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Antifascistes !

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Vive la CGT 1906

Parce que nous sommes attachés à l'esprit de la Charte d'Amiens de 1906 qui fonda les bases du syndicalisme révolutionnaire, parce que nous nous opposons à la dérive réformiste de notre confédération depuis les années 1970 et que nous condamnons la déviance contre-révolutionnaire de notre CGT depuis la fin des années 90, nous avons fait le choix de ne pas mettre en lien le site de la confédération ainsi que celui de l'UD de la Creuse qui ont pris le chemin d'un syndicalisme bureaucratique et élitiste.

 

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9 décembre 2012 7 09 /12 /décembre /2012 16:52

En Allemagne et dans le Bloc soviétique


Pour l’Histoire et le commun des mortels, la Seconde Guerre mondiale se termine en Europe le 8 mai 1945, avec la capitulation allemande. Mais peu de gens savent que certains fanatiques nazis vont poursuivre la lutte armée bien après. Dans les pays de l’Est, plusieurs groupes de «résistance» issus des armées du IIIe Reich vont mener des opérations de guérilla contre les autorités communistes. Avec l’aide des services secrets américains. Aujourd'hui, la réhabilitation de ces ex-combattants de la Guerre 40-45 se réalise, sous le silence (complice ?) des autorités politiques européennes. Voici l’histoire de ces «soldats perdus», des Werewolves et des anciens mercenaires de la dictature hitlérienne.


Dessin extrait du livre «SS Werewolf - The story of the nazi resistance movement» de Charles Whiting, et écusson des Werewolfs.


Été 1944, l’Allemagne est en train de perdre le conflit. Une poignée d'hitlériens décident alors de mener une «guerre totale», ce qui implique pour chaque allemand l’obligation de se battre jusqu’à la mort. Le chef des SS (l'élite du régime nazi), Himmler, décide de créer des groupes de combattants particulièrement fanatisés et entraînés : les Werewolves (Loups-garous), composés en partie de membres des Jeunesses hitlériennes. Leurs missions consistent à pénétrer derrière les lignes alliées afin d’y pratiquer le harcèlement et des opérations de guérilla : sabotages, assassinats, destructions d’installations militaires, des lignes de ravitaillement, des hôpitaux…

Ces hommes, sous le commandement du général SS Prützmann, vont aussi rapidement éliminer les «défaitistes» qui refusent de participer à des combats sans espoir. A titre d’exemple, ils assassineront le 24 mars 1945 le docteur Oppenhof, maire de la ville d’Aix-la-Chapelle, à la frontière belge, qui venait d’être mis en place par les Américains. Ils seront également actifs dans les derniers jours du Reich nazi, défendant les villes de Pyritz et de Berlin.

Une fois le conflit terminé, certains de ces commandos, malgré l’absence de commandement centralisé, vont poursuivre pendant quelques années la lutte armée.


Les loups-garous se développent à l'Est
Il existe à ce stade un certain flou sur l’ampleur de cette «résistance» nazie et sur le nombre de ses combattants. Certaines actions leurs ont été attribuées sans qu’il y ait de certitude. On peut citer notamment la destruction par explosion du bâtiment de la police du gouvernement militaire des Etats-Unis à Bremen, le 5 juin 1945, où quarante-quatre personnes trouvèrent la mort.

Dans leur petit ouvrage intitulé «Kriegspiel» (1), Arnot et Bocquet citent les actions de guérilla des «Edelweiss Piraten» (2) qui auraient également poursuivi diverses visées terroristes jusqu’en 1946.

De même, ces auteurs font état d’un autre groupe de Werewolves : les «Freies Deutschland». Cette organisation aurait compté jusqu’à 1400 membres et aurait été active en Poméranie et en Silésie jusqu’en 1947. Cependant, ces informations n’ont pu être confirmées par aucune autre étude historique complète.

Pour Perry Biddiscombe (3), seul auteur indiscutable ayant traité de manière rigoureuse du sujet, ces mouvements de «résistance» se poursuivirent effectivement jusqu’en 1947-1948 dans certaines zones de l’Allemagne, notamment avec les groupes «Werwolf Kommando Nuremberg» ou encore le «Freikorps Adolf Hitler».

Bien que ce type d’actions n’ait eu que peu incidence sur le déroulement de l’après-guerre en Allemagne, elles eurent un effet terrorisant sur une partie de la population allemande qui voulait tourner la page du nazisme. De surcroît, ces actions eurent des effets néfastes. Comme le rappelle Perry Biddiscombe : «Cette combinaison malveillante d’actions de guérilla et de surveillance a causé la mort de milliers de personnes, directement ou via la répression alliée et soviétique qu’elles provoquèrent. Les ravages aux propriétés infligés, en plus d’une économie centrale-européenne déjà dévastée, équivalent à des dizaines de millions de dollars. De plus, les politiques des occupants de l’Allemagne et ses voisins qui pourraient être considérées comme dures pour l’Allemagne, furent incitées par les Werewolves à devenir plus dures encore » (4).

Enfin, certains de ces «résistants» jouèrent un rôle important dans la reconstruction de l’extrême droite après la chute de la dictature hitlérienne. C'est le cas d'un certain Fred Borth. Membre de la Jeunesse hitlérienne, il commandera ensuite un groupe de Werewolves en Autriche, dans une forêt proche de Vienne. Après avoir été arrêté et avoir passé un certain temps derrière les barreaux, il deviendra dans les années 1950-60 un membre influent des milieux néonazis autrichiens. Perry Biddiscombe précise à son sujet : « …Servant aussi comme agent pour les services secrets italien et autrichien et comme probable organisateur d’un réseau ''Gladio'' de formations ''stay bhind'' destiné à soutenir l’Otan en cas de troisième guerre mondiale» (5).


Recyclage des nazis ukrainiens
S’il est évident que les Alliés ont combattu ces derniers nazis sans pitié en Allemagne même, il n’en fut pas de même pour des groupes similaires se trouvant dans des territoires nouvellement placés sous influence soviétique. La guerre froide venait de débuter et les services secrets américains commencèrent rapidement à «recycler» les anciens réseaux de renseignements nazis demeurés à l’Est, grâce notamment à l’organisation Gehlen (voir notre encadré ci-dessous). Ces réseaux furent baptisés «Stay behind». Autrement dit «rester derrière» et connu à travers le réseau Gladio, commandé directement par l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan).

Ce recyclage s’inscrivait dans la vaste opération de lutte contre le communisme que les services secrets occidentaux ont commencé à mener, dans les derniers mois de la Deuxième Guerre mondiale. Sans les citer tous, on peut citer le cas de l’Armée Insurrectionnelle Ukrainienne (UPA) en Ukraine. Cette organisation combattante nationaliste et anticommuniste était une émanation de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) qui, sous la direction de Roman Choukhevitch et Stepan Bandera, va lutter tout d’abord contre l’envahisseur allemand avant de se retourner contre les soviétiques. Elle fut accusée de nombreux crimes de guerre, notamment contre les populations polonaise et juive d'Ukraine. Par nationalisme et anti-communisme viscéral, certains membres de l’UPA vont d’ailleurs se battre au sein de la division SS «galicienne». Dans cette dernière phase, l’UPA recevra l’aide des services secrets américains et surtout anglais. La personnalité de Bandera n’étant sans doute pas étrangère à cette collaboration.

«Si l’on considère que Stepan Bandera, le dirigeant des nationalistes ukrainiens, a travaillé avant la guerre pour le SIS (Spécial Intelligence Service, les services secrets anglais, ndlr), il n’est guère surprenant qu’en 1945, après la défaite des nazis, ont ait ramené le fils prodigue au bercail», soulignent Mark Aarons et John Loftus, auteurs du livre «Des nazis au Vatican» (6).

Ceci dit, au sein de l’OUN, l’organe politique d’où émane l’UPA, des scissions se sont également fait sentir. Comme le précisait le journaliste belge Jean-Marie Chauvier dans un article publié en 2007 dans Le Monde Diplomatique (7) : «Puis, c’est le radical Stepan Bandera qui fait dissidence en 1940 : son OUN-B forma deux bataillons de la Wehrmacht, Nachtgall et Roland, pour prendre part à l’agression menée par l’Allemagne et ses alliés contre l’URSS, le 22 juin 1941. Immédiatement après, déferle la vague des Pogroms (…). Le 30 juin 1941, l’OUN-B proclame un État ukrainien (…). Berlin refuse ce nouvel État, Bandera et Stetsko sont internés (…). Roman Choukhevitch, ex-chef du bataillon Nachtgall et du Schutzmannschaftbataillon 201 (Polizei), prend la tête, fin 42, de l’UPA» (sur les nationalistes nazis ukrainiens, lire les articles de RésistanceS.be référés dans le haut de la colonne de droite de cet article).


Le portrait du nazi ukrainien Stepan Bandera brandi lors d'une manifestation nationaliste organisée à Kiev en 2005 © Photo News Kiev Ukraine Info



Le pouvoir «orange» réhabilite les ex-nazis
De son côté, le général allemand nazi Gehlen fournira également, via son organisation d’anciens espions toujours actifs derrière le rideau de fer, une aide aux combattants nationalistes ukrainiens.

Un phénomène semblable a pu être observé en Lettonie. En 1940-45, toujours par anticommunisme, des milliers de Lettons combattirent aux côtés des forces de l’Axe contre l'Armée rouge. La Waffen SS, l'armée de l'élite du nazisme, composée de troupes allemandes et étrangères (françaises, belges, hollandais, croates...), forte de plus 900.000 combattants, comptait environ 150.000 lettons…

On voit également que récemment en Ukraine, l'ancien pouvoir politique «orange» avait lancé une vaste opération de réhabilitation de ces combattants nationalistes, une manière d’affirmer son indépendance vis-à-vis de Moscou. Ainsi Mathilde Goanec, dans le quotidien français Libération, écrivait : «Tant pis si le panache de ces résistants à l’occupation soviétique est entaché par leur collaboration de circonstance avec l’Allemagne nazie et leur possible participation à la Shoah. Le sort des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale dérange dans le grand chantier d’une construction d’une histoire nationale en Ukraine» (8) et dans le reste des pays de l'Europe de l'Est où les «collabos» des nazis furent aussi nombreux.

Laurent D’Altoe 
Responsable de la rubrique Histoire de RésistanceS.be



LES NAZIS D’HIER, TOUJOURS UN EXEMPLE POUR L'EXTREME DROITE
La «résistance antisoviétique et anticommuniste en Europe de l'Est» passionne toujours de nos jours l'extrême droite, comme le montre ci-dessus la reproduction de la promotion pour un livre sur ce sujet écrit par un de ses thuriféraires Alberto Rosselli, aux éditions négationnistes françaises Akribeia. Cette promotion est parue le 25 septembre 2009 dans Rivarol, hebdomadaire parisien soutenant le Front national de Le Pen et lié en Belgique au mouvement Nation, au FN de Patrick Cocriamont, au Bulletin célinien et à l'association Belgique & Chrétienté - Doc. Archives RésistanceS.be

Notes de l'article principal de cette page :

(1) Arno et Bocquet : «Kriegspiel», Alpen Publishers, 1988. Le problème avec cet ouvrage, c’est qu’il mélange réalité historique et certains éléments fictionnels. C’est cependant un des premiers à avoir abordé ce sujet.
(2) Notons que ce nom était initialement celui d’une organisation allemande anti-nazie.
(3) Perry Biddiscombe : «The last Nazis. SS Werewolf guerilla resistance in Europe 1944-1947», Tempus Publising Ltd., 2000.
(4) Perry Biddiscombe, ibidem, p.9.
(5) Perry Biddiscombe, ibidem, p.137.
(6) Mark Aarons et John Loftus : «Des nazis au Vatican», Éditions Olivier Orban, 1992, p. 233.
(7) Jean-Marie Chauvier: «L’OUN, l’Allemagne nazie et le génocide», in Le Monde Diplomatique, août 2007.
(8) Mathilde Goanec : «Les traces enfouies de la Shoah par balles», article publié dans le quotidien français Libération, le 8 janvier 2010.


© RésistanceS.be – web-journal de l'Observatoire belge de l'extrême droite – www.resistances.be – info@resistances.be – Article mis en ligne le 22 avril 2010

Portrait

Un nazi à la base
des services 
secrets allemands pro-USA


Après la guerre, les Alliés ont «recyclé» de nombreux officiers et responsables nazis, ainsi que beaucoup de leurs collaborateurs européens, dans le but de les faire participer à la nouvelle guerre qui venait de débuter, la guerre froide. Ce fut le cas de Reinhard Gehlen, le roi des coups tordus.


Officier supérieur nazi, Reinhard Gehlen (1902-1979) fut le chef du renseignement de l’état major allemand, entre 1942 à 1945, contre les Soviétiques. Après la capitulation du régime hitlérien, il sera recruté par l’OSS, l'ancêtre de la CIA, les services de renseignements civils des États-Unis, à Berlin, pour réactiver son réseau de renseignement à l’Est.

Pour ce faire, il crée en 1946 l’«organisation Gehlen» qui va tout d’abord recycler 350 agents, dont beaucoup d’anciens nazis. Ces hommes sont les plus proches du général. Son organisation comptera, au début des années 1950, jusqu'à 4000 spécialistes de l’espionnage en Allemagne et à peu près le même nombre d’agents cachés opérant dans l’ensemble du bloc de l’Est. A ce titre, il soutiendra les insurrections en zone communiste, comme en Ukraine, et aidera les services secrets occidentaux à obtenir des renseignements sur la puissance militaire de l’URSS.

En 1956, son organisation est à la base de la création des Bundesnachrichtendienst (BND), les services de renseignements fédéraux ouest-allemands. L'ex-général nazi restera le directeur des BND jusqu’en 1968.

Mais cet être retors va également jouer des tours à ses nouveaux alliés. Il est aujourd’hui avéré que Reinhard Gehlen a souvent fourni des renseignements exagérés, voire falsifiés aux Américains. Son but étant de justifier son rôle incontournable et de faire augmenter les budgets de ses services. Tel est pris qui croyait prendre…

Laurent D’Altoe 
Responsable de la rubrique Histoire de RésistanceS.be

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20 juillet 2012 5 20 /07 /juillet /2012 18:24

LES 3 MORTS DE THÉO FRANCOS :

UN ANTIFASCISTE ESPAGNOL

14-Brigades Internationales Mort de Théo FRANCOS un Communiste

des Brigades Internationales Antifascistes

( 6 Juillet 2012) Texte de Aitor Fernández 

Version originale en castillan : (cliquer)

 

Théo FRANCOSThéo FRANCOS (1914-2012) est Mort 3 fois. La 1ère fois : le jour de son exécution par fusillade dont il a miraculeusement survécu. La 2ème fois : il y a deux jours, à 98 ans dans sa maison à Baiona. La 3ème fois : c'est aujourd'hui, quand il est devenu évident que les médias mensongers ont fait le silence sur sa Mort..

10-Brigades Internationales Introduction. En voyant que pas un seul de ces misérables médias espagnols n'a été digne d'écrire 4 lignes pour ta Mort, Théo, je me suis mis à les écrire moi-même, moi, une personne sans formation de rédaction journalistique mais que la rage au coeur pousse à réaliser beaucoup de choses. Cette fois, c'est par impuissance à comprendre qu'en réalité, tout le monde s'en fout de savoir combien de fois tu as risqué ta vie pour défendre la Cause Antifasciste et je dis "Cause" parce que tu as défendu la Cause de l'Humanité au-dessus des nationalités et des drapeaux. Je t'ai connu et j'ai pu t'embrasser, bien qu'en quittant la ville : tu ne t'es peut-être plus jamais souvenu de moi car ta mémoire était complètement effacée, ce qui ne m'empêche pas d'être témoin de ta grandeur.

Là où je veux en venir. Depuis que j'ai connu ton Histoire, Théo (d'abord racontée par la ARMH (1) et ensuite lue au travers des textes de Sofia MORO) j'ai voulu te connaître mais je n'en ai eu l'opportunité que 2 ans plus tard. L'été dernier, j'ai voyagé à Baiona durant l'avant-dernier voyage du projet "VENCIDXS" (Vaincu(e)s) pour découvrir en toi un homme beaucoup plus petit que ce que j'avais vu dans les photographies et les vidéos, diminué par la vieillesse et la Mémoire atteinte, mais même ainsi : Exceptionnel et Humain. Un véritable idéaliste qui a Lutté en Espagne pour abattre le Fascisme (bien que le Parti Communiste ait voulu t'en empêcher) avec beaucoup d'autres hommes et femmes volontaires qui se sont appellé(e)s les Brigades Internationales Antifascistes.

15-Brigades Internationales (1936-39. Guerre Révolutionnaire dans l'État espagnol) Brigades Internationales Antifascistes

 

«Quel est la raison d'être du Fascisme, Théo ?»

«C'est l'Exploitation ! (malgré tout, il avait de moments de lucidité) Comme celle de mon père à Valladolid où ils le faisaient travailler toute la nuit avec un morceau de pain et d'oignon...»

 

9-Brigades Internationales Je suppose que c'est à cela qu'on voudrait nous faire revenir et je suppose que c'est aussi pourquoi tu n'est pas présent dans les médias aujourd'hui.

La peur ne s'est jamais séparée de toi. Mais cela ne t'a pas empêché de faire de grandes choses. Tu m'as dit que parfois tu te réveillais la nuit et que tu pleurais comme un gamin... je pense que te revenait en mémoire ce qui te paraîtra être la Fin du Monde, ou plutôt, la Fin de l'Humanité quant les Fascistes t'ont enterré jusqu'à la ceinture pour te torturer au Camps de Concentration de Miranda de Ebro en te donnant des coups, en plein soleil, et en te détenant ainsi des journées entières.

«Parfois, je me demande comment j'ai pu supporter autant de choses. Les gens en dehors du Camps me lançaient de la nourriture ou de l'eau que mes compagne(on)s me donnaient quand il(elle)s le pouvaient...».

Ce furent les représailles du fait de t'être évadé du Camps... par les égouts parce que les Brigades Internationales étaient parties mais que, toi, tu es resté pour continuer à Lutter y compris quand tout était perdu.

(A partir de 1939, dans l'État espagnol fasciste : Régime Franquiste)

Camp de concentration à Fyfees, Tenerife

contre ceux et celles considéré(e)s comme des "Rouges"

Campo de concentración de Fyfees, Tenerife«Ceux/celles qui construisaient le Camps de Concentration (2) : c'étaient les prisonnier(ère)s eux/elles-mêmes !» me raconta-t-il d'une façon dispersée «Mais pas nos baraques car nous dormions en pleine intempérie. On construisait pour les soldats et nous leur avons fait y compris une piscine !».

Et tout cela, alors qu'ils continuaient d'exterminer tes compagne(on)s...

16-Brigades Internationales

(1936-39. Guerre Révolutionnaire dans l'État espagnol) Brigades Internationales Antifascistes

Quand ils t'ont libéré, tu pensais revenir à la maison pour te reposer. Mais en voyant Baiona prise par les Nazi(e)s : «Je me suis échappé sur le pont, j'ai vu ma mère de loin mais je n'ai pas pu lui dire au-revoir». Parce que, dès lors, une nouvelle odyssée à commencée pour toi, bien qu'en réalité il s'agissait de la même chose : continuer à combattre le Fascisme.

Tu es enrôlé comme parachutiste dans l'Armée anglaise et dans cette nouvelle Guerre les expériences les plus dures de ta vie t'attendaient. Tu as dû tuer un compagnon gravement blessé qui n'avait pas le courage de prendre la pilule de cyanure que vous portiez chacun. Au cours d'une autre mission, en sautant, ton parachute s'est coincé dans l'aile de l'avion : «Je l'ai coupé au couteau comme j'ai pu et je suis bien arrivé à terre. On m'a enlevé le prix du parachute de mon salaire mensuel».

Camp de Concentration dans l'État français

crées dès 1936 par le Gouvernement de Front Populaire avec DALADIER et

destiné aux "Rouges" ou "terroristes" des peuples dans l'État espagnol.

Deux prisonniers Antifascistes espagnols sont attachés à un pieu, châtiés pour leur rébellion...

Castigados en campo francesMais je crois que le pire c'est quand les Fascistes t'ont fusillé. Cela me paraît incroyable. Tu as vécu une exécution par fusillade et c'est pourquoi tu portais une balle logée à quelques centimètres de ton coeur pour toute ta vie... Je t'ai demandé ce que tu pensais de ce moment-là : «Tu ne sais pas ce qui se passe, si c'est vrai ou pas. Parfois, les Fascistes te blessaient pour que tu souffres avant de mourir». Mais tu n'es pas mort et un couple de paysans de la Résistance t'ont sauvé le lendemain.

Et tu as aussi connu la bonté humaine, comme celle de ces paysan(ne)s ou ouvrier(ère)s des chemins de fer qui te procuraient de la nourriture ou les gamines qui t'ont caché dans le grenier : «Je reste très impressionné par la Solidarité des femmes, j'ai sauvé plusieurs fois ma vie grâce à elles». Des femmes idéalistes et courageuses.

(1940-45. Minsk) Femmes Antifascistes Communistes Guérilleras.

(Minsk) femmes antifascistes guérilleras A Stalingrad, tu es rentré 30 km dans les lignes ennemies Nazies avec une femme russe âgée de 19 ans pour faire exploser des ponts et empêcher l'avancée des Nazi(e)s. Tu l'as retrouvée 70 ans plus tard, elle avait 90 ans et ton fils lui disait de ne pas t'embrasser aussi fort parce qu'elle allait te tuer en t'embrassant ainsi.

