Le document d’orientation présentée par la Direction confédérale de la CGT pour son 50e congrès fait du syndicalisme rassemblé l’alpha et l’oméga de sa
stratégie. Mais, le bilan de 15 ans de syndicalisme rassemblé ne plaide pas pour sa poursuite. Le texte reconnait d’ailleurs que l’unité syndicale contre la réforme Fillon des retraites n’a porté
que sur le rejet du projet de réforme et non sur les propositions alternatives. Et pour cause, les autres confédérations partageaient peu ou prou la logique du plan Fillon.
La Direction confédérale reconnait de plus que les autres organisations syndicales ont une conception différente du dialogue social et de la négociation qui les
conduisent à signer des accords avec le patronat que ne signe pas la CGT.
Le dernier exemple est celui sur « la sécurisation de l’emploi » qui bouleverse le code du travail approuvé par la CFDT, la CGC et la CFTC. Leur signature
était prévisible puisqu’elles avaient signé avec le MEDEF, la CGPME et l’UPA un document commun en janvier 2012 sur la compétitivité des entreprises et le coût du travail.
La Direction confédérale a jusqu’ici justifié la stratégie du syndicalisme rassemblé par la faiblesse de la syndicalisation et la division syndicale. La faiblesse
de la syndicalisation et la division syndicale sont liées l’histoire du syndicalisme français. Histoire que la direction confédérale réécrit à sa façon, en affirmant dans le document
d’orientation au 1.68 que la CGT est née de la prise de conscience … que les salarié-e-s au-delà de leur différence devaient être organisés dans un seul syndicat porteur d’une conception
solidaire et interprofessionnel.
En 1895 au congrès de Limoge le débat ne s’est jamais posé en terme de syndicat unique mais surtout ce qu’occulte le texte confédéral, c’est que la CGT s’est créée
sur une base de lutte, sur la conscience de l’affrontement de classe entre le capital et le travail. Le syndicat dans la conception de l’époque, explicitée par la Charte d’Amiens, devait
émanciper le salariat de son exploitation. Il est évident que face à un syndicalisme qui contestait sa suprématie, la bourgeoisie n’allait pas rester inactive.
Adhérer à la CGT, c’était faire une croix sur sa carrière, être en butte à la répression. Cette dernière fut particulièrement féroce sous Clémenceau et Briand.
Contrairement à la France, le syndicalisme en Angleterre et en Allemagne ne s’est pas constitué sur une base d’affrontement avec le capital. Il était plus un partenaire qu’un adversaire du
patronat et du pouvoir politique. Y adhérer n’était pas synonyme de blocage de carrière et de répression.
En France, la multiplicité des confédérations est la conséquence de l’existence d’une CGT influente.
La CFTC fut créée en 1919 à l’initiative du Vatican pour développer un syndicalisme chrétien en opposition à la CGT.
La CGC s’est créée face à la montée du salariat chez les cadres et à une CGT sortie très renforcée des grèves de 1936.
Compte tenu de son action dans la résistance, la CGT était toute puissante à la Libération. Mais toute une série de scissions allaient l’affaiblir qu’il faut placer
dans le contexte de la violence des luttes de classes qui suivent la Libération et du commencement de la guerre froide.
C’est tout d’abord la scission de la CNT, puis celle de la FGAF (cheminot) puis celle de Force Ouvrière, celle de la FEN, et de syndicats qui allaient passer dans
l’autonomie, certains se réaffilieront par la suite à la CGT.
1964 voit la déconfessionnalisation de la CFTC avec la naissance de la CFDT, porteuse d’un réformisme moderne qui va attirer beaucoup de couches nouvelles du
salariat qui découvrent l’exploitation patronale.
En 1992, la FEN éjecte la tendance U&A à son congrès de Perpignan pour se saborder et créer l’UNSA avec 5 syndicats autonomes. Au lieu de rejoindre la CGT, U&A maintient les enseignants
dans un syndicalisme ultra catégoriel en créant une FEN bis avec ses tendances, la FSU.
Enfin, il reste Solidaires né en 1998 de l’association de syndicats autonomes, (le groupe des dix né en 1981), dont certains ont depuis rejoint l’UNSA, et de syndicats SUD dont plusieurs ont
quitté la CFDT.
