites, de sorte que sa pensée puisse ré­sister aux dé­ve­lop­pe­ments contem­po­rains des sciences na­tu­relles. On de­vrait ajouter ici, sans exa­gérer, que l’univers lo­gique de Marx est beau­coup plus conforme à la théorie phy­sique mo­derne qu’à la mé­ca­nique clas­sique. Alors que cette der­nière se dé­ve­loppe sur la base de la lo­gique de l’essence, en Al­le­magne se dé­ve­loppe une phi­lo­so­phie de la na­ture dans la­quelle on trouve les germes de ce que Hegel ap­pel­lera plus tard « lo­gique du concept ». Il n’est donc pas aussi éton­nant si Marx re­fuse de trans­poser, sans scep­ti­cisme et es­prit cri­tique, les lois des sciences do­mi­nantes de la na­ture dans son propre do­maine d’investigation.

Une vi­sion non li­néaire de l’histoire est en contra­dic­tion avec toute no­tion de norme ou de nor­ma­lité his­to­rique. Une fois la cau­sa­lité stricte cri­ti­quée, il n’y a plus de place pour des « ac­ci­dents » ou des « dé­via­tions » his­to­riques, dont le but n’est en fait que de sauver après coup cette cau­sa­lité, en la re­la­ti­vi­sant aussi peu que pos­sible. Pour D. Ben­saïd comme pour W. Ben­jamin, c’est bien l’exception qui est la règle. Ainsi le na­zisme et le sta­li­nisme « doivent être com­battus, non au nom d’une norme his­to­rique in­trou­vable, mais au titre d’un projet qui re­ven­dique ses propres cri­tères de ju­ge­ment » (p. 49).

Cri­ti­quant le « mar­xisme ana­ly­tique », D. Ben­saïd sou­ligne que la « cor­res­pon­dance » des forces pro­duc­tives aux rap­ports de pro­duc­tion ne sau­rait se dé­cider à un ni­veau stric­te­ment éco­no­mique. Cette cor­res­pon­dance ren­voie plutôt à la pos­si­bi­lité for­melle d’existence d’un mode de pro­duc­tion, alors que la non-correspondance, la contra­dic­tion entre forces et rap­ports, se dé­cide aussi au ni­veau de la conscience po­li­tique et de la lutte des classes. De ce point de vue, la ques­tion de la « ma­tu­rité » ou de l’ « im­ma­tu­rité » d’une ré­vo­lu­tion ne se dé­finit pas à partir des cri­tères pu­re­ment quan­ti­ta­tifs. La ré­vo­lu­tion russe n’est pas plus im­ma­ture que la ré­vo­lu­tion fran­çaise. Le dé­ve­lop­pe­ment des forces pro­duc­tives ne fait rien. Il crée tout au plus des conflits dont l’issue n’a rien d’un destin pré­dé­ter­miné. Dé­cla­rons la ré­vo­lu­tion russe « im­ma­ture », et nous pou­vons passer sous si­lence toute une série de dé­bats (p. e. sur la NEP), de conflits (p. e. la ré­vo­lu­tion al­le­mande) qui pour­tant ont dé­ter­miné le sort de cette pre­mière. Le to­ta­li­ta­risme sta­li­nien n’était ni pré­vi­sible, ni iné­luc­table. Marx et En­gels eux-mêmes, loin de se conformer à cette mé­ca­nique de forces pro­duc­tives et de rap­ports de pro­duc­tion qu’on leur at­tribue abu­si­ve­ment, se sont en­gagés dans toutes les luttes de l’émancipation de l’homme, même si celles-ci n’avait au­cune chance de réus­site ; alors que la ré­vo­lu­tion russe avait une chance tout à fait réelle de changer le monde. En bref, la durée ne n’agit pas à la ma­nière d’une cause mais à la ma­nière d’une chance.

D. Ben­saïd ex­plique, de ma­nière convain­cante, l’absence du dis­cours his­to­rique ha­bi­tuel dans les Grun­drisse et dans Le Ca­pital. Elle est due à une nou­velle « épis­té­mo­logie » de l’histoire qui émerge sur les ruines de l’histoire uni­ver­selle. « Les so­ciétés d’hier ne sont pas en elles-mêmes, dans leurs im­mé­dia­teté, his­to­riques. Elles le de­viennent sous le choc du pré­sent. » (P. 41) Ce qui compte ce n’est pas de re­pro­duire le passé comme « il a été en réa­lité » ou comme simple suc­ces­sion de faits ac­com­plis, mais de le saisir comme une « tem­po­ra­lité élas­tique » où l’essentiel n’est en­core pas vé­ri­ta­ble­ment joué. Le pré­sent, pos­si­bi­lité réa­lisée du passé, est en même temps la ré­ap­pa­ri­tion dif­fé­ren­ciée de ses po­ten­tia­lités dé­çues et de ses sou­haits non réa­lisés. Le pré­sent cache dans ses pro­fon­deurs « les clefs ou­vrant les coffres du passé comme les portes du futur ». (p.41) Ainsi, la connais­sance du passé n’est pas d’ordre ho­ri­zontal mais d’ordre ver­tical. Le pré­sent est la ca­té­gorie tem­po­relle prin­ci­pale et, comme l’écrit Saint Au­gustin dans ses Confes­sions, il a trois di­men­sions : « Le pré­sent des choses pas­sées, le pré­sent des choses pré­sentes et le pré­sent des choses fu­tures ».