Et telle a été ta vie, Théo ! Tu m'as parlé lentement de ton arrière-petit fils, perdu dans un amalgame de souvenirs qu'il te coûtait d'ordonner. «Papi, tu dois arriver à 100 ans !», te disait-il. Peut-être que tu t'amusais autant avec lui parce que tu n'avais pas pu le faire avec ta fille, celle que tu as connu à partir de ses 20 ans à cause de tout le travail que tu as dû faire : «Au début, personne ne me donnait du travail, j'ai donc dû voyager et travailler loin, en occupant plus de 30 postes de travail différents». J'imagine que tu es mort en paix, bien qu'avec de l'inquiétude au coeur parce que tu voyais le Fascisme «revenir en relevant la tête». J'espère ne pas devoir vivre les terribles expériences que tu as dû vivre.

Théo Francos : "Je dédie cette photographie à ma bienaimée mère

comme preuve de mon affection de fils. (23.09.1937)"

(1937) Théo FRANCOS Conclusion. «Et après tout cela, à quoi ça a servit ?» comme me l'a aussi dit Concha CARRETERO... Tout ces hommes, ces femmes et enfants qui ont été assassiné(e)s, qui ont défendu la Liberté des générations suivantes qu'il(elle)s n'auront pas connu ensuite, qui ont payé avec leur Jeunesse et avec leur Vie chacun de la totalité des Droits que nous avons aujourd'hui et que nous sommes en train de perdre un à un. Pourquoi ? Pour qu'aucun média ne dédie quelques lignes à ta Mort. Ni RAJOY (3), ni la sélection espagnole de football, ni la prime de risque ne méritent la moitié de l'espace que tu devrais occuper dans les médias.

De telle sorte que, en l'ayant écrit plutôt mal que bien, premièrement : je te demande pardon pour ne pas pouvoir te consacrer tout le temps que tu mérites et deuxièmement : je suis honteux parce que ce n'est pas celui-là le médium principal où ta mort devrait figurer.

Une fois, un général espagnol t'a demandé : «Toi, tu n'as pas de mère ? Parce que ce n'est pas normal qu'une personne réalise autant de missions», «Oui monsieur, j'en ai une, je le fais par conviction». Très sûr de lui, il t'a répondu : «Reste avec moi parce qu'au moins tu sauveras ta vie. Quand la Guerre sera finie, on ne te remerciera de rien». C'était vrai...

NOTES.

(1) ARMH : Association pour la Récupération de la Mémoire Historique.

(2) Camps de concentration : L'État français a lui aussi créé des Camps de Concentration pour contrer la Menace Rouge (Communiste) en désarmant d'abord les réfugié(e)s Antifascistes et Républicain(e)s des Peuples dans l'État espagnol puis en les emprisonnant. Ceux/celles-ci étaient qualifié(e)s officiellement de «Terroristes» par l'État français et ses médias qui incitaient la population française à dénoncer leur présence... Plus d'infos : (cliquer).

(3) Mariano RAJOY BREY : président de l'actuel Gouvernement PP* de l'État espagnol Monarco-Fasciste et secrétaire général du Partido Popular (Parti Populaire), d'Extrême-Droite.

12-Brigades Internationales (1936-39. Guerre Révolutionnaire dans l'État espagnol) Brigades Internationales Antifascistes

17-Brigades Internationales

(1936-39. Guerre Révolutionnaire dans l'État espagnol) Brigades Internationales Antifascistes

Passage de l'Ebre... pour mener la Lutte contre le Fascisme.

Source: SRI (Secours Rouge International)

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13 juin 2012 3 13 /06 /juin /2012 11:21
 

De la lutte pour Barcelone à l’éloge du travail.
L’anticapitalisme des anarchistes et anarcho-syndicalistes
espagnols des années trente.

Quand le 21 juillet 1936 à Barcelone, une bonne partie des leaders anarchistes estima que la situation n’était pas favorable à l’application immédiate du communisme libertaire, l’argument des « circonstances » fut constamment invoqué : toute l’Espagne n’était pas libérée des troupes factieuses ; il ne fallait pas effaroucher les démocraties qui pourraient aider la république espagnole ; il fallait avant tout reprendre Saragosse, etc.

Mais la base déjà organisée en comités de quartier et de défense prenait possession de la ville sans attendre la moindre consigne, et mettait en branle le réseau de ravitaillement, l’amélioration des conditions d’existence, l’expropriation des usines et ateliers etc. De la même manière dans les localités rurales, l’appropriation des terres des grands propriétaires suivit logiquement la victoire contre les militaires factieux. Tout ceci représentait la phase préliminaire évidente d’une socialisation prônée par la CNT au congrès de Saragosse en mai 1936.

Comme le rappelle Edouard Waintrop dans son livre récent [1], « dans ce contexte surgirent de nouveau les différences de conceptions qui coexistaient depuis toujours à l’intérieur de la CNT, aussi bien sur la façon d’organiser le combat contre le capitalisme et l’État que sur la construction de la société de l’avenir égalitaire. »

Au fil des semaines, la création et l’activité du Comité Central des Milices Antifascistes ne masquait pas vraiment la reculade révolutionnaire en cours : l’État ne serait pas aboli, les anarchistes allaient y entrer comme ministres ; le communisme libertaire n’était toujours pas à l’ordre du jour, et dans les usines plus ou moins collectivisées, le contrôle ouvrier se transformait en contrôle des ouvriers.

Si une partie de la militancia anarchiste se sentait trahie par une CNT de plus en plus verticalisée, pour la grande masse des affiliés qui combattait dans les milices ou qui travaillait en usine, le prestige et la confiance attachés aux militants valeureux et appréciés rendirent sans doute encore plus opaque la lecture de la stratégie circonstantialiste, et plus difficile sa critique, d’autant plus que ceux qui défendaient le maintien de l’État et la collaboration de classes recouraient toujours à la phraséologie révolutionnaire.

En se plongeant dans le matériau du livre de Michael Seidman [2], une constatation d’importance permet de mieux comprendre cette apparente contradiction : pour le courant anarcho-syndicaliste devenu majoritaire au sein du mouvement libertaire après 1933 [3], faire la révolution revenait à adapter l’anarchisme aux exigences de la société industrielle, en lieu et place de la bourgeoisie considérée comme incapable. C’est donc bien avant juillet 1936 que le projet de communisme libertaire fut revisité, et non pas seulement après, en fonction des circonstances engendrées par la guerre civile. Une partie du malaise de la base que la CNT prétendait représenter s’exprima sans doute dans les innombrables refus des ouvriers de travailler dans les usines barcelonaises collectivisées.

Dans l’appareil critique et dans la postface des Fils de la nuit, nous avions abordé quelques conflits internes importants apparus au sein du mouvement libertaire en 1936 et 1937. Nous sommes aussi remontés jusqu’aux fondamentaux de l’anticapitalisme des anarchistes espagnols de l’époque, dont celui de vouloir abolir l’argent en sauvant l’honneur du travail, ce qui a fortement déplu à certains :

« Les Giménologues, comme enhardis par leur fréquentation assidue des textes des prophètes de l’hypercritique, nous assènent quelques pesantes réflexions sur la “valeur”, le “travail” et la “marchandise” afin de nous prouver que, malgré la grandeur d’âme de ses militants et au-delà de la trahison de ses instances, l’anarchisme espagnol était par trop superficiellement anticapitaliste pour entreprendre une authentique révolution. »

(José Fergo, recension des Fils de la nuit, in A Contretemps, n° 25, janvier 2007.)

Notre démarche a été bien accueillie par d’autres :

« Dans leurs notes les Giménologues font une lecture ouverte qui observe les faits dans leur déroulement. […] [cette] lecture ouverte nous permet de nous interroger encore sur la possibilité de la révolution, sur la façon de changer les bases de notre société capitaliste : travail, argent, État… »

(Recension parue dans la revue Etcetera, n° 41, Barcelone, décembre 2006. Traduction par nos soins.)

À l’invitation de nos compadres du bulletin Sortir de l’économie, je me suis penchée sur l’émergence de « l’utopie de la libération sur le lieu de travail [4] » dans sa version anarchiste, non pour donner des leçons aux révolutionnaires des années trente, mais parce que cet incritiqué reste d’actualité.

Si beaucoup d’ouvrages ont traité des questions politiques et doctrinaires et des vicissitudes du rapport des anarchistes au pouvoir, peu de travaux à notre connaissance proposent une critique très poussée des choix économiques de la CNT, et surtout de sa gestion des entreprises, où elle eut les coudées franches jusqu’à la fin de la guerre. Seidman est le seul à signaler qu’elle dut faire face à la persistance de la résistance au travail des ouvriers et employés barcelonais, et à mettre ce phénomène en rapport avec l’option industrialiste et productiviste des anarcho-syndicalistes.

Ce n’est pas faire injure au mouvement libertaire espagnol que de procéder encore et toujours à une mise à plat de ses options et stratégies, sans craindre de casser l’excès de romantisme [5] qui obscurcit le tableau ; et sans se cantonner à l’explication par la trahison ou à la critique ad hominem des leaders de la CNT-FAI. Le tout est d’arriver à discerner ce qui relève des égarements d’une époque et ce qui est imputable aux limites intrinsèques du mouvement.

Myrtille, Giménologue, le 8 juin 2012


De « La lucha por Barcelona »
à « El elogio del trabajo »

L’anticapitalisme des anarchistes et anarcho-syndicalistes espagnols
des années trente




Table des matières

Première partie

Chapitre A. Le projet de Communisme Libertaire en mai 1936

1. Le Congrès de Saragosse

2. L’affirmation du travail Annexes 1 et 2

Chapitre B. Qu’advint-il du processus révolutionnaire à Barcelone après le 19 juillet 1936 ?

1. Delenda capitalo
2. Le Comité Central des Milices Antifascistes

Chapitre C. La vie dans les entreprises barcelonaises collectivisées en 1936-1938 1. Le mouvement des collectivisations à Barcelone : une ébauche de sortie du capitalisme
2. « Nous ne croyons pas à une résistance massive au travail »
3. Syndicats et syndiqués dans les années trente
4. La gestion syndicaliste des entreprises sous contrôle ouvrier
5. La résistance ouvrière
6. « Toute cette révolution contre l’économie doit s’arrêter »

Annexes

Annexe I : Los Amigos de Ludd, « L’anti-machinisme dans l’État espagnol aux XIXe et XXe siècles »
Annexe II : Les deux courants de l’anarchisme espagnol
Annexe III : L’anticapitalisme tronqué des anarchistes espagnols
Annexe IV : El elogio del trabajo

Références bibliographiques

Future deuxième partie

Chapitre D : Un début de socialisation en Aragon
Chapitre E : (Nouveaux) Enseignements de l’expérience révolutionnaire espagnole

Barcelone 19 juillet 1936

Il s’agit ici d’aborder concrètement quelques questions que les révolutionnaires espagnols traitèrent in vivo à Barcelone et dans les campagnes aragonaises au cours de leur tentative annoncée de sortie du capitalisme, et les débuts de réponses qu’ils y apportèrent.

Chapitre A. Le projet de Communisme Libertaire en mai 1936

En ce début d’année 1936, pour les prolétaires espagnols en guerre sociale ouverte contre les classes possédantes, l’heure semble décisive et la situation à la fois grave et claire.

1. Le Congrès de Saragosse

Lors de son fameux congrès du mois de mai à Saragosse, la Confédération Nationale du Travail (CNT) avertit de l’imminence d’un putsch militaire et appelle à s’organiser tout de suite contre le déclenchement d’un possible conflit mondial. Elle considère comme évidente la « faillite du parlementarisme » et réaffirme ses « principes apolitiques » [6]. En même temps, la CNT se réunifie et réintroduit en son sein les représentants de sa fraction réformiste, les « Trentistes » [7]. L’échec de plusieurs tentatives insurrectionnelles impulsées depuis 1933 par les « faïstes » [8] y était pour quelque chose.

La première motion approuvée le 7 mai par les congressistes est celle sur le chômage ; les trois suivantes portent sur la réforme agraire, sur les alliances révolutionnaires, [9] et sur « le concept confédéral de Communisme Libertaire [10]  ».


Congressistes à Saragosse en mai 1936

« Motion sur le chômage »

« Le chômage ouvrier est la conséquence du développement de la mécanisation […]. La machine est venue libérer l’homme de l’effort épuisant du travail organisé. On peut affirmer aujourd’hui que parmi les grandes contradictions du régime, la plus grave est de rendre l’homme libre des contraintes de l’esclavage du travail pour mieux l’affamer. […]. Le régime capitaliste [est] complètement dépassé. Il est urgent pour le salut moral et matériel de l’humanité que les masses ouvrières se préparent à en finir avec le régime capitaliste et à organiser elles-mêmes tout le système producteur et répartiteur de richesses sociales. »

« Motion sur la réforme agraire »

Elle évoque l’indispensable participation des travailleurs de la terre à une organisation révolutionnaire. Sans elle, « le développement conséquent de la révolution sociale ne peut être viable [car] les obstacles traditionnels sont nombreux à cause du retard culturel, de l’instinct de propriété et de l’individualisme qui rendent difficile le ralliement des masses paysannes à des fins collectives ». Face à la réforme agraire promise par la République et sur laquelle elle ne se fait guère d’illusion, la CNT appelle à l’expropriation immédiate des propriétés de plus de 50 ha, en attendant « la libération totale ». Mais « il ne suffit pas de rendre la terre aux paysans si ne suit pas tout ce qui est inhérent à l’exploitation moderne, comme la mécanique, la chimie, les travaux hydrauliques etc. qui permettent l’industrialisation de l’agriculture ».

Je souligne ce ralliement à l’industrialisation, posé comme évident. Les libertaires espagnols semblaient jusque-là avoir hérité du mouvement de révolte populaire contre l’introduction de la mécanisation dans les manufactures et dans l’agriculture, ainsi que de la tradition de « résistance tenace à la généralisation du travail salarié » au XVIIIe siècle, décrits par Los Amigos de Ludd.

Se reporter ici à l’annexe n°1 à la fin de cet article « L’anti-machinisme dans l’État espagnol aux XIXe et XXe siècles »

On lit par exemple en 1927 dans La Revista Blanca que

« le capitalisme est le fils de l’industrialisme. Du capitalisme est né une indolence que l’on peut qualifier de mécanique, c’est-à-dire le fait de produire beaucoup avec le moindre effort […]. Les machines qu’on a inventées pour produire beaucoup et pas cher ont d’abord produit des bras en trop. […] C’est dans les villages qu’il faut se préparer à la transformation sociale, parce que les produits de la terre sont les seuls qui ont une valeur positive. La production industrielle est artificielle ; elle obéit bien souvent à des calculs mal appliqués par la direction, qui ne se fondent pas sur les besoins de la collectivité. Si les ouvriers des grandes capitales s’emparent des usines, il n’en résultera rien. Mais si les paysans s’emparent de la terre de leur village, il en résultera beaucoup ! [11] ».

Selon Urales, c’est dans les campagnes que coexistaient à la fois la plus grande moralité, la plus grande exploitation des travailleurs par les possédants et la plus grande hostilité au capitalisme. Il appelait à décongestionner les grandes villes, fermer les grandes usines et disperser les industries afin de réconcilier le monde citadin et le monde urbain, le travail intellectuel et le travail manuel. (Cf. Lorenzo, 2006, p. 93.) Tout cela peut être rapproché des considérations en forme d’hommage aux anarchistes espagnols que Franz Borkenau exprima dans son livre publié en 1937 [12] :

« En Espagne, les masses n’ont cessé de s’insurger contre le progrès et l’européanisation sous toutes ses formes […]. Dans les pays plus “ modernes ”, le socialisme a entièrement fait siennes les options industrielles et “ progressistes ” de la bourgeoisie. […]. Au cours du 19e siècle, et de manière encore plus nette à partir du 20e, le capitalisme moderne importé de l’étranger a lentement pénétré l’Espagne avec le concours modéré des Basques et des Catalans […], mais avec peu ou pas de participation de la part des Espagnols proprement dits. […] La révolte des masses espagnoles ne fut pas un combat qu’elles menèrent pour améliorer leurs conditions de vie dans le cadre d’un système capitaliste admiré, mais un combat contre les premières manifestations d’un capitalisme honni. […] Quelles que soient les concessions faites dans les dernières décennies aux nécessités du progrès industriel, le travailleur espagnol ne s’est jamais résigné comme ses collègues anglais et allemands à n’être qu’un simple employé de l’industrie. […] L’exigence américaine d’un “ toujours plus ” matériel est chose inconnue en Espagne. […] la tradition de lutte contre l’oppression, la mentalité du brigand qui abandonne son village pour vivre libre est infiniment plus vivace en Espagne que celle du syndicaliste acceptant de longs mois de grève en échange d’un peu plus d’aisance matérielle. C’est pourquoi le recours à la violence n’est jamais écarté a priori par les masses espagnoles, qui jugent au contraire suspecte l’action syndicale pacifique. Pour me résumer, je dirai que ce qui heurte la conscience du monde ouvrier et paysan espagnol, ce n’est pas l’idée d’un capitalisme qui se perpétuerait indéfiniment, mais l’apparition même de ce capitalisme. Telle est pour moi la clef de la position privilégiée de l’anarchisme en Espagne. […] La valeur éminente [que les anarchistes] attribuent à la liberté s’explique par le fait que, dans le cadre d’un système de pensée s’intéressant assez peu aux réalisations matérielles, la tyrannie apparaît comme le principal reproche qu’on puisse faire au système industriel moderne – le même reproche que l’on pouvait auparavant adresser au servage. »

Toutefois, avec la montée en puissance de la CNT en Espagne, le soubassement anti-matérialiste évoqué par Borkenau et par Los Amigos de Ludd [13] ne sera plus aussi déterminant dans les années trente. Les anarcho-syndicalistes décidèrent d’adapter l’anarchisme aux exigences de la société industrielle, estimant que la technique est une bonne chose quand la richesse est socialisée, et une mauvaise quand elle est monopolisée par le capitalisme. En 1933, certains considéraient encore que la machine devait s’adapter à l’homme, mais il n’en sera plus de même ensuite. Pour prolonger la question, je reviens au congrès de mai 1936 avec l’examen de la

« Motion sur le concept fédéral de Communisme Libertaire »

Cette motion aborde d’entrée de jeu les « deux manières d’interpréter le sens de la vie et les formes de l’économie post-révolutionnaire qui s’agitent avec une certaine fermeté au cœur même de la CNT. […] Il a fallu trouver la formule qui recueille la pensée des deux courants ». La motion soutient que « l’individu » et « le syndicat » sont les deux piliers de la nouvelle vie qui permettront le développement parallèle des deux courants qu’ils représentent. « Nous affirmons la reconnaissance de la souveraineté individuelle comme preuve et comme garantie de l’harmonie. »

Se reporter ici à l’annexe n°2 à la fin de cet article : « Les deux courants de l’anarchisme espagnol »

Le texte de la motion fait allusion à un clivage quasiment consubstantiel apparu au sein de l’anarchisme espagnol, qui recouvre aussi implicitement deux façons de repousser le capitalisme : l’une depuis le territoire de la vie quotidienne (le quartier et la commune rurale) ; l’autre depuis le lieu de travail. Les congressistes ont tenté de neutraliser le conflit né du « désir d’hégémonie » de chaque tendance pour garder l’unité du mouvement à peine reconquise, d’où un texte qui tente de ménager la chèvre et le chou, mais qui fait encore la part belle au fond communaliste :

« Une fois socialisée l’accumulation de toute la richesse sociale, et une fois garanti l’usage des moyens de travail, en rendant accessible à tous la faculté de produire, faculté convertie en devoir, pour acquérir le droit de consommer, surgit alors le principe anarchiste du libre accord pour que soient discutées par les hommes les possibilités, la forme et la durée du pacte. Ainsi l’individu, comme cellule juridiquement personnalisée et comme centre des articulations successives que la liberté et l’autorité de la Fédération devront créer, constituera le maillon et la structure de la nouvelle société à venir. »

La conception de l’individu ici avancée rompt avec les fondamentaux du sujet stirnérien des individualistes et illégalistes des premiers temps. En tant que « cellule juridiquement personnalisée », l’individu est intégré dans un « pacte » où « devoir de produire » et « droit de consommer » découlent d’un « préalable » posé comme indiscutable : il est avant tout un producteur [14] . Le futur ministre de la justice (et homme d’action de la CNT) avait déjà annoncé la couleur en octobre 1931 :

« Après la révolution, les travailleurs devront faire la même chose qu’avant la révolution. La révolution sera importante dans la mesure où elle mettra en vigueur un nouveau système juridique et, pour la première fois, elle réalisera le droit. Après la révolution, les travailleurs auront le droit de vivre selon leurs besoins et la société devra satisfaire ces besoins en fonction de ses possibilités économiques. » (Interview de García Oliver par le périodique La Tierra.)

Revenons à la motion :

« La conception constructive de la révolution »

« La révolution ne peut se fonder ni sur l’entraide, ni sur la solidarité, ni sur le lieu commun archaïque de la charité. [15] […] En conséquence, nous croyons que la révolution doit s’appuyer sur les principes sociaux et éthiques du Communisme Libertaire qui sont : – à chacun selon ses besoins, sans autre limite que celle imposée par les possibilités économiques – solliciter le maximum d’efforts de chaque être humain à la mesure des besoins de la société et en tenant compte des conditions physiques et morales de chacun. » « L’organisation de la nouvelle société après la rupture révolutionnaire » « Une fois terminé l’aspect violent de la révolution, seront déclarés abolis la propriété privée, l’État, le principe d’autorité, et par conséquent les classes. […] Une fois la richesse socialisée, les organisations de producteurs se chargeront de l’administration directe de la production et de la consommation. » Une fois établie la commune libertaire en chaque localité, elle se saisira de tout ce que la bourgeoisie détenait et « les hommes se prépareront à accomplir le devoir volontaire [16] – qui se convertira en véritable droit quand l’homme travaillera librement – d’aider la collectivité, […]. Les producteurs de chaque branche, réunis en syndicats sur leurs lieux de travail, détermineront librement la façon de s’organiser. […] Bien entendu, les premiers temps de la révolution ne seront pas faciles et il faudra que chacun redouble d’effort et consomme seulement ce que la production rendra possible. […] Comme base (dans le lieu de travail, le syndicat, la commune, dans tous les organes régulateurs de la nouvelle société), le plan économique d’organisation aura le producteur, l’individu comme cellule et pierre angulaire. » Comme organe de liaison entre la commune et le lieu de travail, il y aura le conseil d’atelier ou d’usine (à la campagne le conseil d’agriculture). Une « carte de producteur » remise par les conseils en question donnera « droit à la satisfaction des besoins. Il y figurera la quantité de travail en unités de journée, et [elle] sera valable pour l’acquisition de produits pendant un an ». Les cartes de consommation seront distribuées « aux éléments passifs de la population par les conseils communaux ».

