une énorme solidarité s’est déclenchée et j’en remercie vivement tous les amis
palestiniens, français, et même d’autres pays, qui sont intervenus d’une manière ou d’une autre.
RâCE à cette mobilisation j’ai pu sortir du Centre de rétention le 8 au matin et conduit ... dans le mauvais sens,
c’est-à-dire manumilitari à l’avion.
Le risque d’une telle situation est d’en faire une « histoire » de personne alors que l’important est le contexte. Et je ne tiens pas du tout à jouer au héros. Si je vais raconter ici
brièvement ce qui s’est passé, ce que j’ai vécu, c’est pour tirer quelques leçons, et surtout comprendre un peu mieux, à travers cette histoire (qui peut paraître banale), comment
fonctionne la société d’aujourd’hui, et ainsi pouvoir agir, collectivement, de manière plus efficace pour changer cette société, de plus en plus injuste et prédatrice.
La première constatation, c’est le fonctionnement de l’information publique : Le lendemain de mon arrestation, l’Ambassade de France à Tel Aviv a publié un
communiqué qui ne tenait compte que de la version de la police israélienne... Je n’ai pas été consulté pour exprimer ma version des faits. Comme par hasard c’est Le Figaro qui en France
a relayé cette information, toujours sans consulter le premier intéressé ou ses proches (la gérante d’Andines et des amis ont pu me joindre par téléphone)...
"Au cours de ses interrogatoires, il n’a cessé de changer de version sur les raisons qui l’amenaient en Israël, si bien qu’il a été décidé de l’expulser jeudi", a affirmé la
porte-parole Sabine Hadad » (Le Figaro, papier et internet). « La France est intervenue activement pour lui permettre d’entrer en Israël. Toutefois, malgré les demandes répétées de
notre représentation, le service de l’immigration israélien a constamment, au vu de ses fausses déclarations alléguées (les services de l’immigration estiment que notre compatriote
aurait tenu des propos contradictoires et inexacts à trois officiers différents), refusé l’entrée du territoire à M. Besson » (message de l’ambassade de France à Tel Aviv).
C’est précisément le contraire de la vérité.
Cela en dit long sur « l’objectivité » de ce type d’information officielle, et d’une certaine presse, qui n’entend qu’un son de cloche, celui qui les arrange politiquement,
qui méprise les gens directement concernés sans même les interroger ! Cela me paraît très grave et malheureusement de plus en plus courant (à mon retour,
je me suis aperçu que la parole des « officiels » avait même déstabilisé des proches d’Andines !).
Voilà tout simplement ce qui s’est passé :
Je vais chaque année en Palestine pour rencontrer les agriculteurs et artisans avec lesquels la coopérative française Andines, où je travaille, coopère depuis plusieurs années. Andines
importe différents produits de Palestine mais surtout l’huile d’olive. Cette huile de terroir est spécifique et particulièrement appréciée. Mais surtout, c’est en solidarité avec les
travailleurs palestiniens que Andines l’importe, puisque sa production est la principale activité économique de Cisjordanie. Cette activité, soutenue par des milliers de personnes, dont
des oléiculteurs français, tous les groupes de l’Association France Palestine Solidarité et des collectivités territoriales, n’est pas en contradiction avec notre démarche d’équité (et
de souveraineté alimentaire des peuples) puisqu’elle vise à desserrer l’étouffement de l’économie palestinienne. Cette asphyxie économique est l’un des axes de la stratégie israélienne
pour la destruction du peuple palestinien depuis le début de la guerre, car il s’agit bien d’un contexte de guerre, d’occupation militaire et d’apartheid. Créer une activité économique
en Palestine est de plus en plus difficile. De plus en plus d’ateliers et d’entreprises ferment et disparaissent. Je précise aussi que cette démarche d’équité, partagée par Minga et de
très nombreuses organisations dans le monde, n’a pas grand chose à voir avec le dit « commerce équitable », enfermé dans une relation commerciale de type paternaliste et néo-libéral
exclusivement « nord sud ».
Tout voyage en Palestine passe obligatoirement par l’État d’Israël puisque cet État occupe tout le territoire militairement et économiquement et a
construit un mur de béton armé et de fils barbelés bourrés d’électronique pour enfermer le peuple palestinien en Cisjordanie et à Gaza. Un peuple dont la grande majorité ne veut que la
paix et la liberté de vivre, de s’auto-organiser. Pour l’instant ce sont des territoires occupés par l’armée omniprésente et des centaines de milliers de colons israéliens. C’est
véritable prison à ciel ouvert pour les palestiniens.
Vu ce contexte politico-militaire, tout militant qui se rend en Palestine se prépare à répondre aux questions posées systématiquement par la police israélienne : « Que venez-vous faire
en Israël ? Y avez-vous des amis ? ».Pour ma part je décide de répondre, comme d’habitude : « visite personnelle à Jérusalem, Bethléem et Hébron, et sans amis en Israël », puisque
malheureusement c’est la vérité (ils sont nombreux dans la région, mais en Palestine). Contrairement aux allégations officielles, on ne m’a posé aucune question sur les “territoires
occupés » ou sur la Cisjordanie, qui d’ailleurs pour moi sont La Palestine. J’avais donc décidé, comme la majorité des militants qui viennent ici, de ne pas parler de mon travail en
Cisjordanie. Il faut se souvenir que des centaines d’expulsions ont eu lieu ces derniers mois, visant les gens qui affirmaient clairement à l’aéroport vouloir se rendre en Cisjordanie.