Le dé­pla­ce­ment des prio­rités théo­riques de Marx à partir des Grun­drisse n’a donc rien d’étonnant. Il est le ré­sultat lo­gique de ses re­cherches an­té­rieures. Dé­sor­mais il s’agit de saisir et de pré­ciser les no­tions du temps ac­tuel, ou plutôt sa no­tion, son concept. Car c’est bien le ca­pital notre temps, le temps que nous vi­vons, ou, si l’on veut – d’un autre point de vue – le temps que nous ne vi­vons pas. « Le ca­pital est une or­ga­ni­sa­tion spé­ci­fique et contra­dic­toire du temps so­cial » (p. 92). Le concept de l’économie po­li­tique mo­derne consiste dans une ar­ti­cu­la­tion com­plexe et conflic­tuelle de trois tem­po­ra­lités cor­res­pon­dant aux trois livres théo­riques du Ca­pital : le temps de la pro­duc­tion, le temps de la cir­cu­la­tion et le temps de la re­pro­duc­tion d’ensemble qui, unité des deux pré­cé­dents, est le temps or­ga­nique du ca­pital. Le pre­mier, temps li­néaire et mé­ca­nique, est le temps des cal­culs et des quan­tités, le temps des chro­no­mètres de la pro­duc­tion et des sta­tis­tiques des so­ciétés d’assurances, le temps que nous vi­vons en tant que ca­pi­taux va­riables, le temps de notre réa­lité pro­saïque, de notre réi­fi­ca­tion mar­chande et non le temps vrai qu’il faut en­core li­bérer et in­venter. Le temps de la pro­duc­tion est en d’autres termes celui de la pro­duc­tion des va­leurs mar­chandes. Le temps de la cir­cu­la­tion, et celui de la durée du ca­pital à tra­vers les cycles et les ro­ta­tions de la va­leur pro­duite. Le temps or­ga­nique, unité posée du temps de la pro­duc­tion et du temps de la cir­cu­la­tion, est celui de la vie so­ciale du ca­pital, qui, comme tout or­ga­nisme vi­vant, dure et vieillit à tra­vers un mou­ve­ment in­ces­sant de re­pro­duc­tion et d’évolution de lui-même. Le ca­pital est le temps so­cial et his­to­rique qui s’auto-régule et s’auto-organise, le temps de notre vie aliéné et étranger à nous-mêmes. Dans cette auto-organisation, la loi de la va­leur et celle de la baisse ten­dan­cielle du taux de profit jouent un rôle cru­cial. La va­leur n’est pas une simple quan­tité de tra­vail, mais plutôt le choc constant entre ven­deur et ache­teur, pro­duc­teur et consom­ma­teur, leur rap­port so­cial conflic­tuel. Ordre du désordre, prin­cipe ré­gu­la­teur d’une éco­nomie de non-équilibre, la va­leur n’est quan­ti­fiable que par le contre­coup d’une dif­fé­rence qui se fait jour en elle. Car le temps de « tra­vail so­cia­le­ment né­ces­saire », sensé être la dé­ter­mi­na­tion quan­ti­ta­tive de la va­leur, unit en lui les exi­gences dis­cor­dantes de deux points de vue an­ta­go­nistes… « so­cia­le­ment né­ces­saire » pour le pro­duc­teur mais en même temps pour le consom­ma­teur. Comme l’écrit D. Ben­saïd, le temps de tra­vail so­cial est un temps à la fois me­suré et me­su­rant. S’agit-il d’une contra­dic­tion ? Evi­dem­ment, mais d’une contra­dic­tion in­hé­rente au ca­pi­ta­lisme réel­le­ment exis­tant : « Lorsque le temps de tra­vail so­cial n’est plus va­lidé par la so­ciété du fait que le cycle entre achat et vente se brise, « le so­cial ex­clut le so­cial » » (p. 99). Le taux de profit du ca­pital, par ses fluc­tua­tions, rythme l’histoire et l’oriente. Les grandes crises ca­pi­ta­listes, ex­pres­sions vio­lentes des contra­dic­tions du ca­pital, in­ter­rup­tions du temps ho­mo­gène et vide de l’histoire, sont jus­te­ment les mo­ments de Κρίsης, c’est-à-dire les mo­ments de dé­ci­sions et de choix, donc des pos­sibles. Le dé­pas­se­ment ca­pi­ta­liste de telles crises, tou­jours pos­sible et plus ou moins pro­bable selon le cas, est la paix que le ca­pital conclut avec lui-même, qui lui as­sure une nou­velle pé­riode de crois­sance re­la­ti­ve­ment régulière.