Les associations de producteurs industriels et agricoles se fédèreront au niveau national « tant que l’Espagne sera le seul pays à avoir réalisé sa mutation sociale ».

Ici, point d’importance, c’est donc en priorité le temps de travail qui est pris en compte dans le statut social des hommes, bien que théoriquement la satisfaction de leurs besoins soit le souci premier. L’égalité doit être fondée arithmétiquement, d’où l’importance de la statistique dans l’organisation sociale anarchiste. [17] « Les communes libertaires comme entités politiques et administratives » Elles devront s’occuper de tout ce qui concerne l’individu et nommeront les conseils communaux. « Il y aura autant d’assemblées que de nécessités de consultations à la demande des conseils ou des habitants. » Les communes sont autonomes et fédérées au niveau régional et national. « Le droit d’autonomie n’exclura pas le devoir de tenir compte des accords collectifs. […]. Les communes réfractaires à l’industrialisation qui adopteraient d’autres types de convivialité, comme par exemple les naturistes, auront droit à une gestion autonome dégagée des compromis généraux. »

Une « niche » est ainsi prévue pour les individualistes « non consuméristes », ce qui sonne un peu comme un dernier hommage aux ancêtres du mouvement. Dans le texte de la motion, l’individu, la commune et le syndicat sont bien les trois piliers de la future société libertaire ; mais au vu de ce qui advint quelques mois après, on comprend que c’était la tendance syndicaliste qui était en train de prendre le dessus, incarnée et activement défendue par Abad de Santillán, un des principaux intellectuels du mouvement, [18] qui avait longtemps « préféré la municipalité rurale et s’était opposé à la domination du sindicato dans le mouvement anarchiste ». [19] Il écrivait dans un commentaire post festum : « Le mécanisme des interconnexions syndicales permettait, selon moi, de remplacer avantageusement le propriétaire capitaliste de l’industrie et de la terre, et je voulais contribuer à dépasser l’infantilisme du communisme libertaire basé sur les prétendues communes libres et indépendantes ».

Il estimait que le collectivisme de Bakounine ou le mutuellisme de Proudhon « étaient plus proches de la vraie nature humaine, car l’homme est généreux, plein d’abnégation, mais aussi égoïste ».

« Nous devions tout d’abord élever le niveau industriel et agricole du pays ; nous nous sentions capables de donner cette impulsion mais à travers l’instrument dont nous disposions, l’organisation syndicale, et non à travers les idylliques communes libertaires de nudistes et de pratiquants de l’amour libre. » [20] Le cadre était déjà posé par le même Santillán en 1934 : « Il nous semble qu’il règne dans nos milieux libertaires un peu de confusion entre ce qui relève de la convivialité sociale, le regroupement par affinité, et la fonction économique. Les vieilles visions […] sur les communes libres agissent sur la mentalité de certains camarades. […] l’avenir est complètement autre. À l’usine, nous ne recherchons pas l’affinité, comme dans le couple ou dans l’amitié [21] […]. À l’usine, ce qui nous intéresse par-dessus tout, c’est notre collègue ouvrier qui connaît son boulot et l’exécute sans créer de difficultés inhérentes à l’inexpérience ou à l’ignorance du fonctionnement de l’ensemble. » [22]
« Le salut réside dans le travail et le jour viendra où les ouvriers le voudront ce salut. » [23] Comme quoi, on n’y était pas encore… De manière plus explicite encore, le futur ministre de l’économie de la Généralité de Catalogne soutenait dans la revue Tiempos Nuevos du 5 septembre 1934 que les progrès de l’économie moderne et la nécessité de supprimer le capitalisme et l’État amenaient le mouvement à développer les possibilités technologiques de l’humanité, et à en finir avec « l’utopie ruraliste ». Les anarchistes eux-mêmes devaient s’adapter : « L’industrie moderne comme l’agriculture moderne posent en elles-mêmes des limites au “ Fais ce que voudras ” en matière d’économie. L’industrie moderne est un mécanisme qui a son rythme propre. Le rythme humain ne détermine pas celui de la machine ; c’est celui de la machine qui détermine celui de l’homme. […] Le localisme économique est passé et il doit passer, là où ce n’est pas encore fait, au musée des antiquités. L’organisation de l’usine, et non pas la commune libre – reliquat de “ visions périmées ” […] –, ni le groupe d’affinité, doit être le noyau de la société anarchiste future. » [24] En juin 1936, dans la même revue Tiempos Nuevos, Santillán pestait contre les « contradictions » et les « obscurités » des motions du Congrès où, selon lui, trop de place était encore concédée au communalisme : « Si on part du lieu de travail, les communes autonomes sont superflues […]. En économie il faut extirper l’illusion du localisme. » [25] Ainsi, à partir d’une volonté de rupture indéniable avec le capitalisme et de bannir la misère matérielle une fois pour toutes, les leaders anarcho-syndicalistes espagnols des années trente – à l’instar de leurs homologues européens, tel Pierre Besnard – se sont majoritairement ralliés à la théorie du prolétariat portée par le marxisme traditionnel, qui critiquait le Capital du point de vue du Travail, tout en intégrant le développement de ce dernier comme une étape dans la montée en puissance de la classe ouvrière. Dans ce cadre, d’instrument de lutte contre le capital, le syndicat devient une entité qui préfigure la société émancipée à venir. [26]

À suivre…

Myrtille, giménologue 30 mai 2012

Annexes

Annexe n°1 : Extrait de l’article de Los Amigos de Ludd :
« L’anti-machinisme dans l’État espagnol aux XIXe et XXe siècles »

« Le système industriel [en Espagne] a connu une première étape sous la forme de manufactures concentrées et non mécanisées dans des usines créées ou favorisées par la Couronne au XVIIIe siècle, parmi lesquelles le grand établissement consacré à la draperie, à Guadalajara, reste la plus célèbre. Signalons également l’usine d’Ávila (destinée à la préparation du coton), les hauts-fourneaux de Liérganes et de La Cavada, en Cantabria, qui servaient à la fonte des canons, l’usine de tabac de Séville, etc. La résistance des travailleurs à des formes de travail nouvelles et oppressives s’y est manifestée par des grèves, des attaques physiques contre les contremaîtres et les cadres, etc., mais sans doute parce qu’elles sont encore en petit nombre et ne portent guère préjudice aux intérêts des travailleurs, aucune destruction de machines n’a lieu à cette époque. Par contre, une résistance tenace à la généralisation du travail salarié se fait jour ; il est perçu par les ouvriers et les ouvrières de ces établissements comme une négation de leur liberté individuelle et collective, une atteinte à leur dignité, une dégradation physique et mentale ; en faisant de l’argent perçu comme salaire le facteur principal de leur vie, il est finalement vécu comme un corrupteur de leur intégrité morale. À en juger par leurs actes, ces travailleurs rejoignaient la pensée d’Aristote qui faisait du travail salarié une forme de semi-esclavage, et la résistance exemplaire qu’ils y opposèrent est une des causes principales, sinon la principale, des mauvais résultats obtenus par la presque totalité de ces établissements. […] Dans l’État espagnol, […] la propriété communale et les formes de coopération entre égaux restaient étonnamment puissantes au XIXe siècle, d’où une prolétarisation assez incomplète et le poids énorme de la petite propriété. Cet état de fait a rendu difficile l’articulation du marché intérieur, a réduit l’usage et la circulation de l’argent, freiné la concentration des masses déshéritées dans les zones industrielles et, finalement, a limité l’industrialisation, faisant de l’Espagne un pays “ attardé ” selon la rhétorique des apôtres du développement et du productivisme. […] Dans le cas de l’État espagnol, l’attachement des gens à des formes de vie préindustrielles était justifié, car elles comprenaient des biens communaux importants que les diverses entreprises absolutistes et libérales ne réussirent pas à éliminer totalement ; des biens particuliers (terres, maisons, troupeaux, matériel agricole, etc.) assez bien répartis ; des outils et des ustensiles (métiers à tisser, etc.) de l’industrie rurale décentralisée également très communs ; la survie du régime de conseil municipal ouvert (dans les villages) qui offrait encore quelques restes d’auto-gouvernement ; des habitudes d’entraide enracinées, efficaces et satisfaisantes ; un mépris généralisé pour l’argent ; un grand respect pour les autres êtres humains et pour eux-mêmes les empêchant de se soumettre à des pratiques dégradantes comme le travail salarié (et, par conséquent, à l’empire des machines existantes dans la mesure où elles étaient inséparables du régime salarié) ; un grand sens du courage et de la dignité, une sensibilité aiguë pour le juste et l’injuste qui les poussait à s’affronter aux décisions illégitimes du pouvoir établi, une culture propre vivante et créative, etc. Les communautés rurales ont donc résisté à toutes les tentatives réalisées par l’État et les riches pour les dissoudre, et par conséquent, les machines agricoles ne pouvaient trouver aucun cadre politique et social, excepté dans les quelques régions de latifundium consolidé. Ceci explique que ces communautés préférèrent continuer leur existence (qui était indéniablement, malgré ses graves défauts, meilleure ou, si l’on veut, pas aussi mauvaise que ce que leur offraient la grande ville et la grande industrie), et ne virent aucun intérêt dans la généralisation de la machinerie existante sur le marché (cependant, ils utilisaient couramment la machine qui leur était utile, comme par exemple les vanneuses). […] La mécanisation de l’agriculture n’a eu lieu que sous le régime franquiste, puisque c’est seulement celui-ci qui, une fois la guerre civile gagnée, a été capable de détruire définitivement la société rurale (tâche à laquelle l’absolutisme comme le libéralisme progressiste avaient partiellement échoué) — destruction qui est la condition nécessaire de la mécanisation massive. » Dans un autre de leurs textes (2009, p. 108), Los Amigos de Ludd concluent que « la classe ouvrière industrielle, née dans le deuxième quart du XIXe siècle, conserva de fortes attaches avec le monde préindustriel, en raison surtout de l’intégration régulière de paysans dans ses rangs. Par conséquent, et relativement aux autres pays européens, y étaient particulièrement vivaces les idéaux de communauté, l’entraide, le dédain pour tout ce qui a trait à l’argent et aux jouissances matérielles, le goût pour la délibération et la décision en assemblée, la méfiance envers les fonctionnaires des syndicats et des partis politiques. De la même manière, la propriété collective, la critique radicale du capitalisme prédateur, despotique et immoral, portée par les nouvelles idéologies ouvriéristes, marxistes et anarchistes, étaient familières d’un prolétariat issu du monde communal. Ce discours connut ainsi un succès extraordinaire auprès des ouvriers espagnols. Cela rendait fort peu probable un mouvement ouvrier à la manière anglaise, allemande, etc., c’est-à-dire centré sur le conflit salarial, les questions de revenu, autrement dit réactionnaire. C’est ainsi que la rencontre entre le mode de vie et les valeurs héritées du monde traditionnel espagnol et l’idéal radical du mouvement ouvrier a produit un prolétariat extrêmement combatif, cause directe de la guerre civile ».

Les textes des Amigos de Ludd sont traduits et publiés en français. Certaines considérations y sont discutables, à commencer par l’absence de prise en compte de la mécanisation qui apparut dans les collectivités agricoles en 1936-1938 et une certaine idéalisation des rapports sociaux dans les communes rurales, qu’ils reconnaîtront d’ailleurs en partie ultérieurement ; mais le matériau accumulé et l’apport bibliographique sont considérables et permettent à chacun de se faire une idée.

« Jeunes libertaires excursionnistes »

Annexe n°2 : Les deux courants de l’anarchisme espagnol

Le courant anarchiste individualiste était animé depuis le XIXe siècle par une myriade de petits groupes très autonomes, en lutte permanente contre l’autorité, le capitalisme et l’État. Selon Chris Ealham, auteur de La lucha por Barcelona, la tradition libertaire dans cette ville date de la décennie 1860 et fut véhiculée par les groupes d’affinité comprenant entre quatre et vingt membres qui provenaient du même quartier et se faisaient entière confiance. Ils propageaient une « culture de résistance à l’éthique du travail et aux rituels quotidiens de la société capitaliste ». On trouvait parmi eux des pacifistes, des naturistes et des végétariens, des espérantistes, mais aussi des activistes pratiquant la vie bohême, le brigandage, « l’acte individuel antisocial » et l’illégalisme ; ils ne reculaient pas devant l’usage de la violence. Le terreau de ces groupes anarchistes était la culture des quartiers (barrios) dont le « code moral » justifiait le « délit économique » pour finir le mois, et dont la pratique « d’action directe » remontait aux années 1830. Ce courant optait pour la propagande par le fait [27] et pour la voie insurrectionnelle. Il s’opposait violemment à toute organisation, restant dans un premier temps à distance de la classe ouvrière. La lourde répression que ces groupes subirent les rendit inopérants. Les anarchistes plus intellectuels se réunissaient dans les cafés et se mêlaient à la marge, notamment aux gitans. Les idées individualistes se propageaient au sein des centres populaires culturels et sociaux, les Ateneos (entre 1877 et 1914, il en existait 75 à Barcelone), dans les écoles rationalistes et dans de nombreuses revues, parmi lesquelles on trouvait La Revista Blanca, Ética, Iniciales, Estudios, etc. On peut y lire des textes en défense et illustration de « l’expropriateur » qui « restitue à la société la partie du produit du travail confisquée par le bourgeois ». Dans Tierra y Libertad de Madrid en 1902, deux mois après la grève générale de Barcelone, un article de Firmin Salvochea s’intitulait : « Ne travaillez pas ! ». Ces groupes revendiquaient un certain éclectisme et pouvaient adopter selon les époques des théories philosophiques « non prolétariennes » (Ibsen, Nietzsche, Stirner). Les publications anarchistes témoignaient d’un grand intérêt pour la culture, la science et les arts, à partir d’une démarche foncièrement anticléricale, progressiste et rationaliste. S’ils s’intéressaient peu à l’action syndicale, les anarchistes individualistes, la plupart urbains, respectaient la figure du producteur et étaient de fervents partisans du communalisme, système fédéraliste dont la commune rurale autonome est la base. Les tentatives insurrectionnalistes des années trente pour proclamer le communisme libertaire furent soutenues par la famille Urales par la bouche de la conférencière Federica Montseny en 1932 : « Nous devons, nous les anarchistes, déplacer nos activités dans les campagnes, dans les villages ruraux, d’où partiront les phalanges révolutionnaires, pour en finir avec l’hégémonie des villes, foyers de corruption et de stérilisation des mouvements. […] Nous n’avons pas besoin des villes pour faire la révolution […] [villes] qui sont le lieu de concentration des forces capitalistes. » [28] Fin 1935, au vu de l’imminence de la victoire du Front populaire, beaucoup d’anarchistes individualistes commencèrent à penser concrètement à la société future. Ils se mirent eux-mêmes en garde contre une excessive idéalisation de la vie à la campagne, et sur les difficultés de la vie en commun : « Que nous désirions nous évader de la vie d’usine, de bureau ou de boutique […] est un mouvement naturel, sain et légitime. […] Les conditions pour réunir toutes les chances de succès sont de retourner à la campagne progressivement, en gardant le travail qui nous assurera les moyens de vivre (si nous pouvons) et, peu à peu, nous transplanter complètement […]. Il est nécessaire d’agir seul pour conserver son indépendance et ne pas risquer de compromettre celle des autres. » [29]

Le second courant renvoie à l’anarchisme ouvrier qui ne s’était pas vraiment développé après la création de la Fédération Régionale Espagnole de l’AIT en 1870. Il reprit de la vigueur au début du XXe siècle en s’inspirant de l’anarcho-syndicalisme français. La première grande grève éclata à Barcelone en 1902 ; celle de 1909 fut transformée en insurrection urbaine par la population des quartiers. La CNT se constitua en 1910. L’existence même d’une organisation anarcho-syndicaliste signifiait une certaine rupture dans le modus operandi de l’anarchisme espagnol, contre l’activisme individuel et en faveur de l’action collective et solidaire. Ce syndicat sans permanent, pratiquant l’action directe, va s’imbriquer intimement dans les communautés de quartiers en créant notamment des Comités de barriadas, réseaux d’information et d’action (voir supra note 49). Il renforcera une pratique populaire déjà existante où la rue était l’épicentre de l’action, qui va s’intensifier dans les années trente (grèves commençant à l’usine et continuant dans les quartiers, refus de paiement des loyers, boycotts, manifestations de chômeurs finissant en expropriations collectives, manifestations de femmes accompagnées d’hommes armés, libération et planque de prisonniers, édification de barricades, etc.). Tout cela participait d’une contre-culture d’action directe qui n’attendait rien de l’État, violemment antipolitique, particulièrement non misérabiliste et animée d’un sentiment de supériorité morale face aux bourgeois considérés comme des criminels. La CNT affermit ses liens avec les écoles rationalistes, les coopératives de consommation et les Ateneos, lesquels « renforcèrent l’esprit autonome des barriadas, donnant du sens et de la dignité aux expériences des quartiers. Du fait du sacrifice collectif nécessaire à leur ouverture, ils se convertirent en source d’orgueil local, renforçant la confiance de la communauté dans l’idée de la possession commune d’une richesse. […]. Ceci se passait à une époque où en Europe l’arrivée des formes de culture de masse comme le football et les salles de concert avaient commencé à ramollir et diluer la conscience socialiste » (Ealham, 2005 a, p. 95). Avec la victoire obtenue lors de la grande grève de 1919 contre l’entreprise anglo-canadienne Riegos y Fuerzas del Ebro, à la suite de quoi l’État espagnol fut le premier en Europe à légiférer sur la journée de huit heures, « la CNT devint un des acteurs principaux dans le monde industriel et une référence pour les ouvriers » (ibid., p. 87). La Confédération réussit ainsi à combiner des formes traditionnelles de lutte qui représentaient un grand potentiel d’énergie hors des lieux de travail, et des formes « modernes » comme la grève. Après 1919, la bourgeoisie catalane réagit fortement contre la CNT, organisa des milices et engagea des pistoleros pour casser les grèves et les militants. Le syndicat dut passer à la clandestinité et s’appuya sur les réseaux de soutien des quartiers. La CNT s’allia également à des anarchistes individualistes organisés en « groupes de défense » qui proposèrent leurs services pour répondre coup pour coup au patronat et à l’État [30] . Afin qu’ils ne se singularisent pas trop, la CNT leur octroya la paye d’un travailleur qualifié pour protéger les militants menacés, collecter les cotisations, attaquer les banques pour financer la caisse du comité pro presos, exécuter les pistoleros et s’attaquer même directement à certains dirigeants. Ces groupes totalisaient 200 personnes environ, et ils représentèrent une source de fierté pour les ouvriers ; jamais ils ne furent infiltrés ni trahis. [31] Début 1923, la plupart des groupes d’action anarchistes qui vont pratiquer l’action directe contre la dictature, tel celui des Solidarios [32], étaient composés d’ouvriers syndicalisés endurcis. Mais ils voulaient garder leur autonomie et multiplièrent los atracos (les braquages) pour s’autofinancer.

La CNT ne pouvait agir publiquement dans les années vingt. L’une des raisons de la création de la FAI en juillet 1927 à Valence était de contribuer à la lutte en tant que société secrète révolutionnaire. Lors du congrès de sa constitution, il fut affirmé de n’établir « aucune collaboration, aucune entente avec des éléments politiques, et de n’être en intelligence qu’avec la CNT. [33] […] On approuva les coopératives de consommation et autres essais constructifs (ateliers communautaires, colonies agricoles), du moment qu’ils étaient imprégnés d’esprit libertaire anticapitaliste. » La FAI, dite « l’organisation spécifique [34] », fonctionna sur la base des groupes autonomes d’affinité, [35] pour certains constitués en Fédération Nationale en liaison avec la CNT depuis 1923. À partir de 1930, elle entra dans sa phase suivante, plus clandestine que secrète, et donna de la voix contre les tendances « réformistes » de la CNT. (Cf. Lorenzo, 2006, pp. 87-91.) En 1931, la FAI devint le foyer d’accueil des opposants au réformisme, et un organe révolutionnaire quasiment spécialisé dans les soulèvements [36] , tout en s’imbriquant de plus en plus profondément dans la CNT. Les deux courants de l’anarchisme espagnol – représentés par l’individu et la commune d’un côté, et le syndicat de l’autre – s’affrontèrent longtemps dans de vastes et épuisantes polémiques, qui recoupaient d’autres joutes entre les tendances dites « radicales » et « modérées », « spontanéistes » et « organisationnelles », « insurrectionnalistes » et « possibilistes », « faïstes » et « trentistes »… à l’extérieur comme au sein de la Confédération. Dans la FAI elle-même, entre un Federico Urales [37]. J’insiste toutefois sur le fait qu’Urales, comme d’autres anarchistes, balançait selon les moments entre le spontanéisme et l’organisation, l’insurrection communale et la grève générale ; et si la commune rurale avait sa faveur, il n’en appela jamais à un quelconque retour au passé, mais plutôt à une adaptation de la société au développement. Il était certes « anti-industrialiste », mais aussi à sa manière assez « progressiste ».]] , partisan d’un « anarchisme communaliste », et un Abad de Santillán (voir supra note 13 ) appelant à un « anarchisme constructif » en phase avec la croissance industrielle, le clivage était flagrant. Même si certains individualistes dénonçaient la CNT et la FAI comme des « machines à cotiser » et des « unités dominatrices », notamment à travers la revue Iniciales, beaucoup de liens historiques, politiques et personnels reliaient les représentants des deux courants, qui appartenaient donc bien à la même famille. Des militants anarchistes de premier plan de la CNT-FAI dans les années trente avaient des amis stirnériens. Mais plus la CNT-FAI (et la FIJL, Fédération Ibérique des Jeunesses Libertaires, créée en 1932) envisageaient le surgissement d’un mouvement social de grande ampleur, plus elles prenaient leurs distances avec le vieux fond anarchiste, à commencer par la pratique de l’expropriation individuelle : « Ou nous en finissons avec el atraco, ou el atraco en finira avec nous, » aurait dit Ascaso en 1935 (Voir aussi sur ces questions Chris Ealham, 1999 et Miguel Amorós, 2003 a.)

