Diffusé jeudi 15 décembre au soir sur France 2, le documentaire bourré d'archives co-réalisé par la journaliste Caroline Fourest est déjà attaqué par la présidente du Front national.
Capture du documentaire « Marine Le Pen, l'héritière » de Caroline Fourest et Fiammetta Venner, Nilaya, 2011
Elles sont détestées par les militants frontistes, peut-être autant que l'humoriste Sophia Aram,
désormais placée sous protection policière. Mais Caroline Fourest et Fiammetta Venner continuent leur combat contre
Marine Le Pen.
Le couple d'intellos, qui lutte depuis vingt ans pour la laïcité et contre tous les intégrismes, a signé une biographie de la présidente du Front national au printemps dernier – qui s'est bien
vendue (près de 14 600 exemplaires, selon Edistat). Le FN a porté plainte pour injures et diffamations.
A la rentrée, Patricia Boutinard-Rouelle, productrice de France 2 est « venue » les chercher en leur demandant de mettre leur démonstration en images. Le documentaire « Marine Le
Pen, l'histoire d'une héritière » sera diffusé, jeudi 15 décembre, sur France 2, à 23h10.
Le docu est basé sur la bio ? Le FN attaque
Le FN enrage. En juin, Marine Le Pen avait eu l'occasion de dire à Caroline Fourest ce qu'elle pensait de son livre. Elles s'étaient disputées sur un plateau de France 2. La candidate FN avait
jugé le travail de Caroline Fourest « mensonger et ignoble » (brandissant un livre plein de Post-It).
Cet échange nerveux avait divisé les téléspectateurs :
- d'un côté, ceux qui ont trouvé Fourest agressive-comme-il-faut ;
- de l'autre, ceux qui ont jugé qu'elle avait perdu pied et ainsi fait le jeu du FN.
-
Caroline Fourest et Marine Le Pen dans « Des paroles et des actes », sur France 2, 2011
Le 9 décembre, quelques jours avant la diffusion du documentaire inspiré du livre, le Front national a donc contre-attaqué.
L'avocat du FN a fait délivrer par acte d'huissier à Rémy Pflimlin, le président de France Télévisions, « une sommation interpellative » pour protester « à l'avance » contre
la réitération des injures et diffamations qui seraient présentes dans le livre.
Au FN : « France Télévisions nous traite mal »
Au siège du FN, Wallerand de Saint-Just, avocat moustachu de Marine Le Pen nous dit : « France Télévisions nous traite mal », évoquant le cas Laurent Ruquier, qui a associé Marine Le Pen à une croix
gammée.
Il explique pourquoi sa cliente attaque :
« Elle considère que c'est une façon de protéger ses électeurs et ses adhérents. Plein de livres sont sortis sur le FN, sans que nous bougions. Mais Caroline Fourest fait énormément
d'erreurs et exhume des vieux ragots de coupures de presse jaunies. On sent une hostilité militante dans son livre. »
Fourest et Venner : « Le plaisir des archives »
Caroline Fourest et Fiammetta Venner disent au contraire qu'au visionnage, on leur a fait le reproche d'être « trop objectives et trop neutres » :
« Avant notre livre, les bios qui existaient la montraient comme une victime. On avait l'impression qu'elle est juive, homosexuelle et noire. Avec le doc, on garde l'ambiance du
livre : nous montrons seulement les contre-champs, les coulisses.
On s'est fait plaisir. Le plaisir des archives, c'est par exemple de trouver la photo de Marine Le Pen avec Frédéric Châtillon [ancien du Groupe union défense, GUD, ndlr]. »
Marine Le Pen danse sur du Julien Clerc
Marine et Jean-Marie Le Pen, « Marine Le Pen, l'héritière », de Caroline Fourest et Fiammetta Venner, Nilaya, 2011 (France2.fr)
En octobre, avec une documentaliste « à plein temps », elles ont fait « un énorme travail d'archives et de négociation des droits ».
Le doc débute par une bio (pas tendre) de Marine Le Pen. La voix de Caroline Fourest évoque :
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l'attentat de la rue Poirier, « une affaire de vengeance » liée à
l'héritage controversé de Hubert Lambert, selon les auteures ;
- l'enfance dorée de Marine Le Pen, entre réceptions et domestiques ;
- son engagement politique précoce, à l'occasion d'une manifestation pour la peine de mort ;
- ses débuts de juriste au FN, avec un gros salaire « pour un deux-tiers temps » ;
- son implication dans l'affaire Fernand Le Rachinel (un créancier mené en bateau par la
famille Le Pen).
Dans le documentaire, on aperçoit Marine Le Pen danser sur l'air de « Mélissa, métisse d'Ibiza » de Julien Clerc, robe noire dentelle et cheveux longs. « Ça ne s'invente
pas », dit Caroline Fourest.
Le procès reporté, après la présidentielle
Les réalisatrices passent ensuite à l'analyse de discours, avec l'aide de journalistes spécialistes du FN. Elles mettent en lumière les amis radicaux de Marine Le Pen.
Caroline Fourest et Fiammetta Venner s'intéressent également au mot « mondialisme » utilisé par Marine Le Pen, qui va au-delà de l'anticapitalisme, mais qui implique un refus du mélange
des cultures.
Une phrase que l'on retient :
« Jean-Marie Le Pen provoquait pour exister. Marine Le Pen retient ses colères pour prendre le pouvoir. »
Caroline Fourest et Fiammetta Venner n'ont pas peur de Marine Le Pen. Elles sont certaines de gagner le premier procès, sur le livre :
« Il devait avoir lieu le 15 décembre. Ils l'ont fait déplacer au mois de juillet, pour perdre après les présidentielles. »
Wallerand de Saint-Juste évoque, indigné, « un problème d'agenda » : sa convocation au conseil régional de
Picardie.
En cause, les propos d'ex-proches du FN
La plainte du FN adressée à Caroline Fourest et Fiammetta Venner, que nous avons pu consulter, relève dix-sept passages litigieux.
Ce sont souvent des moments du livre au cours desquels elles rapportent des propos d'anciens proches du FN (ceux de l'ex-épouse Pierrette Le Pen, Fernand Le Rachinel, Lorrain de
Saint-Affrique ou Jean-Claude Martinez).
Caroline Fourest et Fiammetta Venner tendent un micro aux ennemis du Front (ceux qu'elles jugent fiables) sans aucun remords, et se fichent du discours officiel du parti.
« Nous n'avons pas sollicité Marine Le Pen pour le documentaire. Elle avait refusé de nous voir pour le livre et nous avait attaquées en diffamation. »
Source: Rue 89