B. La lutte des classes contre la sociologie

En effet, il n’y pas de so­cio­logie conforme aux cri­tères aca­dé­miques de la dis­ci­pline dans l’œuvre de Marx. Schum­peter – et il n’est pas le seul –s’étonne d’une telle ab­sence dans l’œuvre d’un au­teur pour le­quel l’histoire hu­maine est celle de la lutte des classes. Marx ne dé­finit même pas la no­tion de classe, il n’offre pas de cri­tères de clas­si­fi­ca­tion des in­di­vidus dé­fi­ni­tifs. Mais est-ce que Marx pro­cède par dé­fi­ni­tions et clas­si­fi­ca­tions ? En fait, qu’est-ce la clas­si­fi­ca­tion, la taxi­nomie, sinon l’arbitraire sub­jectif plaqué sur des réa­lités dy­na­miques qui se trouvent ainsi ar­ti­fi­ciel­le­ment blo­quées par l’immobilisme de leurs noms ? Si la science de la so­cio­logie pro­cède par des dé­fi­ni­tions et des taxi­no­mies, tant pis pour elle. La science al­le­mande en tout cas s’efforce à « struc­turer un en­semble selon les règles de son propre de­venir ».

Le concret est l’unité de mul­tiples dé­ter­mi­na­tions. Ainsi, plus le dé­ve­lop­pe­ment du concept avance, plus l’abstrait se concré­tise dans un mou­ve­ment où la fin est la vé­rité du com­men­ce­ment, plus les classes so­ciales se dé­ter­minent. Mais ce qui in­té­resse vé­ri­ta­ble­ment Marx, ce n’est pas d’aboutir, ne serait-ce qu’en der­nière ana­lyse, à une série de cri­tères de clas­se­ment ha­bi­tuels per­met­tant la clas­si­fi­ca­tion exacte des in­di­vidus. Peu im­porte en fait, si le contre­maître ap­par­tient plutôt à la classe ou­vrière. Ce qui compte c’est de dé­ter­miner, à dif­fé­rents ni­veaux d’analyse, les termes de la lutte et non de tracer une ligne claire de dé­mar­ca­tion. Dans le pre­mier livre duCa­pital, les termes de la lutte se dé­ter­minent à partir de la no­tion cen­trale du taux d’exploitation : lutte sur la durée de la journée de tra­vail, lutte sur les par­ties consti­tu­tives de cette journée (sa­laire, plus-value), lutte sur le contenu du tra­vail (par­cel­li­sa­tions des tâches pro­duc­tives) et sur son in­ten­sité. La classe ou­vrière y est dé­ter­minée comme celle qui, privée de moyens de pro­duc­tions, aliène son tra­vail au ca­pital et pro­duit la plus-value comme la va­leur de sa propre force de tra­vail. Du pre­mier livre du Ca­pital surgit une ques­tion im­por­tante. Com­ment le tra­vailleur mo­derne, hu­milié, mé­prisé, mor­celé, réifié dans et par son tra­vail in­dus­triel peut-il rompre le cercle vi­cieux du fé­ti­chisme, de la fausse conscience, de l’aliénation ? « Com­ment de rien de­venir tout ? » (p.125). Dans le se­cond livre du Ca­pital, la no­tion de classe se charge de nou­velle dé­ter­mi­na­tions. Le ca­pital in­dus­triel est l’unité en mou­ve­ment du procès de pro­duc­tion et du procès de cir­cu­la­tion au sens stricte. Ce der­nier ne pro­duit ni va­leur, ni plus– value. Cer­taines fonc­tions du ca­pital (achat et vente des mar­chan­dises par exemple) im­pliquent un tra­vail non pro­ductif ou in­di­rec­te­ment pro­ductif. La classe ou­vrière s’élargit donc main­te­nant à partir des dé­ter­mi­na­tions in­di­rec­te­ment liées au taux d’exploitation et au procès de pro­duc­tion. Les cycles du ca­pital im­pliquent un tra­vail pro­ductif et un tra­vail non pro­ductif car leur fi­na­lité, la réa­li­sa­tion d’un profit, ne pré­sup­pose pas seule­ment la pro­duc­tion de va­leur et de plus-value mais aussi leur cir­cu­la­tion. Ainsi, la no­tion de classe chez Marx n’a ja­mais im­pliqué l’homogénéité plus ou moins grande des ca­té­go­ries socio-profesionnelles. La classe ou­vrière n’a ja­mais été ho­mo­gène de ma­nière em­pi­rique (ni d’ailleurs la bour­geoisie). Dans le troi­sième livre du Ca­pital, cer­tains actes du ca­pital in­dus­triel se dé­doublent de sorte qu’à côté du pre­mier ap­pa­raissent le ca­pital com­mer­cial, le ca­pital fi­nan­cier etc., et donc le com­mer­çant, le ban­quier, le ges­tion­naire. De cette ma­nière, comme la classe ca­pi­ta­liste se dif­fé­rencie sans perdre son iden­tité fon­da­men­tale, les tra­vailleurs de la sphère de la cir­cu­la­tion (com­merce, crédit, pu­bli­cité, as­su­rances, ges­tion etc.) n’appartiennent pas à une troi­sième classe, même si leurs re­venus consti­tuent une partie de la plus value so­ciale, à la pro­duc­tion de la­quelle ils contri­buent in­di­rec­te­ment. Les deux classes prin­ci­pales de la so­ciété mo­derne s’y dé­ter­minent et se dé­li­mitent ré­ci­pro­que­ment selon leurs fonc­tions an­ta­go­nistes dans le pro­cessus de la re­pro­duc­tion d’ensemble. Ce qui unit né­ces­sai­re­ment la classe ca­pi­ta­liste d’un côté, la classe ou­vrière de l’autre côté, est leurs op­po­si­tion éco­no­mique ré­ci­proque non seule­ment au ni­veaux du rap­port d’exploitation de la pro­duc­tion mais au ni­veaux de la dis­tri­bu­tion des rôles et des re­venus dans le pro­cessus d’ensemble.