 

[1] Les Anarchistes espagnols 1868-1981, Denoël, 2012, p. 337

[2] Ouvriers contre le travail, Senonevero, Marseille, 2010.

[3] L’autre courant dit communaliste et individualiste considérait que le capitalisme et l’industrialisme étaient consubstantiels, et que c’était à la commune et non au syndicat de prendre en charge la socialisation.

[4] Selon l’expression de Michael Seidman.

[5] Il ne s’agit pas pour autant de s’adonner à la démythification pour la démythification…

[6] Selon les termes utilisés dans la « Motion sur la situation politico-militaire » adoptée le 9 mai 1936. Je me base sur la traduction en français des cinq motions, publiée anonymement sous forme de brochure et intitulée Prolégomènes à la révolution de juillet 1936 en Espagne. Motions du congrès de Saragosse CNT - mai 1936.

[7] C’est ainsi que furent qualifiés les trente partisans du « syndicalisme pur » qui voulaient dégager la CNT de l’influence des Groupes anarchistes et publièrent en août 1931 le Manifeste des trente, au moment où l’interminable guerre de rue des ouvriers et chômeurs radicalisait la CNT catalane. Ces militants modérés (comme Peirò ou Pestaña) prônaient une sorte d’armistice avec les autorités pour que l’action syndicale puisse se développer et critiquaient la violence des groupes et le recours aux actions illégales. La République rétablie en avril avait proposé à certains d’entre eux de devenir ministres, ce qu’ils n’osèrent pas accepter. Chris Ealham (Ealham, 2005 a, p. 203 : voir bibliographie en fin d’article) fait remarquer que le chômage massif avait exercé une pression sur le code moral des syndicalistes : pour lutter contre le chômage, certains militants trentistes voulurent limiter le travail des femmes et contrôler les immigrés déjà criminalisés par la presse, et ils jugèrent que les actions offensives menées hors de l’usine par les chômeurs étaient « indignes des travailleurs ». Ealham conclut que la conception anarcho-syndicaliste de la dignité prolétaire était devenue une version radicale de la conception bourgeoise du « bon ouvrier » qui vit exclusivement de son travail.

[8] C’est ainsi qu’on a qualifié les membres de la Fédération Anarchiste Ibérique (FAI). Voir infra l’annexe n° 2 : « Les deux courants de l’anarchisme ».

[9] Cette motion s’adresse à l’Union Générale des Travailleurs (UGT), socialiste, dans la mesure où celle-ci convient de « l’échec du système de collaboration politique et parlementaire et, en conséquence, cesse d’entretenir une quelconque collaboration avec le régime actuel ».

[10] Pour approcher une genèse de ce concept, je renvoie aux pp. 48-50 et 103-107 du livre de Clara E. Lida, 2011, qui évoque les changements doctrinaux opérés à la fin des années 1870 au sein de l’AIT, confirmés au congrès de Londres de 1881, où « on se mit d’accord sur une motion en faveur de la diffusion des idéaux communistes chez les paysans ». Le collectivisme bakouniniste, soutenu par la commission fédérale catalane de la FRE (Fédération Régionale Espagnole de l’AIT) céda la place à l’anarcho-communisme (défendu par Kropotkine et Malatesta), chaque jour plus populaire parmi les fédérations locales du Sud (les Andalous) de la FRE : « Le collectivisme avait été jusque-là la théorie unificatrice des anarchistes. L’idée que les instruments de travail et le produit du travail devaient être mis dans les mains de ceux qui avaient contribué à les créer par leurs efforts se résumait, selon Bakounine lui-même, en une seule phrase : “ De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail. ” Cette synthèse attirait particulièrement les travailleurs manuels des ateliers et des usines, car elle reprenait les revendications de la tradition artisanale. […]. L’anarcho-communisme […] constatait que les modes de production modernes avaient atteint une telle complexité industrielle et technique qu’il devenait impossible de déterminer la proportion exacte de travail réalisé par chacun et le paiement juste qui devait lui correspondre. Tenter de le faire serait un retour vers le système capitaliste des salaires et une société inégalitaire dans laquelle certains recevraient des avantages supérieurs aux autres. Qui plus est, en fonction du type de travail réalisé, beaucoup de salariés resteraient en marge de ces revenus [les ouvriers agricoles sans qualification, les travailleurs domestiques, les employés, les femmes, les vieillards et les malades], c’est pourquoi il était nécessaire de collectiviser la production et la consommation. […]. En d’autres termes, pour qu’il puisse exister une prospérité générale équitable, il était indispensable de socialiser les outils de travail et les produits du travail entre tous les membres de la société qui contribueraient à cette production, sans oublier leur consommation à laquelle tous et toutes auraient droit. Ainsi les partisans de cette théorie insistaient sur le fait que c’était seulement dans l’anarcho-communisme que pouvaient s’épanouir les bases sociales urbaines et rurales que le collectivisme n’avait jusque-là pas suffisamment envisagées. Pour résumer leur proposition, ils défendaient l’idée selon laquelle la répartition du produit social devait se réaliser selon la formule : “ De chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins. ” » À la même époque, selon le compte rendu du congrès de « la Unión de los Trabajadores del Campo » de la FRE, congrès qui eut lieu à Séville en septembre 1882, le rôle du syndicat est ainsi décrit : « L’organisation ouvrière a pour but la disparition même du prolétariat et la constitution d’une société de producteurs libres dans laquelle chacun recevra le produit intégral de son travail. Mais comme cette évolution de tous les organismes sociaux ne sera pas un fait avant que l’ouvrier la réalise lui-même en parfaite connaissance de la cause, il est nécessaire que les ouvriers s’organisent par syndicats. » (Siegfried Nacht, « Un point d’Histoire syndicaliste en Espagne : La Mano negra et le Syndicalisme révolutionnaire en Andalousie (1907) ».) [Document trouvé sur Internet].

[11] L’auteur ajoutait à propos des méthodes fordistes fort commentées à l’époque : « La bourgeoisie yankee, avec plus de moyens que celle d’Europe, mais sans mentalité meilleure, a pensé, afin de résister à l’invasion socialiste, lier ses ouvriers à ses intérêts, en les faisant participer aux bénéfices, les intéressant aux affaires ou en leur payant de hauts salaires, ce qui revient au même. C’est pourquoi nous déclarons que les USA, en procédant ainsi, avec un travailleur sans inquiétudes morales et avec les avantages économiques qu’il apporte au reste du monde […] seront le dernier bastion du capital. Mais cette position avantageuse sera impossible à tenir longtemps. » Extraits de « Sur l’actuelle crise économique et politique dont souffre le monde », article en deux parties de Federico Urales (nom de plume de Juan Montseny, le père de Federica), paru dans La Revista Blanca, 1927, n° 90, pp. 552-555, et n° 92, pp. 618-621. Il s’agit d’une des revues les plus connues du courant individualiste, chantre de « l’anarchisme pur » (voir infra l’annexe n° 2, « Les deux courants de l’anarchisme espagnol »). Publiée à Barcelone depuis 1923, elle eut une diffusion non négligeable (12 000 exemplaires). Une autre publication d’Urales, l’hebdomadaire El luchador, tirait à 25 000 exemplaires en 1931 et contribua à « l’émergence d’une contre-culture populaire s’opposant par ses thèmes sociaux et ses valeurs contestataires à la culture de masse véhiculée par le capitalisme » (Lorenzo, 2006, p. 94).

[12] Borkenau, 1979, pp. 16, 17 et 28-30.

[13] Ils déplorèrent l’adhésion au « mythe du progrès » et « l’indifférence partagée par la plupart des anarchistes vis-à-vis des contradictions dévastatrices de la société industrielle », à de louables exceptions près comme Gustav Landauer, « qui critique explicitement le machinisme marxiste, ou Federico Urales, qui essaye de concilier société traditionnelle et idéologie anarchiste » (cf. Los Amigos de Ludd, 2009, p. 29).

[14] Cette conception s’adosse au droit naturel fichtéen : « Chacun doit pouvoir vivre de son travail, tel est le principe. “ Pouvoir vivre ” est ainsi conditionné par le travail, et il n’est de droit que lorsque cette condition a été remplie. » (Fichte, Fondements du droit naturel selon les principes de la doctrine de la science, 1797.) Les anarchistes et anarcho-syndicalistes reprennent à leur compte le primat de l’homme comme animal laborans, qui a cours encore aujourd’hui, alors que le travail comme nécessité éternelle imposée à l’homme par la nature est « seulement un principe social irrationnel qui prend l’apparence d’une contrainte naturelle parce qu’il a détruit ou soumis depuis des siècles toutes les autres formes de rapports sociaux et s’est lui-même posé en absolu. » (Groupe Krisis, 2002, p. 30.)

[15] Je comprends bien l’exigence fondamentale de dignité de l’anarchisme espagnol, qui rejette notamment le pourboire. Il postule que la nouvelle organisation sociale sera foncièrement égalitaire et qu’il n’y aura plus de pauvres. Du coup, malgré leur importance historique dans la lutte anticapitaliste, l’entraide et la solidarité sont désormais associées à la charité chrétienne qui maintenait les anciens rapports sociaux en l’état. Mais cela sous-entend que la vie économique après la révolution sera si bien organisée que, si chacun respecte ses « droits et devoirs », personne ne manquera de rien. Et en fonction de l’adage devenu populaire, « qui ne travaille pas ne mange pas », je suppose qu’il ne faudra pas se laisser aller dans la future société libertaire à aider un « paresseux » qui a faim. Toutes proportions gardées, je rappelle que la Révolution française proclama « un devoir de travail et [institua] de nouvelles maisons de travail forcé par une “ loi d’abolition de la mendicité ”. C’était exactement le contraire de ce à quoi aspiraient les mouvements de révolte sociale qui éclataient en marge de la révolution bourgeoise sans s’y intégrer ». (ibid., p. 49.) On notera, un peu plus tard, un autre état d’esprit en Aragon. En juillet 1937, l’anarchiste Máximo Llorca, qui connaissait sans nul doute les conclusions du Congrès de Saragosse, se félicite dans un article, « Les Collectivités, leurs vertus, leurs défauts », que désormais dans les villages il n’y ait plus d’homme sans travail. Mais comme le système n’est pas parfait, il en appelle plusieurs fois au maintien de « l’attachement mutuel », de « l’attention réciproque » et de la « solidarité que nous devons nous manifester à tout instant ». « Ce sont des sentiments qui ont pris de l’ampleur dans les collectivités où les dirigeants ont su remplir leur devoir. […] D’autres collectivités ont laissé de côté tout esprit solidaire » en gardant pour elles les bénéfices accumulés (Cf. Díez Torre, 2009, pp. 484-486). Aujourd’hui, on peut certainement aussi critiquer la fonction sociale de la notion de solidarité, devenue, comme la charité, une « niche morale » permettant de culpabiliser les individus qui ne s’occupent pas assez les uns des autres. Mais cela n’épuise pas la question.

[16] La formule « devoir volontaire » ressemble quelque peu à une injonction paradoxale.

[17] Pour se débarrasser de l’État et du capitalisme, les anarchistes devraient « remplacer la domination de l’homme par l’homme par l’administration des choses » (Santillán, 1976, p. 156), selon Abad de Santillán. Il est savoureux de voir un théoricien anarchiste reprendre à son compte le célèbre propos d’Engels dans son Anti-Dühring, où il défend par une formule très proche la thèse du dépérissement de l’État : « Le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses et à la direction des opérations de production. »

[18] Je me référerai souvent à cet auteur protagoniste des événements car il a beaucoup écrit, et à chaud. Il présentera son Organisme économique de la révolution. Comment nous vivons et comment nous pourrions vivre en Espagne (publié en mars 1936) « comme une tentative de définition d’une “ voie pratique de réalisation immédiate ” d’un socialisme libertaire fondé sur le syndicat et la fédération d’industrie, par opposition à “ l’utopisme paradisiaque ” d’un certain anarchisme reposant, lui, sur la “ commune libre ”. […] Sans évoquer la guerre à venir, [cet ouvrage] anticipe, par certains côtés, l’attitude du mouvement libertaire au cours du processus révolutionnaire espagnol. Ainsi, il justifie par avance la ligne tactique d’unité antifasciste – le “ circonstancialisme ”. De ce point de vue, El organismo – réédité en 1937 et 1938 – servira souvent d’argumentaire, pendant la guerre civile, aux instances dirigeantes de la CNT et de la FAI pour légitimer leur ligne de conduite. » (Mintz, 2002, p. 27.) Il faut donc reconsidérer l’importance que la « circonstance » de la guerre fit peser sur les choix de l’été 1936, tant politiques qu’économiques, et sur ceux qui suivront. Après avoir été partisan, et acteur, d’une série de compromis avec l’État et la bourgeoisie, et conseiller à l’économie de la Généralité de Catalogne de décembre 1936 à avril 1937, Santillán critiqua, en 1937, dans Comment nous avons perdu la guerre (publié en 1940), un antifascisme construit sur « l’écrasement des aspirations révolutionnaires ». En juin 1937, dans la revue Tiempos Nuevos, il conclura même : « En Espagne il y avait une grande masse qui voulait la révolution, et des minorités qualifiées de dirigeantes, parmi lesquelles nous-mêmes, […] lui ont coupé les ailes de toutes les façons possibles. » Cela ne l’empêchera pas dans les années 1970 de soutenir ce qui suit : « Après avoir représenté la condition de possibilité d’une éventuelle libération de l’humanité, le progrès scientifique et technique en est devenu le protagoniste. [….]. La grande révolution aujourd’hui c’est la réforme ; la barricade a rempli sa mission, en supposant qu’elle en avait une. » (Santillán, 1976, p. 52.)

[19] Seidman, 2010, p. 58. À cette époque, Santillán qualifiait le syndicalisme de « plante exotique » dans le mouvement libertaire espagnol.

[20] Propos tenus dans une lettre datée du 10 juillet 1965 : cf. Guérin, 1999, pp. 137-139. On notera que ces concepts qui avaient une forte connotation sociale sont ici renvoyés à la sphère de la subjectivité, et réduits à des comportements inoffensifs, voire ridicules.

[21] Combien Borkenau aurait frémi s’il avait lu ces lignes, lui qui terminait son livre sur ces considérations enthousiastes : « En Espagne, la vie n’est pas encore efficace, c’est-à-dire pas encore mécanisée ; pour l’Espagnol, la beauté est plus importante que l’utilité pratique ; le sentiment plus important que la réussite ; l’amour et l’amitié plus importants que le travail. » (Borkenau, 1979, p. 280.)
Ce qu’il faut bien appeler une forme de rationalisation des rapports sociaux qui prétend que le lieu de travail « doit remplacer toutes les formes politiques d’association » s’entrechoque tout particulièrement avec la culture populaire des quartiers, nourrie de liens directs et émotionnels ; et tout autant avec la raison d’être du principal organe de propagande de l’anarchisme, le groupe d’affinité. En juillet 1937, lors d’un Plenum des comités régionaux de la FAI, il sera question de transformer cette organisation en une sorte de parti politique : « Avec la nouvelle organisation qu’on donne à la FAI, la mission des groupes par affinité est annulée. […]. Ils ne pourront avoir une participation organique en tant que tels. » L’effectif de la FAI était évalué à 30 000 membres en Espagne avant 1936. (Vernon Richards, 1997, p. 154.)

[22] Santillán, 1976, p. 203.

[23] Santillán, cité par Seidman, 2010, p. 59.

[24] Santillán, 1976, pp. 40 et 41.

[25] Ibid., p. 46.

[26] Lors de la création de la CNT en 1910, le syndicalisme est défini comme un moyen de lutte et de résistance et non comme une fin en soi de l’émancipation ouvrière. Une « bascule » s’opère lors du IIIe congrès de la CNT de 1931 : « Le Syndicat d’Industrie complété par la Fédération Nationale d’Industrie représente le modèle indépassable d’organisation, tant comme outil de résistance face au capitalisme, que comme “ vertu ” [valor] permettant de supplanter ce dernier dans l’hégémonie et la direction de la société. »
Source :archivo.cnt.es

[27] C’est en 1881 au congrès international anarchiste à Londres que la « propagande par le fait » fut adoptée « en association à la propagande écrite et verbale ». Cette stratégie d’action politique développée par les anarchistes à la fin du XIXe siècle et au début du XXe englobait « les actes de terrorisme, les actions de récupération et de reprise individuelle, les expéditions punitives, le sabotage, le boycott voire certains actes de guérilla ». (Source : Wikipedia.)

[28] Elorza, 1973, p. 451.

[29] Diez, 2007, p. 222.

[30] De 1919 à 1923, 189 ouvriers furent assassinés dans Barcelone et sa banlieue ; dans l’autre bord, 21 patrons furent descendus. (Cf. Ealham, 2005 a, pp. 98-102.)

[31] Lorenzo, 2006, pp. 61-63. Voir aussi Guillamón, 2011, pp. 32-39 : « Les groupes d’action des années du pistolerismo (1919-1923) se constituèrent comme groupes d’autodéfense des syndicalistes et de l’organisation. […] À partir de l’assassinat de Salvador Seguí et de [Padronas] (10 mars 1923), une commission exécutive […] approuva la constitution de groupes d’action qui répondraient au terrorisme étatique et patronal par l’attentat personnel. […]. Ces groupes furent violemment dénoncés, dans les années trente, par divers secteurs (les trentistes) qui les accusaient de porter préjudice à la CNT en confondant l’action révolutionnaire et la délinquance armée. L’État et les patrons criminalisèrent irrationnellement ces groupes d’action, et aussi les syndicats uniques, les ateneos et les groupes d’affinité. Car chaque syndicat unique engendrait ses propres groupes d’action, en tant qu’organes indispensables de l’action directe syndicale, face aux abus des contremaîtres et patrons, en cas de non application d’accords salariaux, pour la formation de piquets, pour l’autodéfense et aussi pour soutenir ou abréger des grèves qui manquaient souvent de caisses de résistance. […] Pour l’éthique populaire la différence entre légalité et illégalité manquait de sens dans un monde misérable et abject, soumis à une exploitation sans bornes, dans lequel on luttait pour mal vivre. […] La différence entre un groupe qui effectuait des expropriations pour aider les prisonniers ou financer la presse, et un groupe d’action qui s’alimentait (littéralement) ou profitait de son butin résidait seulement dans la destination finale qui était donnée à ce dernier. […] Quelques groupes d’action vivaient au fil du poignard, entre la lutte de classes […] et la révolte millénariste ou antisociale des marginaux, bohêmes et misérables. […] En mai 1935, un plenum de groupes anarchistes condamna les groupes d’action spécialisés dans les atracos, fussent-ils destinés au financement de l’organisation ou à la survie de leurs auteurs, chômeurs ou pas. Durruti argumenta que le temps de l’expropriation individuelle était passé, puisque se rapprochait celui de l’expropriation collective : la révolution. »

[32] Douze hommes d’action de la CNT avec, entre autres, García Oliver, Buenaventura Durruti, Francisco Ascaso, Aurelio Fernández, Ricardo Sanz et quatre femmes créent ce groupe en 1922. Ils seront secondés par de nombreux auxiliaires au cours des années suivantes. En 1931, le groupe, réorganisé sur la base des « Cadres et Comités de défense CNT », s’appellera désormais Nosotros. Il réalisera son plan « d’organisation armée secrète » et prônera une « gymnastique révolutionnaire ». Partisans de la prise du pouvoir, ses membres furent qualifiés d’anarcho-bolchéviques par la tendance anti-autoritaire et anti-militariste de la CNT. S’ils représentaient la tendance la plus radicale dans l’action au sein du mouvement anarcho-syndicaliste, il faut distinguer les membres de Nosotros des anarchistes intégristes de la FAI, à la constitution de laquelle ils ont indirectement contribué, et à laquelle ils adhérèrent en 1933. Encore que Lorenzo parle du « discours faïste anarcho-bolchévik [qui] prenait bien dans les masses » sous la République. (Cf. Lorenzo, 2006, pp. 79-82, 91 et 105-109.) Selon Guillamón (2011, pp. 8-29), qui se base sur un rapport confidentiel de l’AIT rédigé par Alexander Shapiro « sur l’activité de la CNT » et sur le fonctionnement des Cadres et Comités de défense de décembre 1932 à février 1933, ces comités avaient pour « seul but de préparer les armes nécessaires en cas d’insurrection, organiser les groupes de choc dans les différents quartiers populaires, organiser la résistance des soldats dans les casernes etc. ». Mais après l’échec de l’insurrection du 8 janvier 1933, le rapport critiqua durement les défauts d’organisation de ces comités, et le fait que la CNT soit sous la coupe du Comité National des Comités de Défense (CNCD). En pleine insurrection asturienne (à laquelle la CNT ne participa pas au niveau national), lors d’un rapport du CNCD « sur la Constitution des Comités de Défense » du 11 octobre 1934, la tactique prônée par le groupe Nosotros fut qualifiée de dangereuse pour le mouvement et dépassée : « Il n’y a pas de révolution sans préparation. […] Il faut en finir avec l’improvisation, l’inspiration exaltée […]. Cette erreur de jugement sur l’instinct créateur des masses nous a coûté très cher. » À partir de là, les Comités de Défense devinrent la « milice secrète et anonyme de la CNT » complètement dépendante d’elle, financée par elle. Structuré en groupes de six membres, dont les fonctions de chacun étaient précisément établies, cet organisme totalement clandestin « devait être prêt à incorporer des milliers de syndicalistes, et aussi d’autres groupes secondaires comme les groupes d’affinité de la FAI, les Jeunesses Libertaires et les ateneos », au niveau local, comarcal et régional. Dans chaque quartier se constituait un Comité de Défense du secteur. Ces groupes d’information et de combat devaient jouer le rôle « d’avant-garde révolutionnaire qui inspirerait directement le peuple ». Les Comités de Défense firent la démonstration de leur efficacité lors des combats de juillet 1936 à Barcelone, sous l’impulsion, encore une fois, du groupe Nosotros ; mais ils échouèrent à Saragosse et à Séville, autres places fortes de l’anarcho-syndicalisme.