L’ensemble de ces organisations syndicales malgré leurs différences et leurs divergences ont un point commun, elles se définissent comme réformistes. C’est ce que
refuse d’admettre le syndicalisme rassemblé. Pour elles, les intérêts du salariat ne sont pas fondamentalement antagoniques de ceux du patronat, des aménagements sont possibles. Or, la
mondialisation exacerbant la concurrence entre groupes capitalistes rend les besoins de financement de ces derniers infinis. Les richesses créées par les salariés doivent servir au maximum sinon
en totalité à l’accumulation du capital et ne plus être socialisées ou le moins possible quitte à remettre en cause le renouvellement de la force de travail.
Chaque organisation syndicale au niveau de l’entreprise, de la branche professionnelle, de l’Etat se positionne face aux exigences du patronat et de l’Etat qui
épaule en permanence le patronat.
C’est ce qui fait que la CGT est différente de toutes les autres organisations. Elle n’a signé et ne signe aucun accord défavorable aux
salariés.
Le syndicalisme rassemblé, sous-entendu autour de la CGT, qui pour ses concepteurs est la première étape menant à l’unité organique [1] est un leurre.
Il n’y a pas d’un côté le patronat et de l’autre l’ensemble des organisations syndicales. Il y a d’un côté le patronat et le syndicalisme d’accompagnement et de
l’autre le syndicalisme de lutte. Le syndicalisme d’accompagnement qui peut prendre des formes contestataires, ne remet pas en cause la domination du capital sur le
travail.
C’est un leurre de croire que l’unité de sommet entre directions d’organisations syndicales est bénéfique aux salariés. Le syndicalisme rassemblé est une conception
de sommet, d’états-majors qui présente l’inconvénient majeur de taire les divergences et de ne pas tenir informés les salariés des options et orientations de chacun (ainsi la direction
confédérale a été très discrète au sujet de l’accord patronat syndicats de janvier 2012 cité plus haut). Afin de ne pas rompre une unité établie sur le plus petit commun multiple, la CGT s’est
interdit jusqu’ici de prendre seules des initiatives. Mais, elle y est contrainte par la violence de la politique du capital et du pouvoir, la position des organisations syndicales
réformistes et la volonté de lutte de sa base.
Thierry Lepaon peux toujours essayer de tendre la main à la CFDT, cette dernière a une orientation dont elle ne déviera
pas.
D’un syndicalisme sociétal des années 60 et 70 elle est passée progressivement et de plus en plus ouvertement à un syndicalisme d’accompagnement de la politique du
capital.
Quant à FO, continuatrice de la vieille CGT confédérée de Léon Jouhaux et dont J Cl Mailly assume le réformisme [2], elle pratique le double langage. Elle condamne l’accord signé par le MEDEF, le CFDT et la CGC et la CFTC mais signe comme la CFDT et la CGC avec la
Direction de Renault un accord qui n’est que la déclinaison de l’ANI ainsi que l’accord avec le MEDEF sur les retraites complémentaires.
La stratégie du syndicalisme rassemblé est un échec.
Elle se heurte à la nature réformiste des autres organisations syndicales. Vouloir la pérenniser met la Direction confédérale dans une position inconfortable. Soit
elle continue de rechercher des accords sans principe avec des organisations syndicales qui refusent de se battre contre le patronat et se met à dos sa base, soit elle prend l’initiative des
luttes et met le syndicalisme rassemblé à la poubelle de l’Histoire.
La CGT doit être porteuse d’une autre conception de l’unité, basée sur la lutte, et donc sur son autonomie d’expression et d’action, privilégiant l’unité des
salariés appuyée sur une intense lutte des idées et de propositions réellement alternatives.
Gilles Mercier
Syndicaliste CGT Recherche
[1] *Louis
Viannet « syndicalisme : quelles perspectives ? » p76-82 Réinventer le Syndicalisme. Revue « Mouvements » janvier-février 2006.
[2] J C
Mailly Les Echos 25 mars 2004
Source: PCF Bassin d'Arcachon.