Contrai­re­ment donc à la so­cio­logie po­si­tive, qui d’ailleurs s’est his­to­ri­que­ment dé­ve­loppée comme « en­tre­prise de dé­po­li­ti­sa­tion » et « an­ti­dote à la lutte des classes » (p. 120, en note) dans une pé­riode post-révolutionnaire, Marx « suit la lo­gique de ses mul­tiples dé­ter­mi­na­tions. Il ne « dé­finit » pas une classe. Il ap­pré­hende de re­la­tions de conflits entre classes. Il ne pho­to­gra­phie pas un fait so­cial éti­queté classe. Il vise le rap­port de classe dans sa dy­na­mique conflic­tuelle. Une classe isolée n’est pas un objet théo­rique, mais un non-sens » (p. 132).

Bien sûr, Marx n’a pas pu achever sa théorie des classes so­ciales. Le Ca­pital finit brus­que­ment au mi­lieu d’une page lais­sant ainsi in­achevé le cha­pitre spé­ci­fique consacré aux classes so­ciales. Mais de quoi s’agirait-il en fait dans ce cha­pitre, si Marx avait eu le temps de le finir ? Permettons-nous une spé­cu­la­tion : ce cha­pitre « final » se­rait une or­ga­ni­sa­tion des dé­ter­mi­na­tions an­té­rieures et en même temps une in­tro­duc­tion à la théorie de l’Etat. Car il est im­pos­sible d’achever une théorie des classes sans une théorie de l’Etat, pas plus traitée dans Le Ca­pital que cette pre­mière. L’Etat ca­pi­ta­liste — comme d’ailleurs le marché mon­dial — par­ti­cipe au procès de la re­pro­duc­tion d’ensemble, il fait partie des rap­ports de pro­duc­tion ca­pi­ta­listes. Son ana­lyse est donc es­sen­tielle — tout au­tant que celle du marché mon­dial — à l’approfondissement de l’analyse des termes de la lutte.

La po­li­tique n’est pas ré­duc­tible à l’antagonisme bi­po­laire des classes, tout en étant or­ga­ni­que­ment liée à celui-ci. La re­pré­sen­ta­tion po­li­tique n’est pas un mi­roir simple dans le­quel se re­flète une na­ture so­ciale conflic­tuelle, mais plutôt un mi­roir à la fois dé­for­mant et mul­ti­forme. La lutte po­li­tique a quelque pa­renté avec le sujet en psy­cha­na­lyse. « Ar­ti­culée comme un lan­gage, elle opère par dé­pla­ce­ments et conden­sa­tions des contra­dic­tions so­ciales. Elle a ses rêves, ses cau­che­mars et ses lapsus » (p. 133). La po­li­tique a aussi ses confu­sions men­tales, ses dé­pres­sions ner­veuses et ses psy­choses, même si D. Ben­saïd, selon une ar­gu­men­ta­tion re­mar­quable, ne veut pas dé­finir le fas­cisme et le sta­li­nisme comme des états « pa­tho­lo­giques » mais comme des si­tua­tions his­to­riques in­édites. La po­li­tique d’extermination mas­sive des juifs n’a-t-elle pas pris la di­men­sion d’une vé­ri­table psy­chose ca­tas­tro­phique, échap­pant à toute fi­na­lité rai­son­nable, à toute lo­gique ? Les ré­gimes to­ta­li­taires ont peut-être leur « lo­gique » propre, cer­tains de ses actes ce­pen­dant re­lèvent de la pa­tho­logie, car leur seule com­pré­hen­sion pos­sible est d’ordre psy­cha­na­ly­tique psychiatrique.

Cette « an­ti­so­cio­logie » mé­tho­do­lo­gique de Marx permet à Da­niel Ben­saïd de cri­ti­quer no­tam­ment les concep­tions assez « so­cio­lo­giques » du « mar­xisme ana­ly­tique » sur la ques­tion de l’exploitation et de la jus­tice et les Adieux au pro­lé­ta­riat d’A. Gorz, re­si­tuant ainsi des dis­cus­sions an­ciennes sur une base nou­velle et fertile.