[33] La trabazón était le terme consacré pour désigner le lien organique entre syndicat et anarchie.

[34] C’est-à-dire spécifiquement anarchiste, par opposition à l’organisation syndicale. Elle se donnait pour objet un approfondissement idéologique notamment par la propagande orale.

[35] Cf. Guillamón, 2011, pp. 29-32 : « C’était fondamentalement un groupe d’amis et/ou de militants unis par l’affinité idéologique qui assumaient un travail, des postulats et des tactiques communes, qui pouvaient les opposer à d’autres groupes d’affinité. […] La FAI n’était qu’une plate-forme commune, ou coordinatrice, des groupes d’affinité qui fréquemment critiquaient le Comité Péninsulaire ou Régional. […] Les groupes d’affinité se définissaient par leur caractère transitoire, leur autofinancement, la décentralisation, l’autonomie et le fédéralisme. Les conditions de la clandestinité, et aussi leur vocation intrinsèque, faisaient que ces groupes existaient pour réaliser une tâche déterminée, à la suite de laquelle ils se dissolvaient après une brève existence. Certains de ses membres pouvaient rencontrer d’autres groupes pour effectuer une autre tâche concrète. Cette volatilité et la clandestinité permanente résultaient de la nécessaire adaptation à la constante répression policière, mais aussi au refus anarchiste de toute structure organisatrice, ce qui rend l’étude historique difficile. Mais il existait aussi, exceptionnellement, des groupes d’affinité durables. Ils étaient constitués par au minimum quatre compañeros et au maximum vingt ; quand ils atteignaient ce chiffre, ils se divisaient en plusieurs autres groupes. […] Une autre caractéristique de ces groupes était leur constant manque de moyens matériels et financiers. Leurs objectifs embrassaient tout un éventail d’activités culturelles, associatives, ludiques ou d’appui mutuel […] en passant par le soutien à un ateneo ou à une école rationaliste. D’autres se consacraient à des activités syndicales […]. Leur plus grand désir était de pratiquer tout de suite des valeurs éthiques et sociales, des alternatives. […] Pendant la guerre civile, les groupes d’affinité participaient activement aux réunions des Fédérations locales (surtout à Barcelone) où ils exprimaient avec force leurs critiques et désaccords avec les comités supérieurs. » voir aussi supra notes 16 et 55.

[36] La FAI maintenait une pression permanente afin d’empêcher une intégration réformiste des organisations ouvrières catalanes (on a vu que les « trentistes » furent sollicités pour entrer au gouvernement de la seconde République). Par ailleurs, elle jugeait nécessaire d’entretenir un climat révolutionnaire pour que la classe ouvrière ne se ramollisse pas pendant les rares périodes d’expansion économique et de plein emploi.

[37] Il considérait la CNT comme « le germe de la bureaucratie qui étoufferait l’instinct révolutionnaire spontané des masses ». Dans l’article de La Revista Blanca déjà cité, il déclarait qu’« il ne faut appuyer aucun Comité ou Junte, aussi révolutionnaires que soient les hommes qui les composent, parce qu’ils pourront être – et sont presque toujours – les fondements du nouveau pouvoir »

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Source: Les Giménologues 
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7 juin 2012 4 07 /06 /juin /2012 12:08

Un texte de 2005 en mémoire de ces engagements, de ces luttes, où s’engagèrent tant de “simples gens”, fils du peuple rural et ouvrier, mémoire qui ne peut que conforter nos prises de responsabilité au présent… Il n’est pas question bien sûr, au risque de stériliser la compréhension de ce présent, de se réfugier dans un passé mythifié, d’opposer l’héroïsme d’antan au prosaïsme du présent. Le présent, au quotidien, c’est par exemple la ténacité des derniers producteurs et entrepreneurs agricoles pour développer des modes de consommation de proximité, c’est sûr la défense et la promotion des services publics, indispensables à cette survie…

Point de départ : Pigerolles (Creuse), sur les hautes terres du plateau de Millevaches.

Gentioux. Quelques kms à l’Ouest, Gentioux (Creuse). 370 habitants. Sur la place, un monument aux morts, comme partout. Mais ici, pas de “Poilu” glorieux ou de Marianne Madelon. À côté de la stèle, un enfant en sarrau, un orphelin, lève son poing serré vers la terrible liste des 58 jeunes hommes tués en 1914-1918, pour accompagner l’inscription “Maudite soit la guerre”. Pacifisme et révolte contre cet injuste sacrifice des humbles… Malgré l’hostilité des autorités préfectorales, ce monument a été érigé en 1922, à l’initiative des anciens combattants, du Conseil Municipal et du Maire Jules Coutaud, “républicain avancé”, lui-même ancien combattant et victime des gaz asphyxiants. Ce refus de l’injustice et du nationalisme cocardier se prolonge vingt-cinq ans plus tard par le refus patriotique et combattant du fascisme, de l’occupant et de ses complices français. GMR pétaninistes, miliciens, SS ont ratissé le plateau : sur l’autre face du monument, après les noms des trois victimes de 1939-1940, ceux de trois maquisards.

Scène assez surréaliste : je rencontre à plusieurs reprises autour du monument les blindés des soldats en manœuvre autour du camp militaire de la Courtine, tout proche. (Le camp qui connut en 1917 l’insurrection bolchevick des soldats russes, brisée dans le sang).

La Villedieu. Quittons Gentioux. Toujours sur ces hautes terres limousines, à quelques kilomètres à l’Ouest, passé Faux-la-Montagne, voici la petite localité de La Villedieu (Creuse). Une plaque sur la place : “Place René Romanet, maire de la Villedieu de 1935 à 1958. Révoqué pour son action en faveur de la paix en Algérie ». Reportez vous au site < http://memoiravif.free.fr/partiedereve.htm >. Vous y lirez notamment le discours du maire Thierry Letellier, prononcé le 6 octobre 2001 à l’occasion de la pose de la plaque (la photo ci-contre figure sur le site) : un propos d’une grande pertinence et lucidité tant dans l’analyse de l’Événement de 1956 que dans celle de son rapport au présent : 1956 : le gouvernement socialiste de Guy Mollet a envoyé le contingent en Algérie. 7 mai : un convoi militaire monte vers le camp de la Courtine. Vers 19 h, un des véhicules s’arrête à La Villedieu : à son bord, des jeunes rappelés qui manifestent contre leur départ, contre la guerre. La population de la localité, maire en tête, les entoure et les soutiendra toute la nuit. D’autres manifestants arrivent des communes voisines. Le 8 au matin, le bourg est investi par C.R.S et gendarmes. Trois habitants sont arrêtés et emprisonnés : la maire communiste René Romanet, l’instituteur Gaston Fanton, militant communiste, instituteur à Faux La Montagne, et Antoine Meunier, invalide de guerre. René Romanet, dont la famille a dûrement souffert de la guerre de 14, a été “maçon de la Creuse” dans le Nord après 1918. Il revient travailler comme artisan charpentier à La Villedieu, dont il est élu maire en 1935. Pacifiste, antifasciste, acquis aux idéaux de la république démocratique et sociale, il milite pour un socialisme défenseur des humbles et libérateur. Il adhère au parti communiste pendant la guerre. Il constitue avec l’instituteur Fanton et d’autres résistants locaux le groupe F.T.P.F La Villedieu-Nedde, sous les ordres du colonel Guingouin. Douze ans après la Libération, fidèles à leurs engagements, ces hommes refusent que la France de la Résistance à l’oppression puisse être la France de l’oppression coloniale. Malgré une forte mobilisation populaire en leur faveur, Romanet et Fanton seront incarcérés huit mois au fort du Hâ à Bordeaux, avant d’être condamnés par la justice militaire à 3 ans de prison avec sursis et 5 ans de privation des droits civiques. Gaston Fanton fut également privé du droit d’exercer sa profession d’instituteur pendant 5 ans. Meunier sera condamné 1 an de prison avec sursis avec privation des droits civiques. Romanet sera révoqué de son mandat de maire par le Préfet en 1958. Les 5 et 6 octobre 2001, la Municipalité de Villedieu saluait la mémoire de Romanet et de ses camarades, et réclamait une fois de plus leur réhabilitation à des pouvoirs publics demeurés sourds depuis plus de quarante ans. À cette occasion naissait l’Association Mémoire à vif : <http://memoiravif.free.fr>. Les élèves de l’Atelier Cinéma du lycée Marcel-Pagnol de Limoges réalisaient un documentaire sur l’idée de leur professeur d’histoire, Danièle Restoin. Daniel Mermet popularisera l’événement de La Villedieu et soutiendra la lutte pour la réhabilitation, dans son émission de France Inter. En 2002, une plaque honorait la mémoire de l’instituteur Fanton.

Eymoutiers. Quelques kms encore à l’Ouest, la petite ville d’Eymoutiers (Haute-Vienne), au pied de cette montagne limousine. Arrêtons nous à l’entrée, dans le superbe espace Paul Rebeyrolle Centre d’Art. (Paul Rebeyrolle, enfant d’Eymoutiers, est un des plus grands peintres contemporains. Né en 1926, il est décédé en février 2005). Au cœur de l’Espace, voici l’immense, l’extraordinaire tableau “Le Cyclope, Hommage à Georges Guingouin”, (Guingouin dont le collège d’Eymoutiers porte le nom). Hommage polysémique, tellurique, qui noue l’engagement personnel et l’engagement collectif, le microcosme et l’universel. Le géant clairvoyant qui jaillit de son volcan utérus, ventre fécond et obscur de la Terre-mère, cratère où, comme dit l’hymne de la révolte et de la fraternité, “la raison tonne”, nait de la ruralité ancestrale, de la vertu populaire. Il n’est monstre effrayant que pour les es tièdes, les consensuels, les renonciateurs. Il incarne les fils du pays limousin, résistants, responsables, invincibles, qui vont piétiner les symboles du nazisme et du pétainisme, et au delà ceux de toutes les lâchetés, de toutes les ignominies, de toutes les barbaries. Baffe monumentale à tous ceux qui se couchent.

Le Mont Gargan. Avec un crochet de quelques kms au sud d’Eymoutiers, reprenons la route des hautes terres, Sur les horizons immenses du Mont Gargan (Haute-Vienne), un bloc dressé porte une inscription surmontée d’une cocarde tricolore : « Dans ce secteur du 18 au 24 juillet 1944 après le parachutage de conteneurs par les forteresses volantes alliées le 14 les francs tireurs et partisans du Colonel Guingouin se sont opposés aux unités allemandes du Général Otenbacher ... Les pertes allemandes furent de 342 tués et blessés et celles de la 1ère brigade FTP de 38 tués 34 blessés et 5 disparus ».

Au pied du mont, voici Saint Gilles-les-Fôrets (Haute-Vienne), où Guingouin était instituteur depuis 1935, et secrétaire du rayon communiste d’Eymoutiers comprenant les cantons de l’Est du département. Saint Gilles où Guingouin entra en résistance dès 1940 contre le régime de Pétain assassin de la République, et où il est revenu vivre à la retraite. Sur cette haute figure historique de la Résistance, que des attaques venues d’horizons fort divers, et hélas des siens, ont essayé de briser dans les années 1950, on pourra consulter un abondante bibliographie http://www.guingouin.com/Links.htm et un entretien http://www.cerclegramsci.org/rubs/entretien.htm

Linards. Remontons de quelques kilomètres vers le Nord-Ouest. Linards (Haute-Vienne), en proche pays d’Eymoutiers, dans le bocage qui s’étend jusqu’à Limoges. À l’entrée du bourg, passée la mairie, face au grand champ de foire - parking et prairie, à l’angle de la route qui s’en va dans la campagne, une modeste plaque : « Rue des Insurgés ». C’est ici que le 6 décembre 1851 un détachement de hussards attaqua un rassemblement de 150 insurgés, paysans, artisans, venus de Linards et des localités voisines. Linards était en effet une localité acquise dès 1848 aux idéaux de la République démocratique et sociale, et hostile au conservateur Parti de l’Ordre qui s’était accaparé la République. Le gouvernement avait destitué l’instituteur Patillaud et le maire démocrate, le notaire Faucher. À l’annonce du Coup d’État du 2 décembre, les républicains de Limoges appellent les démocrates de tout le terroir à se lever et marcher sur la ville bien tenue par l’armée. Mais la nouvelle de l’écrasement de la résistance parisienne les fait renoncer. Les démocrates de Linards, non prévenus du contre-ordre, sont rassemblés en armes le 6 en fin d’après-midi, quand les hussards les surprennent. La répression sera cruelle. On lira sur le site http://linards.ifrance.com/linards/ le compte-rendu de la belle journée commémorative du 1er mars 2002, où fut dévoilée cette plaque, à l’initiative des municipalités de Linards et de Châteauneuf-la-Fôret, de la Société Historique du canton de Châteauneuf. On y trouvera le texte des remarquables allocutions de Robert Fraisseix, maire de Linards, et de Claude Virole, conseiller général du canton de Châteauneuf-la-Forêt, qui lient les espérances démocrates de 1851 à celles de la Résistance à l’État français de Pétain, naufrageur de la République, puis à l’occupant nazi, résistance si active dans ces communes, et à celles du présent. « Vive la République laïque, sociale et démocratique », conclut R.Fraisseix. On y trouvera aussi le texte de l’allocution de Christian Palvadeau, historien, qui présente l’événement du 6 décembre 1851. (On pourra également consulter sur le site mentionné ci-dessus le n°5, 1998, de la Revue de la Société historique du canton de Châteauneuf-la-Forêt, où Jean Marion et Christian Palvadeau présentent une étude détaillée de la situation dans le canton sous la Seconde République et de l’insurrection du 6 décembre 1851.) La commémoration s’est poursuivie, devant une salle comble, par la projection au cinéma de Châteauneuf-la-Forêt du film de Christian Philibert Ils se levèrent pour la République (COPSI - FR3-Provence), film auquel notre Association 1851 a grandement contribué. MM Danthieux et Grandcoing, professeurs d’Histoire et animateurs de l’association Mémoire Ouvrière en Limousin, ont présenté le film et mené un débat avec les spectateurs.

En saluant les Insurgés de Linards, je pense aussi à ce soldat limougeaud, enfant de la Creuse, mort en combattant les insurgés varois à Aups, le 10 décembre 1851... Paysan fourvoyé par le Pouvoir contre d’autres paysans…

Limoges. Lue dans une des principales rues piétonnes, une plaque en l’honneur de Bugeaud, natif de Limoges. Reportons nous au Guide vert Limousin Berry, 1995 : “Le nom du maréchal Bugeaud (1784-1849) est lié à la conquête de l’Algérie et à la lutte victorieuse qu’il mena contre Abd-el-Kader ; sa bravoure et sa générosité lui acquirent un prestige immense auprès de ses soldats, mais aussi des indigènes”. Les victimes de la répression sauvage de Paris en 1834, des « enfumades » et des colonnes infernales en Algérie auraient certainement apprécié.

Mais en ce printemps 2005, Limoges commémore son “printemps rouge” de 1905. Expositions, théâtre, conférences, musique, débats, parcours thématique, films, publications à l’initiative de nombreuses associations (où l’on retrouve Mémoire à vif et l’atelier cinéma du lycée Marcel Pagnol), et avec le concours des collectivités locales.

Début avril 1905, une grève éclatait à la manufacture Haviland contre un contremaître accusé de vouloir exercer un "droit de cuissage" sur une ouvrière. Remarquable exemple de solidarité et d’aspiration à la dignité chez ces ouvriers de la porcelaine, très qualifiés, avides de connaissances et de culture, et combatifs : leurs luttes avaient arraché des avantages salariaux non négligeables. Pour briser la contagion de cette combativité, les patrons porcelainiers décident de fermer leurs usines. Le 14 avril, Limoges s’embrase dans un climat tendu où la colère ouvrière contre l’autoritarisme patronale se nourrit aussi d’antimilitarisme et d’anticléricalisme. Le 15 apparaissent les premières barricades apparurent, le 17 la foule des insurgés attaque la prison, la Troupe tire et abat un jeune porcelainier de 19 ans. Une foule immense assiste à ses obsèques le 19 avril.

La bibliographie est très abondante. On consultera avec profit une toute récente publication, qui met en valeur la complexité polysémque de cet événement paroxystique, à la fois aboutissement et acte fondateur : Vincent Brousse, Dominique Danthieux, Philippe Grandcoing, avec la collaboration des membres de l’Association Mémoire ouvrière en Limousin, 1905, le printemps rouge de Limoges,Culture & Patrimoine en Limousin, avril 2005. Préface du romancier Nicolas Bouchard, postface en occitan limousin de Jan dau Melhau.

Aux amis qui quitteraient Limoges sur la route de l’Ouest, je ne peux que conseiller la terrible visite d’Oradour sur Glane, et celle de la proche cité de Saint-Junien, baignée de combativité et de conscientisation ouvrière.

Pour mon compte, je suis remonté vers ces confins des Marches et du Berry, en ces limites indécises de la langue d’Oïl et de la langue d’Oc où j’ai situé le dénouement de mon roman Le couteau sur la langue. Ce n’était pas cette fois pour enquêter sur les parlers locaux, mais pour retrouver, de Gargilesse à Nohant, le souvenir de George Sand, et, vers Boussac, celui du grand initiateur Pierre Leroux, dont, comme Pauline Rolland, elle fut l’amie.

 

Source: Blog de René Merle

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8 mai 2012 2 08 /05 /mai /2012 11:06

Nous publions un article de camarades antifas de Lyon paru l'année dernière concernant les agissements nationalistes de la France en Algérie (source Rebellyon). La France faisait la leçon d'humanité à tous le monde et tout en se gargarisant légitimement de la fin du régime nazi elle procédait de la même manière que ce régime sur le sol algérien.

UPAC 


 

 

 

 

Le jour même où la France est libérée, elle réaffirme dans le sang sa domination coloniale en Algérie : 45.000 morts à Sétif, Guelma, Kherrata et dans tout le Constantinois...

Cet évènement tra­gi­que nous touche par­ti­cu­liè­re­ment à Lyon, car il y a un grand nombre de per­son­nes ori­gi­nai­res de Sétif parmi les habi­tants de Lyon.

Jour de liesse ? Fête de la libération ? Pas pour tout le monde...

Le 8 mai 1945 signi­fie la fin du nazisme. Il cor­res­pond aussi à l’un des moments les plus san­glants de l’his­toire natio­nale. La répres­sion colo­nia­liste venait d’y faire ses pre­miers accrocs face à une popu­la­tion farou­che­ment déter­mi­née à se pro­mou­voir aux nobles idéaux de paix et d’indé­pen­dance.

Faim, famine, chô­mage et misère sem­blaient résu­mer la condi­tion sociale de la popu­la­tion musul­mane algé­rienne colo­ni­sée par la France, popu­la­tion sur­tout agri­cole sou­vent dépla­cée car les colons s’étaient saisis des meilleu­res terres, et de plus dans une période de guerre, de séche­resse et de récol­tes déci­mées par les aca­ri­des. « Des hommes souf­frent de la faim et deman­dent la jus­tice... Leur faim est injuste. » écrivait Albert Camus début 1945 dans Combat.

Le 8 mai 1945 fut un mardi pas comme les autres en Algérie. Les gens mas­sa­crés ne l’étaient pas pour diver­sité d’avis, mais à cause d’un idéal. La liberté. Ailleurs, il fut célé­bré dans les inters­ti­ces de la capi­tu­la­tion de l’état-major alle­mand. La fin de la Seconde Guerre mon­diale, où pour­tant 150.000 Algériens s’étaient enga­gés dans l’armée aux côtés de de Gaulle. Ce fut la fin d’une guerre. Cela pour les Européens. Mais pour d’autres, en Algérie, à Sétif, Guelma, Kherrata, Constantine et un peu par­tout, ce fut la fête dans l’atro­cité d’une colo­ni­sa­tion et d’un impé­ria­lisme qui ne venait en ce 8 mai qu’annon­cer le plan de redres­se­ment des volon­tés farou­ches et éprises de ce saut liber­taire.

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Sétif
Fontaine Ain El Fouara
Sétif, mardi 8 mai 1945

Dès 8 heures du matin, une foule esti­mée aux envi­rons de 10.000 per­son­nes était ras­sem­blée devant la mos­quée de la gare. Puis elle enta­mait son élan rue des Etats-Unis pour se diri­ger vers le centre-ville, rue Georges Clémenceau... Pacifiques, dépi­tés et désar­més, les pai­si­bles mani­fes­tants scan­daient des slo­gans de paix et de liberté. « Indépendance », « Libérez Messali Hadj », « L’Algérie est à nous ». Ils s’étaient donnés pour consi­gne de faire sortir pour la pre­mière fois le dra­peau algé­rien. La riposte fut san­glante.

Pourtant, pro­fi­tant du jour du marché heb­do­ma­daire, ce 8 mai 1945, les orga­ni­sa­teurs avaient rap­pelé aux pay­sans venus des vil­la­ges de dépo­ser tout ce qui pou­vait être une arme (cou­teau, hâche, faux...). Derrière les dra­peaux des alliés, c’étaient les écoliers et les jeunes scouts qui étaient au pre­mier rang suivis des por­teurs de la gerbe de fleurs, et les mili­tants sui­vaient juste der­rière pour éviter tout débor­de­ment de la masse pay­sanne.

