Alors que le plus gros fichier de police, le Stic (système de traitement des infractions constatées), doit bientôt disparaître pour manque de fiabilité, un policier qui avait osé dénoncer ses dérives risque la révocation. Ce 20 octobre 2011, le commandant de police Philippe Pichon, 42 ans, comparaissait devant le tribunal administratif de Melun, auprès duquel il conteste sa mise à la retraite d'office, en mars 2009, pour manquement au devoir de réserve.
Le ministère de l'intérieur aimerait ne plus compter dans ses rangs ce policier à l'«éthique déliquescente» et qui «se répand dans la presse», comme l'a assené à l'audience Me Pascale Léglise, la représentante du ministère de l'intérieur. Il lui est reproché d'avoir transmis en octobre 2008 à un journaliste de Bakchich les fiches extraites du Stic de Johny Hallyday et Jamel Debbouze, ensuite publiées par ce site en appui d'un article remettant en cause la légalité du fichier.
Un acte que l'officier, mis en garde à vue puis en examen en décembre 2008 pour «violation du secret professionnel, accès frauduleux à un système informatisé et détournement d'informations à caractère personnel», a ensuite revendiqué comme un geste citoyen, effectué en dernier recours, après avoir tenté en vain d'alerter sa hiérarchie. «La démarche de Monsieur Pichon est intellectuelle et aucunement intéressée», a plaidé son avocat, Me William Bourdon, qui juge la sanction «extraordinairement disproportionnée».
Le Stic, qui fiche aujourd'hui la moitié de la population française (plus de 5,5 millions de mis en cause et de 28 millions de victimes), est, parmi d'autres défauts, mal mis à jour : des personnes restent fichées comme mises en cause, alors qu'elles ont bénéficié d'un classement sans suite, d'un acquittement, ou d'un non-lieu. En 2008, la Cnil avait révélé que 83% des fiches qu'elle avait été amenée à contrôler comportaient des erreurs ou des informations illégales, au risque de pénaliser les personnes concernées sur le plan professionnel.
En juin 2011, le ministère de l'intérieur a lui-même reconnu, en réponse à une députée, que «le manque de retour et d'intégration des décisions de justice (...) ne sont pas satisfaisants».
Le Stic et son équivalent dans la gendarmerie, le Judex, doivent prochainement être remplacés par un fichier unique, le «traitement des procédures judiciaires» (TPJ), qui, toujours selon le ministère de l'intérieur, «permettra l'échange des données dans les procédures pénales entre les services d'enquête et l'autorité judiciaire» et renforcera «la fiabilité des informations, grâce à leurs mises à jour régulières». Un aveu des graves défaillances des fichiers actuels.
Mis à la retraite, réintégré puis supendu...
En mai 2009, saisi en procédure d'urgence, le tribunal administratif de Melun avait annulé la mise à la retraite d'office de Philippe Pichon. Le juge avait estimé qu'il existait «un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, dès lors qu'il ressort qu'il (Philippe Pichon - ndlr) avait vainement appelé l'attention de sa hiérarchie sur les dysfonctionnements affectant la gestion du Stic». Voilà donc le fonctionnaire réintégré mais, mauvais perdant, le ministère de l'intérieur le suspend dans la foulée, en mai 2009.
Ce 20 octobre, le rapporteur public a, au contraire, conclu au rejet de la requête en excès de pouvoir du policier. A l'audience, il décrit Philippe Pichon comme un dangereux récidiviste du manquement au devoir de réserve, qui a déjà commis en 2007 un livre, Journal d'un flic, puis s'est laissé aller à contribuer à une étude du CNRS, menée par le sociologue Frédéric Ocqueteau, sur la sécurité publique dans sa circonscription de Seine-et-Marne.
Pire, «il persiste», déclare Me Pascale Léglise. Et la sous-directrice à la direction des affaires judiciaires du ministère de brandir, comme une preuve infamante, le dernier livre de Philippe Pichon, Une mémoire policière sale : le fichier STIC, ouvrage cosigné en septembre 2010 avec Frédéric Ocqueteau. «Il y a un souci avec le fait que les fonctionnaires se répandent dans la presse et fassent justice à leur administration, assure la représentante du ministère de l'intérieur. Très bien, mais dans ce cas là, leur casquette de fonctionnaire, c'est fini!» Avis aux intéressés...
Deux anciens collègues de Philippe Pichon, qui s'étaient déplacés ce jeudi 20 octobre, ont d'ailleurs été priés de remballer leur témoignages. «Nous avons déjà tous les éléments», a tranché la présidente, tout sourire. «Ces deux témoins ont subi des pressions insensées de leur hiérarchie pour ne pas être dans cette salle», a regretté Me William Bourdon, l'un d'eux ayant notamment été convoqué la veille par sa directrice départementale de la sécurité publique.
Le procès devant le tribunal correctionnel de Philippe Pichon doit s'ouvrir le 22 mai 2012. Me William Bourdon a donc demandé au tribunal administratif de reporter l'affaire, glissant une allusion au cas du patron du renseignement, Bernard Squarcini, «mis en examen pour des faits infiniment plus graves» et pourtant maintenu en fonction en attendant la fin de la procédure pénale.
Une autre procédure vient d'entrer en jeu : à la suite du dépôt d'une plainte contre X pour «harcèlement moral et discrimination» par Philippe Pichon, le parquet de Paris, a selon Me William Bourdon, annoncé jeudi son intention d'ouvrir une information judiciaire. Pourrait notamment y être versé l'enregistrement pirate que Mediapart a révélé au cours duquel l'ancien supérieur du policier, le chef de la circonscription de sécurité publique de Coulommiers, le considère comme son «ennemi personnel» et affirme que s'il l'avait croisé dans la rue,«(il) lui aurai(t) foutu (son) poing dans la gueule!».
Ce supérieur avait également reconnu la nécessité de pratiques policières illégales pour répondre aux objectifs chiffrés du ministère.
Source: Médiapart.