C. La science sub­ver­sive allemande

« Science du troi­sième type, dit Spi­noza. Science du contin­gent pré­cise Leibniz. Science spé­cu­la­tive ajoute Hegel. « Science al­le­mande », ré­sume Marx. » (pp. 247 – 248). La connais­sance du « troi­sième type », in­tui­tive et ra­tion­nelle à la fois, n’oppose pas le par­ti­cu­lier à l’universel de la ma­nière ha­bi­tuelle. Plus nous connais­sons les choses sin­gu­lières, plus nous connais­sons Dieu, l’universel, la sub­stance. Spi­noza cri­tique donc le dua­lisme de la ré­flexion et no­tam­ment la vi­sion duale du monde qui ca­rac­té­rise la phi­lo­so­phie kan­tienne. Le monde constitue chez lui une seule to­ta­lité. C’est d’ailleurs pour cette raison que Hegel rend à Spi­noza un hom­mage tout par­ti­cu­lier : « Spi­noza est le point cen­tral de la phi­lo­so­phie mo­derne : sans spi­no­zisme il n’y a pas de phi­lo­so­phie ». Cette to­ta­lité est ce­pen­dant ob­tenue, si l’on exa­mine la phi­lo­so­phie spi­no­zienne de plus près, de la « des­truc­tion » des choses sin­gu­lières et dé­ter­mi­nées. Toute dé­ter­mi­na­tion, dit Spi­noza à juste titre, est une né­ga­tion. Les « at­tri­buts » de la sub­stance spi­no­zienne, l’« étendue » (la na­ture) et la pensée, s’avèrent chez lui comme des dé­ter­mi­na­tions et donc des né­ga­tions. Ils sont donc en eux-mêmes in­com­plets et dé­pen­dants. Ils n’ont pas une exis­tence réelle et ef­fec­tive, ils n’existent pas en et pour soi. Ainsi, toute chose dé­ter­minée est né­ces­sai­re­ment zu Grunde. Quelle construc­tive am­bi­guïté de cette ex­pres­sion al­le­mande : zu Grunde gehen si­gnifie « dis­pa­ri­tion » et en même temps re­tour au « fon­de­ment ». La sub­stance est donc l’unité simple de l’esprit avec lui-même, sa li­bé­ra­tion des contenus finis. L’esprit est la seule po­si­ti­vité ab­solue, in­fi­nité et af­fir­ma­tion vé­ri­tables. La sub­stance est l’abstraction dans la­quelle dis­pa­raît l’éphémère et le fini. C’est pour cette raison qu’elle est, selon Hegel, le « début de la phi­lo­so­phie et sa base ab­solue ». Mais seule­ment le début. Car dans la sub­stance tout dis­pa­raît et rien ne res­sort. Il lui manque, comme le note Hegel, l’activité et la sub­jec­ti­vité. Elle est seule­ment une abs­trac­tion qui ne sait pas se concré­tiser, une uni­ver­sa­lité qui ne se peut se par­ti­cu­la­riser, un Dieu passif et, en der­nière ana­lyse, im­puis­sant. Les at­tri­buts ex­pri­mant la sub­stance d’une ma­nière in­adé­quate, ils dé­si­gnent plutôt ce que la sub­stance n’est pas. Dieu ne crée donc pas le monde, le logos n’est pas au com­men­ce­ment mais plutôt à la fin, il est le pro­duit d’un « Zu-Grunde-Gehen » des choses. Le fondé (les at­tri­buts) fonde le fon­de­ment (la sub­stance), alors que le fon­de­ment, ré­duit à un rôle passif, ne fonde pas le fondé. Le dua­lisme de la ré­flexion chassé par la porte entre par la fe­nêtre, car le concret n’appartient pas au contenu de la sub­stance, mais il est posé face à elle comme un autre.

La phi­lo­so­phie hé­gé­lienne com­mence là où la phi­lo­so­phie spi­no­ziste s’arrête. La sub­stance de­venue sujet est le concept hé­gé­lien (et le ca­pital de Karl Marx). Spi­noza reste à la sub­stance abs­traite, car il saisit la né­ga­tion d’une ma­nière uni­la­té­rale. Le penser, écrit Hegel, est aussi quelque chose de dé­ter­miné (ein Bes­timmtes) car il contient la né­ga­tion. L’affirmation vé­ri­table du penser pro­vient jus­te­ment d’une né­ga­tion de la né­ga­tion, de la né­ga­tion de la forme ce qui est la forme ab­solue. En d’autres termes le penser n’est pas une « mo­di­fi­ca­tion » de la sub­stance, il ne l’exprime pas de ma­nière in­adé­quate car son mou­ve­ment conti­nuel est la forme de son im­mo­bi­lisme es­sen­tiel, sa mo­di­fi­ca­tion est sa ma­nière de rester iden­tique à lui-même. Mou­ve­ment et repos, né­ga­tion et af­fir­ma­tion, temps et es­pace ne sont plus liés par le fa­meux « aussi » qui « combat la phi­lo­so­phie ». Le mou­ve­ment qui n’est pas en mou­ve­ment est repos, la né­ga­tion de la né­ga­tion est af­fir­ma­tion, le temps est le de­venir de l’espace (et de l’histoire), la mort est la vie du genre, la dis­pa­ri­tion de la va­leur d’usage est la va­leur d’échange, l’ordre est la face in­vi­sible du désordre, le ha­sard a sa né­ces­sité, l’équilibre éco­no­mique (vé­ri­table, c’est-à-dire non celui, ima­gi­naire, de Walras) est la ré­gu­la­tion du déséquilibre.