A la vue d’un dra­peau algé­rien vert et blanc, qui avait été déployé en cours de route, les poli­ciers avaient jailli du bar­rage et avaient atta­qué la foule pour s’empa­rer du dra­peau. Un mili­tant avait expli­qué que le dra­peau étant sacré, il est impos­si­ble de le remi­ser une fois sorti. Le maire socia­liste de la ville sup­plie de ne pas tirer. Mais c’est à ce moment que tout dérape quand un ins­pec­teur tire, tue celui qui por­tait ce dra­peau à ce moment-là et deux coups de feu en sou­tien de la part d’Européens par­tent du café de France. Dans la pani­que pro­vo­quée par les pre­miers coups de feu, à d’autres fenê­tres des Européens tirent à leur tour sur la foule.

« On a tiré sur un jeune scout » ! Ce jeune « scout » fut le pre­mier martyr de ces inci­dents : Saâl Bouzid, 22 ans, venait par son souf­fle d’indi­quer sur la voie du sacri­fice la voie de la liberté. K. Z., âgé alors de 16 ans, affirme non sans amer­tume à ce propos : « Il gisait mou­rant par-devant le ter­rain qui sert actuel­le­ment d’assiette fon­cière au siège de la wilaya. Nous l’avons trans­porté jusqu’au doc­teur Mostefaï... et puis... » L’ émotion l’étouffe et l’empê­che de conti­nuer...

Bien que la pani­que ait gagné l’ensem­ble des mani­fes­tants, un mili­tant avait sonné le clai­ron pour que la gerbe de fleurs soit dépo­sée. Cela se pas­sait à 10 heures du matin. Le car de la gen­dar­me­rie ayant eu du retard était arrivé en fon­çant en direc­tion des mani­fes­tants fau­chant les pré­sents.

Surgit alors la pré­pa­ra­tion du mas­sa­cre des Algériens. Une milice d’Européens est formée à qui on donne des armes ; l’armée, la police et la gen­dar­me­rie sont déployées... C’est une véri­ta­ble chasse à toutes per­son­nes musul­ma­nes.

Le 9 mai, à Sétif, ce sont 35 Algériens qui ont été abat­tus parce qu’ils ne savaient pas qu’un couvre feu avait été établi. Le rap­port du com­mis­saire divi­sion­naire, M. Bergé, expli­quait que chaque mou­ve­ment jugé sus­pect pro­vo­quait le tir : « les musul­mans ne peu­vent cir­cu­ler sauf s’ils por­tent un bras­sard blanc déli­vré par les auto­ri­tés et jus­ti­fi­ca­tions d’un emploi dans un ser­vice public. »

Guelma, mardi 8 mai 1945

A Guelma, à 16 heures, un ras­sem­ble­ment s’était orga­nisé hors de la ville. Les mili­tants des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML) atten­daient, en fait, les ins­truc­tions venant de Annaba. A 17 heures le cor­tège s’était ébranlé avec les pan­car­tes célé­brant la vic­toire des alliés ainsi que leurs dra­peaux entou­rant un dra­peau algé­rien. Arrivé à l’actuelle rue du 8 mai, le cor­tège avait été arrêté par le sous préfet Achiary. Il ne res­tait plus que 500 mètres pour attein­dre le monu­ment aux morts.

Le sous préfet, Achiary - futur chef de l’OAS créé à Madrid en 1961 -, hors de lui avait intimé l’ordre de jeter les pan­car­tes, dra­peaux et ban­de­ro­les. Un socia­liste nommé Fauqueux avait râlé auprès du sous préfet : « Monsieur le sous préfet est ce qu’il y a ici la France ou pas ? ». C’est alors, comme un coup de fouet, Achiary saisit le revol­ver dont il s’est armé, entre dans la foule droit sur le porte dra­peau et tire. Son escorte ouvre le feu sur le cor­tège qui s’enfuit, décou­vrant dans son reflux le corps du jeune Boumaza. A Guelma ce jour-là il y a déjà 4 Algériens tués, mais aucun Européen.

Le 9 mai, à Guelma, la milice diri­gée par Achiary avait tenu sa pre­mière séance au cours de laquelle l’adjoint Garrivet pro­po­sait : « Nous allons étudier la liste des per­son­nes à juger. Commençons par nos anciens élèves ». Une per­qui­si­tion au local des AML a permis de saisir les listes nomi­na­ti­ves des res­pon­sa­bles et mili­tants, tous consi­dé­rés comme sus­pects, qui seront incar­cé­rés, sou­vent tor­tu­rés, et exé­cu­tés par four­nées entiè­res.

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Arrestations de civils menés vers leur propre exécution avant de finir brûlés dans des fours à chaux de Guelma
Kherrata, mardi 8 mai 1945

C’est aussi mardi jour de marché, et il n’y a pas de défilé prévu pour la fin de la deuxième guerre mon­diale, ce 8 mai, dans ce gros vil­lage tran­quille, situé au pied d’une chaîne mon­ta­gneuse, à quel­ques dizai­nes de kilo­mè­tres de la Méditerranée. En fin de mati­née on y apprend les tue­ries poli­ciè­res de Sétif. Les nou­vel­les se répan­dent vite parmi la popu­la­tion de Kherrata. Les Européens pren­nent peur, l’admi­nis­tra­teur colo­nial leur dis­tri­bue des armes et ils se plan­quent dans une for­te­resse. Tandis qu’on donne l’ordre au crieur public d’annon­cer le couvre-feu, celui-ci au contraire par­court tous les vil­la­ges à l’entour en appe­lant la popu­la­tion musul­mane à se ras­sem­bler à Kherrata.

Ce sont 10.000 per­son­nes qui vont arri­ver durant la nuit à Kherrata. Dès l’aube du 9 mai, une grande agi­ta­tion règne au centre de Kherrata grouillant de monde. Les Musulmans sachant que les Européens étaient armés, et prêts à les tuer, se sont ras­sem­blés pour envi­sa­ger com­ment se défen­dre. Certains ont coupé les lignes télé­pho­ni­ques, et d’autres ont cher­ché des armes au tri­bu­nal et dans trois mai­sons, qui furent incen­diées. L’admi­nis­tra­teur colo­nial et le juge de paix furent tués. Les 500 Européens qui étaient dans la for­te­resse tirè­rent alors sur la foule déchaî­née qui tra­ver­sait le vil­lage avec des dra­peaux algé­riens, tandis qu’on enten­dait les « you-you » des femmes.

Même s’ils avaient une grande cons­cience révo­lu­tion­naire, beau­coup parmi les insur­gés algé­riens ne savaient pas quoi faire. Pour savoir com­ment réagir, ils se sont alors ras­sem­blés dans la mon­ta­gne à Bouhoukal, mais l’armée fran­çaise était déjà en marche. Le peu de monde qui avait des fusils se mit en grou­pes dans les gorges et à l’entrée de Kherrata pour retar­der l’arri­vée des gen­dar­mes et des trou­pes. Mais dans cette révolte, qui allait vite être étouffée par l’armée, il n’y eu en tout et pour tout sur ce sec­teur que 10 morts et 4 bles­sés parmi les mili­tai­res et les Européens.

Vers midi, les auto­mi­trailleu­ses de l’armée fran­çaise se met­tent à tirer de loin sur les popu­la­tions de Kherrata et des vil­la­ges avoi­si­nants, suivi de près par les tirs impres­sion­nants du bateau-croi­seur Duguay-Trouin sur les crêtes des monts de Babor, et l’après-midi c’est l’avia­tion qui bom­bar­dait les envi­rons. Bombardements, tirs nour­ris et fusilla­des firent que plu­sieurs mil­liers d’Algériens furent mas­sa­crés. Vers 10 heures du soir, la légion étrangère fran­chis­sait les gorges et arri­vait au vil­lage com­plè­te­ment vidé de ses habi­tants musul­mans.

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Propagande coloniale - (à la mode Tartarin de Tarascon) : on distribue des armes sans munitions aux civils pour un besoin de propagande : « les insurgés déposent les armes ». Ils feront TOUS partie des victimes assassinées, jetées vivantes du haut de la falaise de Kherrata (voir les gorges de Kherrata au fond de la photo) et enfin ramassées et brulées dans des fours à chaux.
Un des plus atroces massacres coloniaux de la part de la France

Suite aux assas­si­nats d’Algériens à Sétif et à Guelma, des grou­pes d’indi­gè­nes avaient, dans leur repli, riposté en tuant des Européens. [1] S’en suit une répres­sion extrê­me­ment vio­lente dans les rues et les quar­tiers de ces deux villes impor­tan­tes, alors que la presse fran­çaise parle abu­si­ve­ment de ter­ro­risme algé­rien. Pendant une semaine, l’armée fran­çaise, ren­for­cée par des avions et des chars, se déchaîne sur les popu­la­tions de la région et tue sans dis­tinc­tion. À la colère légi­time des Algériens, la réponse du gou­ver­ne­ment fran­çais, dans lequel se trouve, mais oui, le PS et le PC, aux côtés de de Gaulle, ne s’est, en tout cas, pas fait atten­dre en mobi­li­sant toutes les forces de police, de gen­dar­me­rie, de l’armée, en envoyant des ren­forts de CRS et de par­chut­tis­tes, et même en recru­tant des mili­ciens, qui ne se gênent pas de fusiller des Algériens de tous âges et sans défense.

De Sétif, la répres­sion san­glante s’est géné­ra­li­sée. Elle allait tou­cher tout le pays durant tout le mois de mai. L’Algérie s’embra­sait sous les feux brû­lants du prin­temps 1945. Le géné­ral Weiss, chef de la cin­quième région aérienne, avait ordonné le 13 mai le bom­bar­de­ment de tous ras­sem­ble­ments des indi­gè­nes sur les routes et à proxi­mité des vil­la­ges.

Kateb Yacine, écrivain algé­rien, alors lycéen à Sétif, écrit : « C’est en 1945 que mon huma­ni­ta­risme fut confronté pour la pre­mière fois au plus atroce des spec­ta­cles. J’avais vingt ans. Le choc que je res­sen­tis devant l’impi­toya­ble bou­che­rie qui pro­vo­qua la mort de plu­sieurs mil­liers de musul­mans, je ne l’ai jamais oublié. Là se cimente mon natio­na­lisme. » 
« Je témoi­gne que la mani­fes­ta­tion du 8 mai était paci­fi­que. En orga­ni­sant une mani­fes­ta­tion qui se vou­lait paci­fi­que, on a été pris par sur­prise. Les diri­geants n’avaient pas prévu de réac­tions. Cela s’est ter­miné par des dizai­nes de mil­liers de vic­ti­mes. À Guelma, ma mère a perdu la mémoire... On voyait des cada­vres par­tout, dans toutes les rues. La répres­sion était aveu­gle ; c’était un grand mas­sa­cre. »

Dans les loca­li­tés envi­ron­nan­tes à Sétif, Ras El Ma, Beni Azziz, El Eulma, des douars entiers furent déci­més, des vil­la­ges incen­diés, des dechras et des famil­les furent brû­lées vives. On raconte le mar­tyre de la famille Kacem. Korrichi, son fils Mohamed et son frère Nouari furent tor­tu­rés et tués à bout por­tant... Les légion­nai­res pre­naient les nour­ris­sons par les pieds, les fai­saient tour­noyer et les jetaient contre les parois de pierre où leurs chairs s’éparpillaient sur les rochers...

L’armée fran­çaise avait pla­ni­fié l’exter­mi­na­tion de mil­liers d’Algériens. Pour mettre à exé­cu­tion leur des­sein les sol­dats fran­çais avaient pro­cédé au regrou­pe­ment de toutes les popu­la­tions avoi­si­nant les côtes-est de Béjaïa à Bordj Mira en pas­sant par Darguina, Souk El-Tenine et Aokas. Toutes les popu­la­tions de ces régions étaient for­cées de se regrou­per sur les plages de Melbou. L’occu­pant n’avait en tête que la liqui­da­tion phy­si­que de tout ce beau monde. Des sol­dats armés fai­saient le porte-à-porte à tra­vers la ville de Sétif et cer­tai­nes régions envi­ron­nan­tes, et obli­geaient hommes, femmes et enfants à sortir pour monter dans des camions.

Dès lors, des camions de type GMC conti­nuaient à char­ger toute per­sonne qui se trou­vait sur leur pas­sage. Le convoi pre­nait la direc­tion de Kherrata. Les habi­tants de cette autre ville his­to­ri­que n’allaient pas échapper à l’embar­que­ment qui les menait avec leurs autres conci­toyens de Sétif, vers le camion de la mort. Les mil­liers d’Algériens furent déchar­gés depuis les bennes des camions au fond des gorges de Kherrata. L’hor­reur n’était pas ter­mi­née pour ces pau­vres « bou­gnouls » comme aimaient les sur­nom­mer les colons fran­çais. Des héli­co­ptè­res dénom­més « Bananes » sur­vo­laient les lieux du mas­sa­cre pour ache­ver les bles­sés. Une véri­ta­ble bou­che­rie humaine allait per­met­tre, plus tard, aux oiseaux cha­ro­gnards d’inves­tir les lieux.

Avec la venue de l’été, la cha­leur monte... et l’odeur de la mort. Vers Guelma, faute de les avoir tous enter­rés assez pro­fond ou brûlés, trop de cada­vres ont été jetés dans un fossé, à peine recou­verts d’une pel­le­tée de terre. Les débris humains sont trans­por­tés par camion. Le trans­port est effec­tué avec l’aide de la gen­dar­me­rie de Guelma pen­dant la nuit. C’est ainsi que les restes des 500 musul­mans ont été amenés au lieu dit « fon­taine chaude » et brûlés dans un four à chaux avec des bran­ches d’oli­viers.

Alors que l’on sait que ce sont en tout 102 Européens ou mili­tai­res qui ont été tués, et 110 bles­sés, à ce moment-là, en riposte aux tue­ries des auto­ri­tés fran­çai­ses, malgré un minu­tieux tra­vail de recher­ches, il est aujourd’hui abso­lu­ment impos­si­ble de savoir le nombre exact d’assas­si­nats per­pé­trés par la France parmi les Algériens. Tout a été fait pour que cet énorme mas­sa­cre soit le plus pos­si­ble dis­si­mulé à l’opi­nion publi­que. On peut esti­mer cepen­dant qu’il y a eu à ce moment-là plu­sieurs dizai­nes de mil­liers de bles­sés algé­riens, pas loin de cent mille. Selon l’armée amé­ri­caine cet énorme mas­sa­cre de la France de de Gaulle, par l’armée fran­çaise, la police et les mili­ciens, aurait fait 45.000 morts. C’est le chif­fre, qui peut sem­bler peut-être vrai­sem­bla­ble, retenu offi­ciel­le­ment désor­mais par les Algériens.

Dans la mati­née du fati­di­que 8 mai, en guise de riposte à cette mani­fes­ta­tion paci­fi­que, la police ouvrit le feu... Plusieurs d’entre acteurs et témoins encore en vie sont ainsi soumis à la souf­france du sou­ve­nir et le devoir de dire ce qu’ils ont vécu, vu, entendu dire et se dire. Ils crai­gnent pour la pos­té­rité, l’amné­sie.

Parler à Sétif du 8 mai 1945 rend obli­ga­toire la cita­tion de noms-phares : Abdelkader Yalla, Lakhdar Taârabit, Laouamen dit Baâyou, Bouguessa Askouri, Gharzouli, Rabah Harbouche, Saâd Saâdna, Miloud Begag, Saâdi Bouras, Benattia, le Dr Hanous, le Dr Saâdane, Bachir Ibrahimi, et beau­coup d’autres que seul un tra­vail sérieux ins­ti­tu­tion­nel pour­rait les lister et en faire un fron­ton mémo­rial.

Le 8 mai 1945, un des plus atro­ces mas­sa­cres colo­niaux est per­pé­tré par cette France fraî­che­ment libé­rée. Et, à Sétif en Algérie, où est orga­ni­sée une mani­fes­ta­tion paci­fi­que indé­pen­dan­tiste par les mili­tants du PPA (Parti Populaire Algérien), le gou­ver­ne­ment fran­çais envoie l’armée, sous le com­man­de­ment du géné­ral Duval. Dans une répres­sion vio­lente contre la popu­la­tion civile, des navi­res de guerre tirent et l’avia­tion bom­barde la popu­la­tion de Sétif. 10.000 sol­dats sont enga­gés dans une véri­ta­ble opé­ra­tion mili­taire. Ils sont issus de la Légion étrangère, des tabors maro­cains, des tirailleurs séné­ga­lais et algé­riens. En outre, des mili­ces se for­ment sous l’œil bien­veillant des auto­ri­tés, et se livrent à une véri­ta­ble chasse aux émeutiers. Le géné­ral Duval déclare que « Les trou­pes ont pu tuer 500 à 600 indi­gè­nes. » Le nombre de vic­ti­mes est aujourd’hui estimé à au moins 30.000 morts.

Le drame est passé ina­perçu dans l’opi­nion métro­po­li­taine. Le quo­ti­dien com­mu­niste L’Humanité assure alors que les émeutiers étaient des sym­pa­thi­sants nazis ! Il faudra atten­dre le 27 février 2005 pour que, lors d’une visite à Sétif, M. Hubert Colin de Verdière, Ambassadeur de France à Alger, qua­li­fie les « mas­sa­cres du 8 mai 1945 de tra­gé­die inex­cu­sa­ble. » Cet évènement cons­ti­tue la pre­mière reconnais­sance offi­cielle de sa res­pon­sa­bi­lité par la République fran­çaise.

Pourtant, en ce jour de com­mé­mo­ra­tion de la liberté, de la fin du joug nazi, pas un mot ne sera dit sur ce mas­sa­cre de la France colo­niale. Rappellons qu’il en est d’autres (Madagascar 1947, Paris le 17 octo­bre 1961, Alger le 26 mars 1962...). Cette France qui fait tein­ter ses médailles aujourd’hui, à coup de célé­bra­tions idéo­lo­gi­ques, conti­nue de pra­ti­quer le déni his­to­ri­que sur ses pro­pres crimes.

Aujourd’hui seront rapel­lés la bar­ba­rie nazie et les crimes de Vichy. 
Aujourd’hui seront oubliés les crimes colo­niaux, ou encore le fait que les der­niers camps de concen­tra­tion en France pour Tziganes n’ont fermé qu’en 1946, que Papon n’a jamais été inquiété pour les crimes qu’il a commis en tant que préfet de la Ve République, la nôtre.

Les crimes commis par la France sont struc­tu­rels. Non Nicolas, cette France-là nous ne l’aimons pas.

D i s s i d e n c e . f r

P.-S.

Sources :

- livre de Boucif Mekhaled « Chroniques d’un massacre 8 mai 1945 Sétif Guelma Kherrata » (1995, Syros, au nom de la mémoire)

- site Setif info (Ce site a recopié un article du journal El Watan dont les informations ne sont plus archivées).

- et quelques témoignages qui se recoupent de Lyonnais originaires de Sétif.

Notes

[1] Parmi la population européenne d’Algérie certains disent a contrario que ce massacre abominable d’Algériens “faisait suite à l’assassinat d’une centaine d’Européens par des indépendantistes”. Qui croire ? Il semble que ce soit vraiment l’inverse, et que ce soit la plupart du temps par défense ou par riposte que des Européens ont été blessés ou tués. En tout cas, tout ce pan de notre histoire a été méticuleusement occulté par la France et l’armée française qui a tout fait pour détruire toutes preuves et empêcher qu’une réelle enquête puisse être ordonnée... Cependant, même si les traumatismes sont encore bien présents, il nous reste suffisamment de témoignages sérieux.

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9 avril 2012 1 09 /04 /avril /2012 17:57
Avec l’arrivée le 3 juillet 1962 à Alger du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), l’Algérie proclame enfin son indépendance, après huit années d’une guerre ayant fait plusieurs centaines de milliers de victimes. La promesse du développement économique du pays s’inscrivait alors dans le paysage international d’un «tiers-monde» inauguré avec la conférence des pays non-alignés de Bandung en 1955. Les supporters français d’un socialisme à visage humain, les «pieds-rouges», y allèrent par milliers, désireux de mettre en chantier l’utopie réparatrice des torts coloniaux. Au risque naïf que l’espoir tiers-mondiste ne s’étiole dans les calculs égoïstes de la realpolitik de l’État-FLN.

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L’Algérie est en 1962 un pays majoritairement rural dont la paysannerie a été profondément déstructurée par les besoins de l’économie coloniale [1].

Bouleversé par plus d’un siècle d’oppression coloniale, le peuple algérien souffre d’une « dépaysannisation » et d’une « bidonvillisation » aux conséquences sociales dévastatrices : 40% d’une population comptant alors dix millions de personnes vit dans la misère, deux millions sont au chômage, et seulement 10% des enfants sont scolarisés. C’est que l’économie du pays a longtemps reposé sur l’exportation massive de produits agricoles à destination de la métropole coloniale. Sur le plan politique, de nombreuses divisions pèsent sur le nouveau destin national des Algériens et Algériennes angoissé-e-s par le spectre de la guerre civile. Les tensions sont effectivement grandes entre les maquisards de l’intérieur, l’armée régulière de l’extérieur (ALN) dirigée par le colonel Boumediene et la fédération française du FLN. Elles sont même exacerbées avec la liquidation des supplétifs musulmans (les « harkis ») ralliés à la cause de la France et le départ massif des « pieds-noirs » (4 Français et Françaises sur 5, soit 700 000 personnes) lors de l’été 1962. Sans compter les rivalités sanglantes entre le FLN et le GPRA qui s’intensifient avec la révocation par le GPRA du chef de l’ALN devenue Armée Nationale Populaire (ALP) [2].