Plusieurs centaines de personnes en juillet 2011 ont même été bloqués avant de prendre l’avion dans leur propre pays...
Il faut déjà savoir que, contrairement au droit international, tout interrogatoire est ici mené en hébreux ou au mieux en anglais ... sans interprète.
La première policière qui m’interrogeait cette fois-ci, en consultant son ordinateur, ne m’a pas cru. J’ai donc été interrogé pendant 4 heures par d’autres policiers auxquels j’ai
toujours répondu la même chose (contrairement à ce qu’affirment les communiqués de la police israélienne repris par le consulat et l’ambassade de France).
Ni mon carnet d’adresse ni mon ordinateur n’ont été consultés, mais c’est par le biais de ma boite émail (adresse indiquée sur mon billet d’avion) que les policiers ont compris que
j’allais très probablement en Cisjordanie. Avis aux voyageurs... J’ai aussi constaté qu’existait une fiche, écrite en hébreux, à mon nom (« Besson Michael »), concernant sans aucun
doute mes derniers voyages et écrits (http://www.andines.com/article.php3 ?id_article=746). Lorsque je me suis aperçu de
cette situation j’ai dit au dernier policier qui m’interrogeait que j’allais effectivement à Ramallah pour rencontrer des partenaires et lui ai montré les documents d’Andines. « It’s
too late, m’a-t-il répondu, go home » (c’est trop tard, vous repartez chez vous !). Je pense que la décision de refoulement a effectivement été prise bien avant...
Puis c’est la fouille au corps, le mépris, le silence total sur l’avenir, l’intimidation en menaçant de vous mettre sur le dos d’autres inculpations, et enfin le fourgon et la cellule
du « centre de rétention » (lieu d’expulsion sans aucun jugement), comme il en existe partout dans le monde, en particulier en France. Toutes vos affaires personnelles sont
momentanément confisquées, y compris les stylos... Mes compagnons de cellule étaient en majorité des étrangers venus chercher du travail...l’un d’eux m’a dit « je n’arrive pas à
comprendre qu’un peuple qui a été opprimé puisse ainsi en opprimer d’autres ! ». Il y a bien des réponses, et tous les israéliens ne sont pas sionistes, mais nous en parlerons une autre
fois.
Au cours de ma détention, je pensais que le Consulat français arriverait à organiser une réunion entre la police israélienne, le consulat et moi-même pour que nous puissions nous
expliquer et régler le problème positivement. Mais rien ! J’apprends que les amis palestiniens qui m’attendent reçoivent la nouvelle de mon arrestation avec tristesse et révolte, et que
la presse arabe s’est emparée de mon cas et crie au déni de justice à mon égard et à une volonté délibérée d’Israel d’empêcher les différentes coopérations économiques que nous avons
mises en place avec toutes les difficultés que vous savez (y compris entre des villes palestiniennes et françaises). Au mépris bien entendu des lois et des différents accords
internationaux.
J’apprends aussi qu’en France s’organise toute une solidarité... Un peu sonné par la situation, le moral remonte vite ! L’essentiel reste et restera de continuer à nous battre tous
ensemble pour développer notre coopération économique et pour changer cette société si violente et si injuste. Pas le moindre doute là-dessus.
J’ai eu la visite de Mr Guérin, délégué par le consulat de France à Tel Aviv : “Nous ne pouvons rien faire”. Il m’a tout de même téléphoné le 7 au soir pour m’informer que je serais mis
dans un avion le lendemain à 8 heures ( puisque le billet acheté par Andines était un aller retour, il n’y a eu aucun frais public dans l’histoire, précisons-le). Un avocat est
également venu me voir. Il est toujours important, face à l’arbitraire des Pouvoirs, qu’un témoin indépendant des gouvernements puisse rapidement rencontrer les prisonniers. Nous
aurions pu demander un jugement, mais cela pouvait durer plusieurs semaines... J’ai apprécié sa visite.
Le 8 Septembre au matin, je suis amené directement dans un avion... pour Paris. Dans l’avion, l’un des passagers s’approche et me dit « j’ai appris ce qui vous est arrivé. Voici mon
adresse. Vous pouvez compter sur moi ».
Et merci au comité d’accueil à Roissy.
Un grand merci à mes collègues, à ma famille, à Guy et à toutes celles et tous ceux, trés nombreux, qui ont réagi ! Vous trouverez sur le site www.andines.com les actions que nous pensons entreprendre prochainement avec nos partenaires.
C’est ensemble que nous allons continuer ce que nous avons commencé. En lien avec toutes les luttes et les alternatives que développent de plus en plus de citoyen(ne)s partout dans le
monde. Personne ne pourra nous en empêcher.
Et bien entendu je retournerai en Palestine !
A trés bientôt !
Michel Besson, le 9 Septembre 2011