Le monde dans son unité est la sub­jec­ti­vité qui s’auto-produit, le concept qui pro­duit ses contenus concrets, par­ti­cu­liers et finis et qui les dé­truits dans un pro­cessus sans fin pour s’affirmer lui-même comme le seul contenu va­lable et in­fini. Chez Spi­noza,« il y a trop de Dieu », écrit Hegel. Il y a trop d’universel pourrait-on tra­duire, il n’y a que l’universel.

D. Ben­saïd donne par­fois l’impression, à tra­vers cer­taines phrases im­pru­dentes, de traiter du rap­port de Marx à Spi­noza et à Hegel, comme si ces deux der­niers phi­lo­sophes avaient exercé une in­fluence com­pa­rable sur Marx. D’abord Spi­noza n’est pas ab­sent chez Hegel, — ni d’ailleurs Leibniz et sa « contin­gence » dont l’influence sur Marx est en­core moins im­por­tante que celle de Spi­noza -, puis toute la lo­gique duCa­pital (ce que D. Ben­saïd dit très ex­pli­ci­te­ment) est une lo­gique du concept. Le ca­pital lui-même n’est pas autre chose que le syl­lo­gisme du pou­voir et plus pré­ci­sé­ment une ap­pli­ca­tion concrète de l’« idée » hé­gé­lienne. Comme dans les sciences de la na­ture, en lo­gique phi­lo­so­phique il y a une ac­cu­mu­la­tion des connais­sances, même si cette der­nière n’est pas aussi linéaire.

Il ne s’agit pas ici de contester l’influence de Spi­noza et de Leibniz sur Marx, mais plutôt de sou­li­gner, en­core une fois, le ca­rac­tère concep­tuel de la lo­gique du Ca­pital, dont il faut saisir la vé­ri­table portée. D. Ben­saïd écrit à juste titre que Le Ca­pital suit les trois mo­ments sui­vants du dé­ve­lop­pe­ment du concept hé­gé­lien : mécanisme-production, chimisme-circulation (au sens stricte), té­léo­logie (plus pré­ci­sé­ment vie)-reproduction d’ensemble. Avant d’entrer dans quelques dé­tails, no­tons ceci : si, selon Marx, le ca­pital ne dif­fère pas dans sa lo­gique de l’idée hé­gé­lienne (thèse que D. Ben­saïd ac­cepte à juste titre), en quoi l’idéalisme hé­gé­lien diffère-t-il du ma­té­ria­lisme mar­xien ? Chez Hegel, les contra­dic­tions du concept sont le mo­teur vé­ri­table du sa­voir. Chez Marx, la dou­leur so­ciale est le mo­teur vé­ri­table de la so­ciété. Le concept phi­lo­so­phique de l’un est le rap­port socio-économique de l’autre. Le pre­mier pense la pensée, le se­cond montre com­ment la so­ciété est une pensée qui se pense. Le pre­mier pense « maî­triser » le concept, le se­cond montre de quelle ma­nière le concept nous gou­verne. En d’autres termes, l’homme (à tra­vers la ré­vo­lu­tion fran­çaise) n’a pas construit le monde d’après l’idée, mais l’idée s’est au­to­no­misée pour de­venir, contre l’homme, son monde in­ha­bi­table et aliéné. Ainsi – contrai­re­ment à une opi­nion très ré­pandue mais sans fon­de­ment – ce qui les sé­parent est en fait la théorie du fé­ti­chisme et de l’aliénation telle qu’elle ap­pa­raît dans Le Ca­pital. A part cela nous ne voyons pas d’autres dif­fé­rences essentielles.

Le ca­pital, écrit Marx, est une « abs­trac­tion in actu ». Cela veut dire que le ca­pital n’est pas une abs­trac­tion simple, c’est-à-dire une sub­stance, mais une sub­stance (la va­leur) qui est de­venue sujet (le ca­pital). Com­prendre ceci est la clé pour saisir la lo­gique du Ca­pital.

Dans le cadre d’une lo­gique concep­tuelle l’essence ne s’oppose pas au phé­no­mène de la ma­nière ha­bi­tuelle car elle est sou­mise au exi­gences du concept. La va­leur n’explique pas le prix de la ma­nière ha­bi­tuelle. Comme le montre d’ailleurs D. Ben­saïd, la va­leur se dé­double en elle-même en va­leur et prix, et se dé­ter­mine ainsi comme le rap­port conflic­tuel entre tra­vail dé­pensé et tra­vail re­connu, rap­port qui dé­ter­mine la ré­par­ti­tion du tra­vail so­cial, comme prin­cipe ré­gu­la­teur de la di­vi­sion so­ciale du tra­vail. La va­leur comme ca­pital est, si l’on veut, l’ordre ré­gu­lant de l’intérieur son­propre désordre ex­té­rieur. Le désordre est phé­no­ménal d’un double point de vue. Il est la forme d’apparence de l’ordre à la conscience or­di­naire, qui y voit le chaos ori­ginel ou un ordre ima­gi­naire, et la forme d’apparition ou d’extériorisation de l’ordre dans toute sa com­plexité (le désordre saisi est ordre). L’essence que le phé­no­mène cache est dans le phé­no­mène et celui-ci montre la ma­nière dont il la cache. Ainsi, il la ré­vèle. Il ap­par­tient à la na­ture de la va­leur de se ca­cher der­rière le prix. Mais le prix finit par trahir la va­leur se dé­voi­lant ainsi lui-même comme son ex­pres­sion. Le phé­no­mène est l’apparaître de l’essence en elle-même. Y com­pris les men­songes du phé­no­mène sont ceux de l’essence, car l’idéologie est, elle aussi, es­sen­tielle. Un ca­pi­ta­lisme sans idéo­logie ne se­rait pas un ca­pi­ta­lisme mais un sys­tème fondé sur la vio­lence pure et simple. Chez Marx, il y a es­sen­tia­li­sa­tion du phé­no­mène, comme il y a phé­no­mé­na­li­sa­tion de l’essence, in­té­rio­ri­sa­tion de l’extérieur et ex­té­rio­ri­sa­tion de l’intérieur, car ce qui est vé­ri­ta­ble­ment réel et ef­fectif est leur unité vivante.