Entre l’assemblée constituante du 20 septembre 1962 et l’instauration d’un régime de parti unique le 8 septembre 1963 au bénéfice de la tendance incarnée par Ben Bella, l’interdiction du parti communiste algérien et le massacre des harkis affirment une volonté d’épuration et d’encadrement drastique et monolithique du pays. Malgré tout, le FLN jouit d’une légitimité populaire qui, gagnée sur le terrain militaire, fait aussi de l’armée un rouage essentiel de son pouvoir. Comme elle ne relève pas d’un processus électoral démocratique, cette légitimité se déclinera alors sur le mode politique de la « révolution démocratique et populaire ». Redistribution gratuite des terres et création de coopératives sur adhésion libre, nationalisation du crédit et du commerce extérieur et industrialisation subordonnée au développement agricole sont en 1963 les objectifs d’un pouvoir alors influencé par le titisme. Le caractère socialiste, voire autogestionnaire, des mesures annoncées ne pouvait pas ne pas séduire bon nombre d’anticolonialistes français qui voulaient faire de l’Algérie libre le terrain expérimental d’un socialisme authentique, car distingué du « socialisme réellement existant » du bloc soviétique.

«Alger, c’était La Havane!»

Qui sont « les amis de l’Algérie nouvelle » ? Qui sont les « pieds-rouges », ces « pieds-noirs à l’envers » dont l’histoire a quelque peu disparu avec le reflux du marxisme durant les années 1980, et que l’on confond souvent avec les fonctionnaires coopérants ? Ils et elles étaient quelques milliers, insoumis et chrétiens, communistes de tout acabit, « pablistes » [3] et libertaires entrés dans la clandestinité, qui travaillaient dans les usines marocaines d’armement du FLN ou portaient les valises en métropole dans le réseau de Francis Jeanson aux côtés d’Henri Curiel, qui avaient déserté l’armée française, fuyaient la police ou l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), et avaient émigré à Tunis au siège du GPRA. Ce sont aussi des universitaires comme l’ethnologue Jeanne Favret-Saada et la sociologue Catherine Lévy, des journalistes comme Henri Alleg, Maurice T. Maschino ou Arnaud Spire, des cinéastes comme Marceline Loridan-Ivens, Sarah Maldoror et René Vautier, des militants et militantes comme Eugénie Dubreuil de la Fédération anarchiste ou Jean Carbonare de la Cimade, ou encore le photographe Elie Kagan, célèbre pour ses photographies des massacres de la nuit noire du 17 octobre 1961 [4].

La malnutrition et la tuberculose frappent les habitants et les habitantes des campagnes qui manquent de personnels soignants. Comme fait défaut un personnel enseignant dans les bleds perdus du massif de l’Atlas. Puisque les hôpitaux publics sont désertés par les médecins français ou plastiqués par l’OAS, les cliniques privées sont privatisées, à l’instar des cliniques de Verdun, Albert de Mun. A la clinique de l’Hermitage s’installent plusieurs officiantes et officiants, dont la psychiatre Anne Leduc, amie de Frantz Fanon, le médecin martiniquais qui avait combattu avec le FLN jusqu’à son décès en décembre 1961 [5]. Les rejoignent dans un babélisme joyeux des médecins originaires d’URSS, de Chine, d’Egypte et de Cuba dans le cadre d’accords de coopération. Le service œcuménique d’entraide caritative proposée par la Cimade, présente en Algérie dès 1957 sur le front des camps de regroupement de la population, propose des militants qui participent, aux côtés d’autres venant de l’UNEF, à la création de centres de formation médicale et d’« accoucheuses rurales ». Toutes et tous œuvrent donc à « faire la soudure », en évitant de tomber dans les crocs d’une armée française revancharde et encore présente sur le territoire (notamment dans le Sahara, puisque son retrait prévu par les accords d’Évian n’est que graduel).

Le désenchantement des pieds-rouges

A cette époque, Alger est l’une des plaques tournantes du tiers-mondisme, accueillant les militants et militantes d’Afrique et d’Amérique latine qui rêvent d’un nouveau socialisme théorisé dans les pages de la revue prochinoise Révolution africaine entre autres animée par le jeune avocat Jacques Vergès. Pour autant, la voie consensuelle d’un nationalisme frotté de culture arabo-musulmane s’insinue toujours davantage dans les parages de l’utopie autogestionnaire. Et les « gaouris » travaillant dans ces organes de presse que sont El Moudjahid et Alger républicain ne sont pas vraiment autorisés à en critiquer les orientations et les réalisations. Ainsi du code de la nationalité, adopté en mars 1963 et intégré à la constitution de la nouvelle république approuvée par référendum en septembre. Son article 34, en prévoyant que «Le mot Algérien en matière de nationalité d’origine s’entend de toute personne dont au moins deux ascendants en ligne paternelle sont nés en Algérie et y jouissaient du statut musulman», exclut de fait les pieds-rouges qui travaillent pourtant d’arrache-pied à la reconstruction du pays. Le sabotage en janvier 1963 du premier congrès de l’Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA), seul syndicat autorisé par le FLN depuis l’indépendance mais à condition pour lui d’en encadrer le déroulement et d’en caporaliser le fonctionnement, est un autre indice manifestant la volonté autoritaire du pouvoir en place. Quelques articles confidentiels de Jean-François Lyotard pour la revue Socialisme et barbarie ou du groupuscule trotskyste Driss [6] ont analysé avec une rare lucidité les contradictions d’un pouvoir gonflé d’une phraséologie socialisante, alors que sa brutalité entretient l’apolitisme d’une population qui craint la répression. Malgré la belle manifestation de plusieurs milliers de femmes à l’appel de l’Union Nationale des Femmes Algériennes (UNFA) lors du 8 mars 1965 devenue depuis « journée officielle de la femme », le démantèlement du maquis d’inspiration guévariste de Dra-El-Mizan (Kabylie) en août 1963 précipite le début d’un désenchantement renforcé par le coup d’Etat de Boumediene le 19 juin 1965. Ce putsch est symboliquement encadré, d’abord par l’exil en 1964 d’un fondateur historique du FLN, Mohamed Boudiaf, condamné à mort par Ben Bella pour avoir lancé le Parti de la Révolution Socialiste (PRS), puis par l’évasion de la prison d’El Harrach le 1er mai 1966 de Hocine Aït-Ahmed, un autre fondateur du FLN ayant également participé à la création du PRS.

Le cinéma comme résistance

«C’est l’Etat-armée sous Houari Boumediene qui tient véritablement le parti FLN, et non le parti unique qui tient l’Etat» affirme avec raison Benjamin Stora [7]. Et c’est l’Etat-armée qui durcit à la fois sa politique de subordination de la société structurée en communes, wilayas et entreprises, sa volonté de chasser les «benbellistes» (les partisans de Ben Bella emprisonné jusqu’en 1979 et libéré en 1980), et son désir de «pacification» d’une Kabylie où le Front des Forces Socialistes (FFS) combat notamment le nationalisme arabo-musulman prôné par le pouvoir. Quel terrain peut-il alors rester à des pieds-rouges qui suscitent toujours plus la méfiance d’un Etat qui substitue progressivement au rêve autogestionnaire la réalité brutale d’un centralisme bureaucratique? Réalité qui peut prendre la forme, du point de vue de la police algérienne formée par la police française, de la torture destinée à tout ce qui peut ressembler de loin ou de près à une opposition, comme l’Organisation de Résistance populaire (ORP) créée à Alger par des membres du FLN en lutte contre le « fascisme » du « gang du 19 juin ». Le cinéma représente alors un domaine d’invention et de liberté où tout reste encore à faire. 1962 est l’année du tournage du premier film de fiction algérien (Une si jeune paix de Jacques Charby), et du montage du premier film documentaire (Algérie, année zéro de Marceline Loridan, Jean-Pierre Sergent et Jean-Pierre Mirouze). En 1964, la Cinémathèque d’Alger avec Jean-Michel Arnold accueille une faune bigarrée, pendant que les «ciné-pop» de René Vautier (qui a été torturé dans une prison tunisienne du FLN en 1958) sillonnent les zones rurales et reculées sur le modèle des ciné-bus de l’époque coloniale. En 1966, le Lion d’or au Festival de Venise de 1966 attribué à La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo est interdit en France. La même année, Michel Favart, chargé de cours à l’institut du cinéma algérien, dirige la seule promotion d’étudiants et d’étudiantes d’où est sortit le réalisateur Merzak Allouache.

Au mois de juillet 1969, comme une sorte d’apothéose filmée par William Klein, le Festival Panafricain d’Alger (ou Panaf) accueille au son déstructuré du saxophone free d’Archie Shepp 4 000 artistes qui dynamisent la capitale, dont une délégation des Black Panthers incluant Eldridge Cleaver, et arrivés sur place via La Havane. Mais Alger n’est à ce moment-là plus considérée comme La Havane de l’Afrique. La fête tiers-mondiste est terminée, malgré la nationalisation des hydrocarbures en 1971 qui a fait dire à certains que Boumediene avait réussi là où Mohammad Mossadegh avait échoué en Iran vingt ans plus tôt. Malgré une décennie marquée par une euphorie militante et créatrice de mélanges arrachés au dogmatisme d’un Etat-FLN, ce dernier ne sait vraiment plus que faire de ces « socialistes en peau de lapin ». Et il va bientôt leur préférer l’apolitisme des coopérants missionnés par l’Etat français. Les premiers départs sont actés à partir de l’été 1965, et le retour difficile de bon nombre de pieds-rouges (l’Etat français veut juger certains insoumis) s’effectue dans l’absence d’un bilan collectif des expériences menées. Comme un triste prélude, malgré Mai 1968, à la fin du feu d’artifice tiers-mondiste et au reflux de l’idée communiste. Leur héritage, redécouvert durant les années 2000, est un moment privilégié pour faire de l’histoire des vaincus une contre-histoire du possible et de l’utopie à opposer au récit réactionnaire des vainqueurs, en France comme en Algérie.

Franz Biberkopf (AL 93)


[1] Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, Le Déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, éd. Minuit, 1964.

[2] Ce chapitre doit beaucoup à l’ouvrage de Benjamin Stora, Histoire de l’Algérie depuis l’indépendance. tome 1 : 1962-1988, éd. La découverte/Repères, 2004.

[3] Toutes les citations de cette partie sont extraites d’entretiens menés avec plus de 70 personnes ayant vécu les événements, et collectées dans l’ouvrage de Catherine Simon, Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de l’indépendance au désenchantement (192-1969), éd. La Découverte/Cahiers libres, 2009.

[4] Voir « Il y a cinquante ans : l’Etat français noie la protestation populaire dans le sang » in Alternative libertaire, n°210, octobre 2011.

[5] Elle est l’auteure de deux beaux textes autobiographiques publiés par les éditions Bouchene : Les Raisins rouges d’Algérie (sous le pseudonyme d’Anna Berbera) en 2000 et Le Chant du lendemain. Alger 1962-1969 en 2004.

[6] Voir Sylvain Patthieu, Les Camarades des frères, trotskystes et libertaires dans la guerre d’Algérie, éd. Syllepse, 2002.

[7] Le constat avait en son temps déjà été dressé par Daniel Guérin : « Un Etat dans l’Etat : l’armée » in Combat, n°25 janvier 1964, et L’Algérie caporalisée ?, éd. Présence africaine, 1965.

 

Source: Anarkismo.net

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6 avril 2012 5 06 /04 /avril /2012 15:26

La Fête de l'Humanité a dédié l'une de ses avenues à Lise London

  - le 1 Avril 2012

 

En hommage à Lise London, décédée ce week-end, nous republions ici son portrait issu de notre hors-série Figures de la résistance.

Fille d'une famille espagnole venue en France au début du XXe siècle à la recherche de travail, ancienne des Brigades internationales, capitaine dans la Résistance, déportée, Lise London, née Élisabeth Ricol, est une femme rebelle et combative depuis son plus jeune âge.

Lise London est un personnage d'exception, d'une intelligence pétillante avec un parcours plein, fait de drames et de joies, de courage et d'amour, de partage et de lucidité. Elle répète souvent à ses plus jeunes visiteurs: «Ouvrez grands les yeux, ne vous laissez pas enfermer dans les certitudes, n'hésitez pas à douter, battez-vous contre les injustices, ne laissez pas la perversion salir les idéaux communistes. Soyez vous-mêmes.»

Ou cliquez ici

Combattante, elle l'a été depuis son enfance. D'abord à Saint-Étienne où elle vend en cachette de ses parents des cacahuètes grillées pour aider à faire bouillir la marmite familiale, puis à Vénissieux où elle étudie la sténodactylographie et s'engage dans l'action communiste. Secrétaire aux usines Berliet, puis au comité lyonnais du PCF, elle croise Waldeck Rochet et engage une forte amitié avec Jeannette Wermeersch, la future compagne de Maurice Thorez qui disait, comme un signe prémonitoire pour Lise: «Il est difficile de rompre les amarres d'un couple quand on a rien à reprocher à son partenaire si ce n'est de ne plus l'aimer d'amour.»

Elle résiste à la bêtise bureaucratique

Elle est envoyée par le PCF à Moscou en 1934 au siège du Kominterm où elle rencontre pour la première fois Dolorès Ibarruri, la future Pasionaria, qui deviendra secrétaire générale du Parti communiste espagnol en 1942, puis présidente en 1960. Elle a dix-huit ans et s'étonne déjà des «purges», d'un référendum à main levée contre le droit à l'avortement. Elle résiste à la bêtise bureaucratique et sera blâmée.

Lise, c'est l'histoire d'un amour. À Moscou, elle rencontre Artur London, militant du Parti communiste tchécoslovaque. Au self-service du Kominterm, «j'ai aperçu un jeune homme, grand et beau, planté au milieu de la salle, comme pétrifié. Il me fixait intensément sans s'apercevoir que la tasse de thé qu'il tenait à la main dégoulinait le long de son poignet.» Ils décident de vivre ensemble en 1935. Lise rentre seule en France au début de l'été 1936, travaille comme secrétaire auprès du responsable de la MOI (Main-d'oeuvre immigrée, section rattachée au comité central du PCF).

"Sans leur sacrifice que serait-il advenu de notre humanité"

À la mi-juillet 1936 commence le putsch franquiste contre la jeune République espagnole. Elle participe à Paris à la constitution des Brigades internationales et quelques mois plus tard rejoint André Marty au quartier général des BI à Albacete. Elle se souvient avec émotion du long voyage en train et des milliers d'Espagnols rassemblés dans les gares criant «merci frères». «Innombrables étaient alors ceux, écrit-elle, qui payaient tribut à la mort par amour pour la vie. Sans leur sacrifice que serait-il advenu de notre humanité.» En 1937, elle retrouve Gérard (pseudo d'Artur London) qui a rejoint lui aussi les Brigades. Enceinte, Lise regagne Paris au mois de juillet 1938 et donne naissance à sa fille Françoise. Gérard la rejoint en février 1939.

L'ancienne des Brigades internationales, capitaine dans la Résistance, ancienne déportée, sera faite bien plus tard officier de la Légion d'honneur. Elle, elle mérite cet honneur.

Lise London : Entretien par alternatives-images

Sous l'occupation nazie, une première opération est organisée par les FTP. Henri Rol, Tanguy en est le principal artisan. Lise prend la parole devant un magasin à Paris, dénonce l'occupant et s'enfuit sous la protection de deux résistants armés. C'est la célèbre manifestation de la rue Daguerre. Elle sera la seule accusée pour «assassinat, association de malfaiteurs, activités communistes». Suivra ensuite l'emprisonnement à La Petite Roquette où elle accouchera de Michel, puis à Fresnes, à Rennes où on lui retirera son fils, avant de prendre le chemin de Romainville, étape avant le camp de concentration. Son père, son frère Frédo et son compagnon Gérard, eux aussi, sont emprisonnés.

Organisation clandestine

Lise a vécu les années noires, sa famille écartelée, ses copines fusillées, gazées. Elle se souvient avec émotion de ses camarades, Danièle (Casanova), Henriette et les autres, l'horreur des appels, les corvées, les bastonnades, la faim, les fusillades, les fours crématoires, le long transfert à pied sous les coups alors que les troupes soviétiques et américaines s'approchaient des camps. Elle laisse aller une larme et préfère, vite, évoquer l'organisation clandestine installée à la barbe des SS. Pour Lise, le combat prime tout.

Elle n'en avait pas fini. La famille communiste Ricol-London vivra dans sa chair le stalinisme. Vice-ministre tchécoslovaque des Affaires étrangères, Artur London, ancien déporté lui aussi, comme de nombreux anciens des Brigades internationales que Staline et ses sbires tchécoslovaques voulaient faire disparaître, va vivre l'épouvantable. Il est accusé d'espionnage et Lise, au début, doute. «Et si cela est vrai», s'interrogeait-elle.

Complot planifié par Moscou

Elle n'hésitera pas longtemps, comprenant le complot planifié à Moscou. Pour Artur London, ce sera quatre ans et demi de prison, vingt-sept mois d'isolement, le cachot, la privation de sommeil, les interrogatoires, les coups et les tortures, le chantage. Artur London écrira plus tard dans son livre l'Aveu: «Ces méthodes, qui tendent à briser en l'homme sa dignité, sont à l'opposé de la morale socialiste. Elles sont celles, barbares, du Moyen Âge et du fascisme. En les subissant on se sent dégradé, dépouillé de son titre d'homme.»

L'objectif des tortionnaires visait à détruire les anciens des Brigades internationales, de tenter de salir les proches compagnons d'Artur et aussi les dirigeants communistes français, notamment Raymond Guyot, membre du Bureau politique du PCF, beau-frère de Lise. Elle aura à subir à Prague une perquisition en présence de son père, de sa mère, de ses enfants et dira aux flics: «Vous ne vous conduisez pas mieux que les policiers nazis qui nous ont arrêtés mon mari et moi en 1942.» Elle travaille en usine pour survivre, placée aux postes les plus durs. Elle est marginalisée, ses anciennes amitiés se détournent, et elle est exclue du Parti communiste tchécoslovaque. À ses procureurs staliniens, elle dira: «J'étais, je suis et je resterai communiste, avec ou sans carte du Parti.» Aujourd'hui, à Paris, Lise London ne dit pas autre chose

 

  • Lise London a publié deux livres: Le Printemps des camarades et la Mégère de la rue Daguerre, Éditions du Seuil
  • A lire:

Lise London est morte

Notre camarade Lise London n'est plus. Une femme exceptionnelle n'est plus". Pierre Laurent, PCF

  • A lire aussi, les témoignages de Lise London dans l'Humanité:

"C'est un succès pour le peuple espagnol" (31 octobre 2007)

Résistance: "On voulait montrer que nous n'avions pas peur" (1er août 2007)

José Fort

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21 janvier 2012 6 21 /01 /janvier /2012 08:21

 

Louise Michel : une vie d’honnêteté et de fidélité aux idéaux de la Commune

 

 

 

 

Biographie sommaire une centaine d’année après sa disparition le 9 janvier 1905 et un cortège funèbre immense le 21 janvier 1905.

De tous les per­son­na­ges de la Commune de Paris, Louise Michel est la pre­mière femme à avoir triom­phé de la cons­pi­ra­tion du silence et de l’oubli.

Combattante, ora­trice, éducatrice, poète, accu­sée trans­for­mant les tri­bu­naux en tri­bune, elle campe un per­son­nage qui ser­vira de réfé­rence à toutes les révo­lu­tion­nai­res d’idéo­lo­gies diver­ses depuis la fin du 19e Siècle jusqu’à nos jours.

Louise Michel naît à Vroncourt (Haute-Marne), le 29 Mai 1830. Fille d’une ser­vante, elle est née au châ­teau appar­te­nant à la Mr et Mme Demahis qui l’éduquent dans la connais­sance des Lumières et le sou­ve­nir de la Première République. Cette éducation lui fera pren­dre cons­cience d’abord de l’injus­tice, puis de la néces­sité de la com­bat­tre.

En 1853, elle devient ins­ti­tu­trice mais elle refuse de prêter ser­ment à l’Empereur Napoléon III. Elle ensei­gnera donc dans des écoles « libres », c’est-à-dire sans lien avec le pou­voir, d’abord en Haute-Marne, puis à Paris à partir de 1856.

Ses métho­des péda­go­gi­ques s’ins­pi­rent de quel­ques grands prin­ci­pes : l’école doit être pour tous, pas de dif­fé­rence entre les sexes, néces­sité d’une éducation à la sexua­lité, l’ensei­gnant doit en per­ma­nence accroî­tre son savoir.

Sur ces idées, elle ren­contre tout ce que Paris compte de répu­bli­cains et l’avant-garde socia­liste.

En 1870, après la défaite de Napoléon III, Louise Michel se bat pour une République démo­cra­ti­que, ins­pi­rée de la Convention de l’an II, et sociale dans le pro­lon­ge­ment de juin 1848. Elle sera de tous les com­bats pour la défense de Paris et pour récla­mer l’élection de la Commune. Elle pré­side le Comité de vigi­lance des femmes de Montmartre.

Le 18 Mars 1871, elle est au pre­mier rang des femmes de Montmartre qui met­tent en échec la ten­ta­tive de Thiers de s’empa­rer des canons de la Garde Nationale.

Pendant la Commune, elle combat dans la Garde natio­nale. Elle se bat sur les bar­ri­ca­des de la Semaine san­glante. Le 24 mai, sa mère ayant été prise en otage par les Versaillais, elle se cons­ti­tue pri­son­nière. Elle connaî­tra l’hor­reur des pri­sons de Satory et des Chantiers à Versailles.

Le 16 Décembre, elle passe devant un Conseil de guerre qu’elle trans­forme en tri­bune pour la défense de la révo­lu­tion sociale. Elle est condam­née à la dépor­ta­tion dans une enceinte for­ti­fiée. Elle est incar­cé­rée à la prison d’Auberives en (Haute-Marne), jusqu’à son départ pour la Nouvelle Calédonie le 24 août 1873 où elle arrive le 8 décem­bre.

Au bagne, elle reprend son tra­vail d’ins­ti­tu­trice auprès des Canaques. Elle les approuve quand ils se révol­tent contre la colo­ni­sa­tion. Elle se prend de sym­pa­thie pour les Algériens dépor­tés après leur révolte de 1871.

Libérée après la loi d’amnis­tie du 12 Juillet 1880, elle revient en France où elle débar­que à Dieppe le 9 Novembre et est accueillie triom­pha­le­ment à Paris, gare Saint-Lazare.

Elle reprend son action révo­lu­tion­naire mar­quée par sa fidé­lité aux idéaux de la Commune de Paris. Elle est deve­nue anar­chiste pen­dant sa dépor­ta­tion ce qui ne l’empê­che pas d’entre­te­nir des rela­tions cour­toi­ses avec ses anciens com­pa­gnons d’armes enga­gés dans la pro­pa­ga­tion du socia­lisme. Jusqu’à la fin de sa vie elle ira de ville en ville porter la parole révo­lu­tion­naire ce qui lui vaudra de séjour­ner à nou­veau en prison à plu­sieurs repri­ses.

Elle décède le 9 jan­vier 1905 à Marseille après une ultime réu­nion publi­que. Le 21 jan­vier 1905, une foule consi­dé­ra­ble suit son cor­tège funè­bre de la gare de Lyon à Paris jusqu’au cime­tière de Levallois où elle est inhu­mée a côté de sa mère.

P.-S.

- sur Louise Michel :
.

  • une page web qui rassemble beaucoup de liens sur la vie, l’engagement, les textes de Louise Michel.
  • Louise Michel sur Increvables Anarchistes.

Source: Rebellyon

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15 janvier 2012 7 15 /01 /janvier /2012 12:36
Malgré tout ! (Karl Liebknecht)

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht sont assassinés à Berlin par des corps-francs au service du gouvernement social-démocrate de Noske. Fondateur avec Rosa Luxembourg et d’autres internationaliste du groupe Spartakus dans la lutte contre la première guerre mondiale, il proclamera la République Socialiste d’Allemagne en novembre 1918, puis sera un des fondateur du KPD, Part Communiste d’Allemagne. Peu avant son assassinat, il a écrit pour “Die Rote Fahne” son dernier article “Malgré tout”.

Malgré tout !

Assaut général contre Spartakus ! « A bas les spartakistes ! », crie-t-on partout. « Saisissez-les, fouettez-les, piquez-les, fusillez-les, écrasez-les, mettez-les en pièces ! » Des abominations sont commises plus cruels que celles des troupes allemandes en Belgique.

« Spartakus vaincu ! », jubile toute la presse, de la Post au Vorwärts.

« Spartakus vaincu ! » Les sabres, les revolvers et les carabines de la police germanique rétablie dans ses fonctions et le désarmement des ouvriers révolutionnaires scelleront sa défaite.

 

« Spartakus vaincu ! » C’est sous la protection des baïonnettes du colonel Reinhardt, des mitrailleuses et des canons du général Lüttwitz, que se dérouleront les élections à l’Assemblée nationale, un plébiscite pour Napoléon-Ebert.

« Spartakus vaincu ! »

Oui ! Les ouvriers révolutionnaires de Berlin ont été vaincus ! Oui ! Abattus des centaines des meilleurs d’entre eux ! Oui ! jetés au cachot des centaines parmi les plus fidèles !

Oui ! Ils ont été vaincus ! Car ils ont été abandonnés par les marins, les soldats, les gardes de sécurité, par l’armée populaire, sur l’aide desquels ils avaient compté. Et leurs forces ont été paralysées par l’indécision et la pusillanimité de leurs chefs. Et l’immense flot bourbeux contre-révolutionnaire des éléments arriérés du peuple et des classes possédantes les a submergés.

Oui, ils ont été vaincus ! Et c’était une nécessité historique qu’ils le fussent. Car le temps n’était pas encore venu. Et pourtant la lutte était inévitable. Car livrer sans combat aux Eugen Ernst et Hirsch la préfecture de police, ce palladium de la révolution, eût été une défaite déshonorante. La lutte avait été imposée au prolétariat par la bande d’Ebert, et les masses berlinoises furent emportées par-delà tous les doutes et les hésitations.

Oui, les ouvriers révolutionnaires de Berlin ont été vaincus.

Et les Ebert-Scheidemann-Noske ont remporté la victoire. Ils l’ont remportée parce que les généraux, la bureaucratie, les junkers de la campagne et de l’industrie, la curés et les sacs d’argent, et tout ce qui est étroit, mesquin et arriéré, les ont aidés. Et ils l’ont remporté pour eux avec des obus, des bombes à gaz et des lance-mines.

Mais il est des défaites qui sont des victoires et des victoires plus fatales que des défaites.

Les vaincus de la semaine sanglante de janvier se sont battus glorieusement, ils se sont battus pour quelque chose de grand, pour le but le plus noble de l’humanité souffrante, pour la libération matérielle et spirituelle des masses pauvres ; pour des buts sacrés, ils ont versé leur sang, qui a été ainsi sanctifié. Et de chaque goutte de ce sang, cette semence de dragon pour les vainqueurs d’aujourd’hui, des vengeurs naîtront pour ceux qui sont tombés ; de chaque fibre brisée de nouveaux combattants de la grande cause, éternelle et impérissable comme le firmament.

Les vaincus d’aujourd’hui seront les vainqueurs de demain. Car la défaite est leur enseignement. Le prolétariat allemand manque encore de traditions et d’expérience révolutionnaires, et ce n’est que par des tâtonnements, des erreurs juvéniles, des échecs douloureux, qu’on peut acquérir l’expérience qui garantit le succès futur.

Pour les forces vivantes de la révolution sociale, dont la croissance ininterrompue est la loi du développement social, une défaite constitue un stimulant. Et c’est par les défaites que leur chemin conduit vers la victoire. Mais les vainqueurs d’aujourd’hui ?

C’est pour une cause scélérate qu’ils ont accompli leur besogne scélérate. Pour les puissances du passé, pour les ennemis mortels du prolétariat.

Et ils sont dès aujourd’hui vaincus ! Car ils sont dès aujourd’hui les prisonniers de ceux qu’ils pensaient pouvoir utiliser comme leurs instruments et dont ils ont toujours été en fait les instruments.

Ils donnent encore leur nom à la firme, mais il ne leur reste qu’un court délai de grâce.

Déjà ils sont au pilori de l’histoire. Jamais il n’y eut au monde de tels Judas : non seulement ils ont trahi ce qu’ils avaient de plus sacré, mais de leurs propres mains ils ont aussi enfoncé les clous dans la croix. De même qu’en août 1914 la social-démocratie officielle allemande est tombée plus bas que n’importe quelle autre, de même aujourd’hui, à l’aube de la révolution sociale, elle reste le modèle qui fait horreur.

La bourgeoisie française a dû prendre dans ses propres rangs les bourreaux de juin 1848 et ceux de mai 1871. La bourgeoisie allemande n’a pas besoin de faire elle-même le travail : ce sont des « sociaux-démocrates » qui accomplissent la sale besogne, lâche et méprisable. Son Cavaignac, son Gallifet, c’est Noske, l’ « ouvrier allemand ».

Des sonneries de cloche ont appelé au massacre ; de la musique, des agitations de mouchoirs, des cris de victoire des capitalistes sauvés de l’ « horreur bolchéviste » ont fêté la soldatesque. La poudre est encore fumante, l’incendie du massacre des ouvriers brûle encore, les prolétaires assassinés gisent à terre, les blessés gémissent encore, et, gonflé de fierté de leur victoire, ils passent en revue les troupes d’assassins, les Ebert, Scheidemann et Noske.

Semence de dragon !

Déjà le prolétariat mondial se détourne d’eux avec horreur, eux qui osent tendre à l’Internationale leurs mains encore fumantes du sang des ouvriers allemands ! Ils sont rejetés avec répulsion et mépris même par ceux qui, dans la furie de la guerre mondiale, avaient trahi les devoirs du socialisme. Salis, exclus des rangs de l’humanité civilisée, chassé de l’Internationale, honnis et maudits par tous les ouvriers révolutionnaires, ainsi se présentent-ils devant le monde.

Et l’Allemagne tout entière est précipitée par eux dans la honte. Des traîtres à leurs frères, des fratricides, gouvernent aujourd’hui le peuple allemand. « Vite, mon calepin, que je note… »

Oh, leur magnificence ne durera pas longtemps ; un court délai de grâce, et ils seront jugés.

La révolution du prolétariat, qu’ils ont cru noyer dans le sang, elle renaîtra, gigantesque, et son premier mot d’ordre sera : A bas les assassins d’ouvriers Ebert-Scheidemann-Noske !

Les battus d’aujourd’hui ont retenu l’enseignement : ils sont guéris de l’illusion qu’ils pouvaient trouver leur salut dans l’aide des masses confuses de soldats, qu’ils pouvaient s’en remettre à des chefs qui se sont révélés faibles et incapables, guéris de leur croyance en la social-démocratie indépendante, qui les a honteusement abandonnés. C’est en ne comptant que sur eux-mêmes qu’ils vont mener les batailles à venir, qu’ils obtiendront leurs victoires futures. Et la phrase fameuse : « L’émancipation de la classe ouvrière ne peut être que l’oeuvre de la classe ouvrière elle-même », a acquis pour eux, du fait de la leçon amère de cette semaine, une nouvelle signification profonde.

De même, les soldats qui ont été trompés comprendront bientôt quel jeu on leur a fait jouer quand ils sentiront à nouveau sur eux le knout du militarisme remis en selle ; eux aussi sortiront de l’ivresse où ils sont plongés aujourd’hui.

« Spartakus vaincu ! »

Doucement ! Nous n’avons pas fui, nous ne sommes pas battus ! Et même si vous nous enchaînez, nous sommes là et nous restons là ! Et la victoire sera nôtre !

Car Spartakus, cela signifie : feu et flamme, cela signifie : coeur et âme, cela signifie volonté et action de la révolution du prolétariat. Et Spartakus – cela signifie détresse et aspiration au bonheur, volonté de mener la lutte du prolétariat conscient. Car Spartakus, cela signifie socialisme et révolution mondiale.

La marche au Golgotha de la classe ouvrière allemande n’est pas encore terminée, mais le jour de la rédemption approche ; le jour du Jugement pour les Ebert-Scheidemann-Noske et pour les dirigeants capitalistes qui aujourd’hui se cachent encore derrière eux. Haut jusqu’au ciel battent les flots des événements ; nous sommes habitués à être précipités du sommet jusque dans les profondeurs. Mais notre vaisseau poursuit fermement et fièrement sa route droite – jusqu’au but.

Et que nous vivions encore quand il sera atteint – notre programme, lui, vivra ; il dominera le monde de l’humanité libérée. Malgré tout !

Sous le grondement de l’effondrement économique qui s’approche, l’armée encore sommeillante des prolétaires se réveillera comme au son des trompettes du Jugement dernier, et les corps des combattants assassinés ressusciteront et exigeront des comptes de leurs bourreaux. Aujourd’hui encore le grondement souterrain du volcan ; demain il fera éruption et ensevelira les bourreaux sous ses cendres brûlantes et ses flots de lave incandescente.

Karl Liebknecht

 

Source: Solidarité Ouvrière.

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15 janvier 2012 7 15 /01 /janvier /2012 12:33
La socialisation de la société (Rosa Luxembourg)

Le 15 janvier 1919, la grande révolutionnaire Rosa Luxembourg était assassinée à Berlin avec Karl Liebknecht. En hommage à cette date anniversaire, cet article publié le 4 décembre 1918 dans “Die Junge Garde” et qui conserve aujourd’hui toute son actualité en dressant les grande ligne de la nécessaire construction d’une société socialiste.

La socialisation de la société

La révolution prolétarienne commencée aujourd’hui ne peut avoir d’autre but et d’autre résultat que la réalisation du socialisme. La classe ouvrière doit avant tout essayer de s’emparer de toute la puissance politique de l’Etat. Pour nous, socialistes, ce pouvoir politique n’est qu’un moyen. Le but pour lequel nous devons employer ce pouvoir, c’est la transformation fondamentale de tous les rapports sociaux.

Aujourd’hui, toutes les richesses, les plus grandes et les meilleures terres, les mines, les machines, les fabriques, appartiennent à quelques grands propriétaires et grands capitalistes. La grande masse des travailleurs ne reçoit d’eux qu’un misérable salaire pour les empêcher de mourir de faim, en échange d’un pénible travail. La société actuelle a pour but l’enrichissement d’un petit nombre d’oisifs.

 

Cette situation doit changer entièrement. Toutes les richesses sociales, le sol et le sous-sol avec tous leurs trésors, toutes les fabriques, tous les instruments de travail doivent être enlevés aux exploiteurs.

Le premier devoir qui incombe à un gouvernement réellement prolétarien est de déclarer, par une série de lois, propriété de la société les principaux instruments de production, et de les mettre sous le contrôle de la société.

Alors commence réellement la véritable tâche, et la plus lourde : la construction de la société sur de toutes nouvelles fondations.

A l’heure actuelle, dans chaque entreprise, la production est uniquement dirigée par le propriétaire-capitaliste. L’entrepreneur décide seul de l’objet et du mode de la production, ainsi que du lieu et du temps de la vente des marchandises. Les travailleurs ne s’occupent en rien de ces choses, ils ne sont que de vivantes machines à qui l’on demande uniquement de fonctionner.

Dans la société socialiste, tout cela doit changer ! L’entrepreneur individuel disparaît. La production n’a plus pour but l’enrichissement personnel des individus, mais la satisfaction des besoins de chacun Pour cela, les fabriques, les chantiers, les cultures, doivent être transformés dans un sens tout nouveau.

En premier lieu : lorsque la production aura pour but d’assurer à tous des conditions humaines de vie, une nourriture riche, des vêtements, une nourriture intellectuelle, alors le rendement de la production devra être beaucoup plus grand que de nos jours. Les champs devront fournir une plus grande récolte, les fabriques devront avoir un développement technique suprême, les plus riches parmi les mines de charbon et de fer devront seules être exploitées. Il s’ensuit que la socialisation doit s’étendre à la grande industrie et à l’agriculture. Nous ne voulons pas enlever son petit morceau de propriété au petit paysan et au petit artisan, qui gagne son propre pain en travaillant sa terre ou en exploitant son atelier. Avec le temps, ils viendront tous à nous et ils apprendront à connaître les avantages du socialisme sur la propriété privée.

En second lieu : pour que chacun puisse goûter du bien-être, tous doivent travailler.

Seul celui qui accomplit quelque part un travail utile a la société, qu’il soit manuel ou intellectuel, peut réclamer de la société les moyens de satisfaire ses besoins. Il faut en finir avec la vie oisive comme la mènent aujourd’hui la plupart des riches exploiteurs. Il va de soi que la société socialiste exige l’obligation du travail pour tous ceux qui sont en état de travailler, à l’exception, bien entendu, des enfants, des vieillards et des malades. La société doit prendre à sa charge ceux qui ne sont pas en état de travailler, non pas comme aujourd’hui en leur donnant de misérables aumônes, mais en entourant les enfants de soins précieux, en leur inculquant une éducation sociale, en soignant, convenablement les vieillards, en soignant gratuitement les malades, etc., etc…

Tertio : pour les mêmes raisons, c’est-à-dire pour le bien-être de la communauté, on doit employer intelligemment les moyens de production et les forces de travail. Le gaspillage, tel qu’il se présente maintenant, à tout moment, doit cesser.

Ainsi, toutes les industries de guerre et de munitions doivent être supprimées, parce que la société socialiste peut se passer d’engins meurtriers, et les matières et les forces de travail précieuses doivent être employées à des fins plus utiles. Les industries de luxe qui fournissent aujourd’hui toutes sortes de fantaisies aux fainéants doivent également disparaître ; il doit en être de même des services de milice et de police.

Les forces de travail retenues à tout cela trouveront une besogne plus utile et plus digne.

De cette manière, quand on aura obtenu un peuple de travailleurs, quand tous travailleront pour tous, pour l’utilité et le bien-être généraux, il faudra que le travail lui-même soit accompli tout autrement.

En ce moment le travail à la fabrique et aux champs, ainsi qu’au bureau, est généralement un mal et un fardeau pour le prolétaire.

On va au travail parce que l’on y est obligé, parce que sans cela on ne peut subvenir à ses besoins. Dans la société socialiste, où tous travaillent au bien-être commun, il faut évidemment, pendant le travail, donner tous les soins à l’hygiène et à l’agrément. Un temps de travail court, qui n’aille pas au delà des capacités normales, des ateliers hygiéniques et toutes les mesures pour récréation et la variation de la besogne doivent être introduits, pour que chacun puisse accomplir, avec amour et goût, sa part de travail. Pour toutes ces réformes, il faut cependant aussi d’autres éléments. Actuellement le capitaliste ou ses intermédiaires, chef d’atelier ou surveillant, se trouvent derrière le travailleur. C’est la faim qui conduit le prolétaire à la fabrique ou au bureau. L’entrepreneur veille alors à ce qu’il ne gaspille pas son temps, à ce qu’il n’abîme pas le matériel, à ce que son travail soit convenable et bon. L’entrepreneur et son fouet disparaissent dans la société socialiste.

Ici les travailleurs deviennent des êtres humains libres et égaux qui travaillent pour leur propre confort et utilité. Cela signifie également : travailler avec zèle spontanément, ne pas manier la richesse collective avec légèreté, produire un travail bon et précis. Chaque entreprise socialiste demande naturellement des conducteurs techniques, qui connaissent à fond la branche, qui ordonnent le nécessaire pour que tout s’adapte, pour qu’il y ait la meilleure répartition du travail et que la plus grande production soit atteinte. Cela veut suivre ces directions de manière volontaire et complète, maintenir l’ordre et la discipline, ne pas provoquer de frictions ou de désordres.

En un mot : le travailleur de la société socialiste doit montrer qu’il sait travailler avec zèle et ordre et fournir la meilleure besogne sans qu’il ait derrière lui le capitaliste et son surveillant. Il faut pour cela de la discipline intérieure, de la maturité intellectuelle, une ferme tenue morale : il faut un sentiment de dignité et de responsabilité, tout une résurrection intérieure du prolétaire.

On ne peut pas réaliser le socialisme avec des négligents, des égoïstes, des écervelés et des indifférents.

La société socialiste a besoin d’hommes et de femmes qui soient tous pleins d’enthousiasme pour le bien-être commun, qui soient remplis d’esprit de sacrifice et de solidarité, d’hommes et de femmes qui acceptent également avec courage le travail le plus lourd. Nous ne devons cependant pas attendre des dizaines et des centaines d’années, jusqu’à ce que de nouvelles générations soient élevées. C’est précisément dans la révolution que la masse prolétarienne acquiert l’idéalisme nécessaire et qu’elle arrive vite à la maturité intellectuelle. Le courage et la persévérance, la clarté intérieure sont également nécessaires pour que la révolution puisse être conduite à la victoire. Si nous parvenons à former d’ardents lutteurs dans la révolution actuelle, nous aurons également les travailleurs socialistes futurs qui jetteront les bases d’un ordre nouveau.

Les jeunes travailleurs sont appelés à ces grandes tâches. En tant que génération future, ils formeront, sans nul doute, le fondement réel de la société socialiste. C’est à elle-même de montrer qu’elle peut accomplir cette grande tâche, qu’elle porte en elle : l’avenir de l’humanité. Tout un vieux monde pourri doit être anéanti et un tout nouveau monde doit être construit. Mais nous y arriverons, jeunes amis, pas vrai? Nous y arriverons ! Comme le dit la chanson :

Il ne nous manque rien, ma femme, mon enfant,
Que tout ce qui croît grâce à nous ,
Pour être aussi libre que les oiseaux : seulement du temps !
(1)

Note

(1) Citation du poème de Richard Dehmel, Der Arbeitsmann (« L’ouvrier »).

 

Source: Solidarité Ouvrière.

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Non au Front National !

Camarades ,

Ne nous livrons pas aux chants des sirènes fascistes, qui sous couvert d'un discours anti-systémique bien rôdé, ne visent qu'à instaurer un régime aux relents des années 30. Ne soyons pas naifs face à ce nouvel ordre moral que veulent imposer par le mensonge et la peur les tenants de la haine et du "sang pur". Sous couvert d'une fausse expression démocratique et médiatique, le FN ne s'est jamais détaché de ce qui a construit son origine : une droite populaire qui rejette le prolétaire, une droite chrétienne qui rejette le non-croyant ou l'autre croyant, une droite corporatiste qui rejette l'union des travailleurs. Le FN a ses petits groupuscules néo-nazi dont il se défend d'être en lien publiquement mais avec qui il travaille bien tranquillement  : GUD, bloc identitaire et autres "natios".

    Et lorsque l'on se penche sur son programme politique le vernis craque : Contre la retraite par répartition et tout ce qu' a fondé le CNR de 1945 (où était-il lors des manifs de 2010 ?)  , contre les droits des salariés ( poujadiste un jour, poujadiste toujours !) etc... 

De nombreux documents démontrent l'imposture du FN. L'UPAC vous en propose deux :

- Celui du collectif communiste Prométhée dans son numéro 85, (site net : http://promcomm.wordpress.com), 5 pages.

-Celui du collectif VISA (Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes), qui s'intitule "FN, le pire ennemi des salarié(e)s" et dont le lien est sur le blog, 29 pages. 

 

Ne lâchons rien ! 

Face au bras tendu du facho, levons le poing ferme du prolo !! 

 

Vêtements et accessoires skinheads et Antifas.

            Site "La Pétroleuse" : Clic<  link

 

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           Site "La Boutique, Tapage Rock" : Clic<  link

 

            Site "Antifa Wear" : Clic<  link

 

          Site "Ni Dieu, Ni Maitre": Clic< link   

 

             Site "FFC Production": Clic< link

 

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Modèle 32 mm.

 

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