Le ca­pital est chez Marx un or­ga­nisme vi­vant et donc un pro­cessus té­léo­lo­gique, c’est-à-dire un pro­cessus qui se com­prend par sa fi­na­lité. Cette fi­na­lité est la réa­li­sa­tion d’un profit ou sa propre re­pro­duc­tion. Plus pré­ci­sé­ment, il se re­pro­duit grâce aux trois cycles vi­taux du ca­pital in­dus­triel qui est le ca­pital sous sa forme fon­da­men­tale. Le cycle du capital-argent, le cycle du ca­pital pro­ductif et le cycle du capital-marchandise. Ces trois cycles unis et in­ter­dé­pen­dants dé­si­gnent chacun une pro­priété du ca­pital : re­pro­duc­tion dans le sens de mul­ti­pli­ca­tion, re­pro­duc­tion dans le sens d : conser­va­tion de soi, as­si­mi­la­tion des be­soins so­ciaux. Ils ren­voient en même temps à trois rythmes éco­no­miques fon­da­men­taux : rythme de pro­duc­tion de profit, rythme de re­pro­duc­tion so­ciale de la va­leur et rythme d’élargissement des be­soins sol­vables na­tio­naux et in­ter­na­tio­naux. Des rap­ports de pro­por­tion­na­lité entre ses trois rythmes dé­pendent la crois­sance et la crise. II n’y a rien qui est pour le ca­pital, qui n’est pas pré­sent, ne serait-ce que de ma­nière im­pli­cite ou abs­traite, dans ces trois cycles vi­taux. Ils dé­si­gnent donc la to­ta­lité, ils sont en quelque sorte la « pé­ri­phérie » ra­tion­nelle de la to­ta­lité, qui doit se concré­tiser par des dif­fé­ren­cia­tions internes.

« Abs­trac­tion in actu », c’est-à-dire ac­tive, le ca­pital agit de ma­nière à se concré­tiser. Il est, en d’autres termes, le sujet qui se fait son propre objet. Ce pro­cessus de concré­ti­sa­tion est double. D’abord, il crée ses dé­ter­mi­na­tions « stables » par dif­fé­ren­cia­tions in­ternes. Chez Marx, la mar­chan­dise, la mon­naie, le ca­pital, com­mer­cial, le ca­pital por­teur d’intérêt etc., dé­ter­mi­na­tions qui exis­taient bien avant le ca­pi­ta­lisme, sont pour ainsi dire, en tant que dé­ter­mi­na­tions lo­giques et en même temps ef­fec­tifs, ré­créés par le ca­pital in­dus­triel. La mar­chan­dise du troc n’est pas la même que celle du ca­pital, car la va­leur de la se­conde seule­ment est dé­ter­minée par le temps de tra­vail so­cial. Le ca­pital com­mer­cial et le ca­pital por­teur d’intérêt pré­ca­pi­ta­listes ne pro­viennent pas d’un dé­dou­ble­ment des fonc­tions du ca­pital in­dus­triel pour la simple raison que ce der­nier n’existait pas en­core. Le concept ne trouve pas ses dé­ter­mi­na­tions toutes prêtes dans la pré­his­toire ca­pi­ta­liste, il y trouve tout au plus leur nom. Oui, il y a un dé­ve­lop­pe­ment lo­gique du concept dans Le Ca­pital. Il com­mence par l’objet le plus simple de l’économie qui est la mar­chan­dise. Mais dans le membre d’un or­ga­nisme, il y a la to­ta­lité tout en­tière sous une forme im­pli­cite et condensée. On ouvre la mar­chan­dise et on dé­couvre un monde. Il faut d’abord que ce monde ap­pa­raisse tout en­tier comme une to­ta­lité à la fois lo­gique et ef­fec­tive pour que l’on sai­sisse vé­ri­ta­ble­ment ce qu’il y avait dans ce com­men­ce­ment. La mar­chan­dise du pre­mier cha­pitre du Ca­pital s’engage dans un dia­logue cri­tique et au­to­cri­tique avec l’argent et de ce dia­logue sur­gissent des dé­ter­mi­na­tions nou­velles et ainsi de suite, le logos qui est au com­men­ce­ment se com­plexifie et se dé­ve­loppe. Le dé­ve­lop­pe­ment concep­tuel se sou­vient de ses mo­ments an­té­rieurs, sans cesse éclairés d’une lu­mière nou­velle et plus riche. Puis, le ca­pital crée ses contenus his­to­riques concrets et par­ti­cu­liers, c’est-à-dire ses formes ins­ti­tu­tion­nelles et po­li­tiques, entre en conflit avec elles – conflits qu’on ap­pelle ha­bi­tuel­le­ment crises struc­tu­relles – et les dé­passe éven­tuel­le­ment grâce à sa ca­pa­cité de re­dé­finir et de re­con­cré­tiser ses formes ce que lui permet une nou­velle phase de dé­ve­lop­pe­ment re­la­ti­ve­ment ré­gu­lière. Ce que cer­tains au­teurs ap­pellent « ré­gu­la­tion » n’est rien d’autre que la paix sin­gu­lière que le ca­pital conclut avec lui-même et qui lui permet une nou­velle pé­riode de crois­sance plus ou moins longue. Cette paix est sin­gu­lière, car elle est le com­promis entre la lo­gique abs­traite du ca­pital et les formes ins­ti­tu­tion­nelles et po­li­tiques concrètes dans les­quelles cette lo­gique d’ordre uni­ver­selle se par­ti­cu­la­rise. Le ca­pital se dé­finit ainsi comme la lo­gique de sa propre histoire.

Nous re­ve­nons main­te­nant au point de dé­part. L’histoire du ca­pital est d’un cer­tain point de vue té­léo­lo­gique, car elle se com­prend par son but. : la re­pro­duc­tion du ca­pital dans un en­vi­ron­ne­ment éco­no­mique, so­cial et in­ter­na­tional en constante mu­ta­tion. Elle ne se com­prend pas par sa fin (dans le sens de Τeλός), car, comme nous l’avons montré, cette fin n’est ni pré­vi­sible, ni iné­luc­table. L’histoire n’a rien d’un destin pré­dé­ter­miné. Nous vi­vons dans un monde de né­ces­sités re­la­tives, de pos­si­bi­lités li­mi­tées et de scé­na­rios plus ou moins probables.

La science al­le­mande est une science du concept. Elle est puis­sante car le point de vue de la science de la na­ture, dé­fi­ni­tion, cau­sa­lité, force, loi, né­ces­sité, etc., est pré­sent comme auf­ge­ho­benes Ob­jekt (objet conservé et sup­primé) dans une lo­gique de re­la­tions plus riche. Elle a, grâce à sa mé­thode, une grande ca­pa­cité d’intériorisation des connais­sances nou­velles et elle est très à l’aise dans les théo­ries phy­siques contem­po­raines (la théorie du chaos) dont on y trouve les traces. Elle est sub­ver­sive par sa mé­thode et par ses ré­sul­tats. Elle tour­mente le pacte de la science po­si­tive et du pou­voir, où le lo­gique et le né­ces­saire ont si sou­vent coïn­cidé avec les réa­lismes cy­niques, aveugles et par­tiels du capital.

A titre de conclu­sion nous nous li­mi­tons à noter ceci : le livre de D. Ben­saïd re­nou­velle à bien des égards la connais­sance de l’œuvre de Marx et constitue une contri­bu­tion in­dis­pen­sable à la cris­tal­li­sa­tion d’un cou­rant de pensée que l’on pour­rait qua­li­fier de « mar­xisme cri­tique et dialectique ».

Stravos Tom­bazos

Source: Nouveaux cahiers du socialisme

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Non au Front National !

Camarades ,

Ne nous livrons pas aux chants des sirènes fascistes, qui sous couvert d'un discours anti-systémique bien rôdé, ne visent qu'à instaurer un régime aux relents des années 30. Ne soyons pas naifs face à ce nouvel ordre moral que veulent imposer par le mensonge et la peur les tenants de la haine et du "sang pur". Sous couvert d'une fausse expression démocratique et médiatique, le FN ne s'est jamais détaché de ce qui a construit son origine : une droite populaire qui rejette le prolétaire, une droite chrétienne qui rejette le non-croyant ou l'autre croyant, une droite corporatiste qui rejette l'union des travailleurs. Le FN a ses petits groupuscules néo-nazi dont il se défend d'être en lien publiquement mais avec qui il travaille bien tranquillement  : GUD, bloc identitaire et autres "natios".

    Et lorsque l'on se penche sur son programme politique le vernis craque : Contre la retraite par répartition et tout ce qu' a fondé le CNR de 1945 (où était-il lors des manifs de 2010 ?)  , contre les droits des salariés ( poujadiste un jour, poujadiste toujours !) etc... 

De nombreux documents démontrent l'imposture du FN. L'UPAC vous en propose deux :

- Celui du collectif communiste Prométhée dans son numéro 85, (site net : http://promcomm.wordpress.com), 5 pages.

-Celui du collectif VISA (Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes), qui s'intitule "FN, le pire ennemi des salarié(e)s" et dont le lien est sur le blog, 29 pages. 

 

Ne lâchons rien ! 

Face au bras tendu du facho, levons le poing ferme du prolo !! 

 

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